Le mouvement étudiant colombien est engagé depuis des années pour refonder l’enseignement supérieur, enjeu essentiel pour construire une culture de paix et engager des changements profonds de société.
En Colombie, le mouvement social et les représentants de partis politiques de gauche subissent persécution et menaces et certains sont assassinés. Ces violations des droits humains ne sont pas couvertes dans les média nationaux et internationaux. Les jeunes Colombiens et Colombiennes ne sont pas en reste. Malgré ces menaces, étudiants, enseignants, travailleurs, universitaires restent en première ligne du combat pour la paix et la réconciliation nationale.
Le contexte
de l'enseignement
supérieur en Colombie
Depuis les années 1980 et 1990, la Colombie, comme la plupart des pays d’Amérique latine, a établi le néolibéralisme comme seule possibilité de surmonter une crise économique imposée par les États-Unis, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Depuis 1990, tous les secteurs de l’économie sont ouverts aux investisseurs étrangers et tous les budgets sociaux sont réduits, y compris l’éducation, la santé, le travail… Cette logique visant à tout privatiser et à amoindrir l’importance du rôle de l’État a par ailleurs été consacrée dans la nouvelle constitution colombienne de 1991, avec pour effet immédiat, en 1992 la loi 30 qui consacre la privatisation de l’enseignement supérieur.
Les conséquences de cette loi sont désastreuses : la majorité des jeunes en âge d’entrer dans l’enseignement supérieur (60 %) ne sont accueillis ni par le système public ni par le privé. Parmi les 40 %, seulement la moitié (53 %) sont à l’université, et les autres sont répartis entre enseignement technique et formation professionnelle.
Le budget de fonctionnement des universités publiques ne comprend que 50 % de fonds d’État. Pour compléter leur budget elles sont contraintes de développer une activité commerciale : vente de services éducatifs, location des locaux. Par exemple, l’université nationale de Colombie, la plus grande du pays, loue ses amphithéâtres et ses terrains de sport à des entreprises privées. Quant au budget d’investissement, il ne comprend pratiquement aucun fonds public.
En 2012, un rapport du Sistema Universitario Estatal révélait que le déficit des universités publiques avoisinait les 3,2 milliards d’euros. Dans le secteur privé, les frais d’inscription semestriels sont entre 1 500 et 5 000 euros.
Et la plupart des étudiants n’accèdent à l’université qu’en contractant des crédits avec taux d’intérêt prohibitifs (près de 12 %) donnés par une institution d’État, l’ICETEX (Institut colombien de crédit éducatif et d’études techniques à l’étranger).
En 2011, le gouvernement de Juan Manuel Santos, président de Colombie, a proposé une nouvelle loi d’éducation dont l’objectif était d’aller encore plus loin dans la privatisation de l’enseignement supérieur. Ce projet de loi a réveillé le mouvement étudiant qui s’est fortement opposé au projet et qui a organisé une grève nationale des universités. Cette grève a paralysé les activités de 30 des 32 universités publiques pendant un mois et demi, en plus il y a eu une forte mobilisation des étudiants des universités privées dans tout le pays.
Ce mouvement national étudiant, organisé au sein de la Table nationale des étudiants (Mesa Amplia Nacional Estudiantil – MANE Colombia) a pu positionner le débat de l'enseignement supérieur comme un débat de toute la société colombienne, avec un grand soutien de l’opinion publique.
Cette construction d’un mouvement social pour l’éducation, qui allait au-delà des universitaires, a été la clef de la réussite. En effet, c’est grâce au soutien du peuple et aux innombrables et massives manifestations non violentes, que les étudiants ont fait reculer le gouvernement Santos et l’ont obligé à retirer ce projet de loi.
À partir de cette importante victoire du mouvement étudiant, la MANE a commencé à réfléchir à un projet de loi alternatif qui consacrerait l’enseignement supérieur comme un droit fondamental, un bien commun et une fonction régalienne de l’État. Cette loi alternative établissait aussi la gratuité, l’autonomie universitaire, le co-gouvernement des institutions, l’organisation de la communauté universitaire et un modèle de financement qui arriverait à surmonter la crise financière des universités et à garantir des ressources suffisantes pour le fonctionnement et l’investissement complètement financés par l’État.
Du fait de diverses dissensions en son sein et de la fin d’une mobilisation constante des étudiants, la MANE n’a pas réussi à forcer le gouvernement à négocier la réforme. Ainsi, le gouvernement Santos a réussi à faire passer une « réforme de l'enseignement supérieur » par le biais d’une sorte de 49,3 à la colombienne. Aujourd’hui, les différentes organisations du mouvement étudiant sont en train de discuter pour relancer une nouvelle lutte, avec pour but de négocier avec le gouvernement et différents secteurs sociaux, la construction d’un nouveau modèle éducatif.
L’université comme
champ de confrontation du conflit armée
Tout ce contexte développé dans la première partie de cet article, a évolué dans la réalité du conflit social, politique et armé de la Colombie. Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut comprendre que le conflit colombien a investi les universités colombiennes. En effet, l’université a fait l’objet d’une véritable prise du pouvoir par le paramilitarisme (Armée privée d’extrême droite) dans plusieurs régions du pays. Le mouvement universitaire (des étudiants, professeurs et travailleurs des universités) a par ailleurs été persécuté par l’État et par les paramilitaires.
Pendant des années la stratégie de contrôle territorial des paramilitaires a consisté à contrôler les universités pour deux raisons fondamentales : l’appropriation de ressources provenant de l’État pour financer leur armée et le contrôle du mouvement universitaire. La persécution du mouvement étudiant en Colombie dure depuis de longues années. Le premier assassinat d’un étudiant Gonzalo Bravo Perez a eu lieu le 8 juin 1929, lors d’une manifestation de travailleurs en grève du secteur de production de bananes accomplie par les forces militaires colombiennes et la multinationale United Fruits Company (aujourd’hui Chiquita).
En 1954, lors d’une manifestation étudiante au centre-ville de Bogotá en hommage à Gonzalo Bravo Perez, le gouvernement a donné l’ordre aux forces armées de charger contre les étudiants. Treize étudiants de l’université nationale y ont été tués. Les 8 et 9 juin sont depuis commémorés et déclarés « jours des étudiants ».
Tout au long du XXe siècle, la répression contre les étudiants ne s’est jamais arrêtée. Sous la présidence d’Alvaro Uribe (2002-2010), elle a encore été plus importante. Cet ex-président, aujourd’hui sénateur et chef suprême de l’extrême droite colombienne a mené une politique répressive contre toutes les mobilisations sociales, et spécifiquement contre le mouvement étudiant. Au point d’en qualifier publiquement les membres de terroristes et de guérilleros.
En 2010, Juan Manuel Santos, ministre de la Défense d’Uribe a été élu Président. Il a commencé les dialogues avec les FARC et est perçu comme « le président de la paix ».
Néanmoins ce gouvernement a un double discours, d’un côté il parle de paix, de réconciliation nationale et de dialogue mais d’un autre côté il continue sa politique de répression, de persécution et de stigmatisation du mouvement social.
En 2016, deux camarades ont été tués. Klaus Zapata, militant de la Jeunesse communiste colombienne (JUCO) et activiste de l’ACEU à l’Université de Cundinamarca. Il a été assassiné pendant un match de football à Suacha, au sud de Bogota par un inconnu qui est entré dans le stade, a tué notre camarade et a disparu tout de suite après. Selon les autorités judiciaires, Klaus a été tué suite à une dispute lors du match. À notre avis ce crime est un assassinat politique contre un militant très actif dans sa ville et son université. Le camarade Miguel Angel Barbosa, étudiant de l’université « Distrital Francisco Jose de Caldas » de Bogota, a été blessé lors d’une manifestation. Il est mort un mois et demi après à l’hôpital.
Les arrestations illégales et les montages judiciaires ont toujours cours. Cette année, quatre étudiants de l’université de Antioquia à Medellin ont été arrêtés après la manifestation du 1er mai. De retour chez eux, des policiers habillés en civil les ont interpellés, pris leurs sacs et ont mis de fausses preuves pour les incriminer comme des guérilleros. Après un mois en prison, les étudiants ont été libérés par manque de preuves.
Le défi n’est pas simple pour les jeunes de Colombie. Les dangers et contraintes n’empêcheront pas les étudiants et universitaires de rester debout pour faire face aux ennemis de la paix. Car la paix a besoin de l’université et pour cela, l’université a besoin d’être critique, créatrice et transformatrice.
Nous n’avons pas peur des armes et des cris des ennemis de la paix. Nous allons remplir les rues de Colombie pour dire oui à la paix, oui à la réconciliation et oui à un nouveau pays. L’histoire dira si c’est une réussite ou un échec, pour le moment, nous nous posons une seule question « Pourquoi pas ? ». De la même façon que nos camarades de mai 1968, nous disons en Colombie « L’imagination au pouvoir » pour construire la paix.
*Alvaro Forero Hurtado est responsable des relations avec l’Europe de la Jeunesse communiste colombienne (JUCO).
La Revue du projet, n°59, septembre 2016
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