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Football professionnel et amateur

La Revue du projet parle peu de sport, pourtant il y aurait beaucoup à dire. Alors que nos sociétés occidentales connaissent un chômage et une précarisation sans cesse croissants, il est un domaine qui semble curieusement épargné : le football professionnel. Inflation salariale, transferts aux sommes délirantes, contrats de parrainage toujours plus impressionnants, les sommes sont dépassées chaque jour. Pour beaucoup de personnes issues des quartiers populaires, le foot est devenu un des rares moyens d’échapper à la morosité du quotidien, mais aussi, et surtout, l’une des rares possibilités d’ascension sociale. Les capitalistes l’ont bien compris. Faisant miroiter gloire, célébrité, et argent à profusion, ils ont élevé au rang d’idole le sportif professionnel pour les plus modestes, fidèles au vieil adage « du pain et des jeux ». Exit la figure de l’ouvrier qualifié, cultivé et encarté, jadis édictée comme l’exemple à suivre. Aujourd’hui, le modèle est ailleurs. Il est à rechercher dans le sportif starisé, footballeur de Ligue 1, tennisman, voire telle vedette d’autres sports, devenus les nouvelles idoles contemporaines. Ne généralisons pas, il y a des sportifs de haut niveau au SMIC. Ce basculement dans l’imaginaire collectif constitue un réel bouleversement et traduit une forme d’american dream à l’européenne. Pas question d’épanouissement, juste de réussite financière. Le mot d’ordre « footballeur ou chômeur » pour des enfants de travailleurs désœuvrés par la désindustrialisation, beaucoup ne voyant plus de possibilité de réussite économique par l’emploi, est devenu une réalité objective.

Dans cette quête d’organisation d’un système professionnel formant de futurs produits rentables et/ou jetables, les capitalistes ont su bâtir des machines bien rodées : réglementation de l’encadrement, détection systématique des nouveaux talents, sélection minutieuse des meilleurs d’entre eux avec obligation de résultats pour rester dans « la course au rêve ». Cette organisation parfaitement huilée, ayant pour but ultime l’enrichissement personnel de ceux qui tirent les ficelles, bénéficie, comble du paradoxe, de l’appui des politiques publiques. Alors qu’aujourd’hui, des milliers de structures amateurs peinent à poursuivre leur objectif d’éducation populaire, souvent par faute de financement, les clubs professionnels sont considérés comme des vitrines à mettre en avant et qu’il faut appuyer. Ainsi, régulièrement, surtout en football, ils se voient attribuer d’importantes subventions publiques, alors même qu’ils dégagent des excédents records et rétribuent grassement leurs sportifs, souvent à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par mois. Le petit club de quartier, qui n’a pas la chance de pouvoir compter sur du matériel de qualité, se verra griller la politesse par le grand club vedette dans le classement des attributions de subventions annuelles. Alors les politiques publiques, coupables ? Ce qui est sûr, c’est qu’au travail social éminemment politique s’est substituée dans l’hémisphère politique une obligation de rendement, de résultats, avec à la clé une répartition financière en fonction des performances. S’en suit une inévitable fragilisation des structures et pratiques sportives en direction des classes populaires qui n’en ont pourtant jamais eu autant besoin.

Autrefois largement investi par les militants politico-associatifs, véhiculant des notions de solidarité, d’effort, de travail d’équipe et de solidarité, le sport amateur est à son tour emporté par la recherche absolue de la performance. Afin de participer à la course à l’échalote, les « amateurs » en oublient parfois le rôle social et populaire de leur pratique. Élément constituant d’une société, elle possède une forte dimension politique qui ne peut être niée. Les forces progressistes et communistes, longtemps à l’avant-garde d’un sport populaire, devraient en être persuadées, or trop souvent elles le boudent, en le croyant condamné à l’affairisme et au bling/bling. La reconquête d’un sport au service de l’émancipation humaine et débarrassé de sa marchandisation passera nécessairement par un investissement massif des forces progressistes. Sinon, le règne des vautours aura encore de beaux jours devant lui.

Il existe déjà d’autres visions de la pratique sportive, avec des initiatives aujourd’hui non coordonnées qui se mettent peu à peu en place pour permettre au sport de retrouver son rôle initial. Du  « Spartak lillois » à « l’Internationale de Lyon », il naît des volontés militantes de retrouver l’esprit sportif réel, celui de la progression, de l’épanouissement physique et moral d’avant l’ère de la financiarisation. Il n’appartient qu’aux forces progressistes et communistes de s’y investir massivement. n

Julien Giraudo (Lyon) et  Nans Noyer (Vaulx-en-Velin)

La Revue du projet, n° 58, juin 2016
 

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le 20 June 2016

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