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Face aux sourires de Macron

Vous l’aurez noté, notre remuant ministre, à l’approche des appareils photo et des caméras, ne manque pas de relever les commissures de ses lèvres pour arborer ce large sourire qui plaît tant aux communicants. À tel point que… Faites le test : fermez les yeux et pensez à Macron. L’image qui vous vient en tête est celle d’un Macron souriant, non ? Si ce n’est pas le cas, c’est peut-être que vous lisez trop La Revue du projet… Mais ne développons pas : on a tout dit sur la place croissante, envahissante, étouffante de la comm’ dans le monde politique. L’affaire n’est pas neuve : Jean-Jacques Servan-Schreiber (« JJSS »), il y a un demi-siècle, avait déjà beaucoup fait en la matière. Au-delà, le suffrage universel, en poussant les partisans du capital à travestir leurs objectifs pour rallier les cœurs et les votes du plus grand nombre, nous a habitués de longue date à ce que maints hommes et femmes politiques travaillent ardemment à se composer une image populaire.

« Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité et j’ai vu de grands comédiens là-dessus » lance Toinette dans Le Malade imaginaire de Molière. C’est tout le drame : le sourire faux ressemble au vrai et, répété, s’imprime, s’associe à l’image de celui qui le porte. Drame implacable mais drame par trop connu. Drame usé aussi.

Parlons plutôt de cet autre sourire de Macron, non pas le faux, celui qui camoufle l’indifférence ou l’hostilité, mais le vrai, celui qui révèle le fond de notre bon ministre. Ce vrai sourire est presque aussi fréquent que le faux. Vous l’avez déjà vu : Macron face à André Chassaigne portant l’opposition au projet de loi El Khomri à l’Assemblée nationale. Macron face à des ouvrières et des ouvriers, surtout quand ils sont syndiqués à la CGT et qu’ils lui présentent leurs solutions, leurs idées pour que leur entreprise, le pays tourne. Immanquablement, Macron, alors, sourit : sourire de mépris, sourire suffisant, sourire hautain. Un sourire qui dit de longs discours intérieurs : mais bien sûr… toi, pauvre demi-analphabète, toi, tu aurais des idées pour notre économie… Tu aurais même des idées auxquelles moi, je n’aurais pas pensé. Ni moi ni les grands experts des banques que je connais bien… Franchement, quelle plaisanterie ! Tu n’es pas en état d’avoir des idées sérieuses, mon pauvre sans-dents et sans-cervelle ; tu n’appartiens pas au cercle de ceux qui sont habilités pour savoir. Tu fais le fier à bras, mais tu ferais mieux de te taire et de m’écouter : moi et les miens, nous savons…

Ce sourire-là, il est bien sûr absolument infondé : le petit génie Macron et ses acolytes banquiers avaient-ils vu venir cette crise ? Se sont-ils révélés capables de dynamiser notre industrie ? de réduire le chômage ? de répondre aux grands défis de connaissance ? du développement humain ? Et les plans élaborés par les salariés licenciés par les appétits aveugles des actionnaires, valent-ils vraiment moins que ceux de Mittal, de Varin, de Ghosn & consorts, alors que chacun et chacune de ces salariés disposent d’une connaissance précise qui, mise en commun, devient redoutablement massive et pénétrante ? Non, ce qui se présente comme un sourire d’aristocrate savant devant le bas peuple ignare n’est qu’un sourire d’incapable devant des êtres de chair, d’os et de matière grise qui savent de quoi ils parlent. C’est un sourire qui n’a pas les moyens de son mépris de classe.

Et pourtant… Quelle puissance dévastatrice ! Combien de salariés, dans notre pays, finissent par intégrer ce sourire qui les surplombe, les écrase, avec tout le discours qu’il charrie et incarne : on n’y comprend rien. Est-ce qu’on est vraiment légitimes à donner un avis ? Le phénomène touche de larges pans de notre société : parmi les couches populaires, si continûment et brutalement méprisées, parmi les couches moyennes du salariat aussi, fussent-elles diplômées.

Notre impérieux travail pour faire prendre – rouge mayonnaise sociale – la conscience de classe de notre temps, passe immanquablement par cette case décisive et par trop désertée : fierté. Non qu’il faille faire accroire qu’en l’état, nous, les 99 %, soyons tous pleinement prêts. Ce n’est peut-être pas vraiment encore le cas ; mais si nous ne sommes pas les titans que nous pourrions être, nous ne sommes pas ces gnomes dessinés par le sourire macronesque. Surtout, organisés, déterminés, nous pourrions, nous pourrons faire voler ces sourires et reprendre en nos mains les destinées de notre monde accaparé par une poignée de misérables ricaneurs. La puissance du mouvement contre la loi El Khomri ne nous en donne-t-il pas comme un avant-goût ?

Guillaume Roubaud-Quashie
Directeur de La Revue du projet

Apprends ce qui est le plus simple
Il n’est jamais trop tard
Pour ceux dont le temps est venu !
Apprends l’ABC, cela ne suffit pas, pourtant
Apprends-le ! Ne te laisse pas rebuter
Commence ! Tu dois tout connaître.
Car tu dois diriger le monde.
Apprends, homme à l’hospice !
Apprends, homme en prison !
Apprends, femme en ta cuisine !
Apprends, femme de soixante ans !
Car tu dois diriger le monde.
Va à l’école, sans-abri !
Procure-toi le savoir, toi qui as froid !
Toi qui as faim, jette-toi sur le livre ; c’est une arme.
Car tu dois diriger le monde.
N’aie pas peur de poser des questions, camarade !
Ne te fie à rien de ce qu’on te dit,
Vois par toi-même !
Ce que tu ne sais pas par toi-même,
Tu ne le sais pas. Vérifie l’addition.
C’est toi qui la paies,
Pose le doigt sur chaque somme,
Demande : que vient-elle faire ici ?
Car tu dois diriger le monde.

Bertolt Brecht, Éloge de l’instruction

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Face aux sourires de Macron

le 19 juin 2016

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