La revue du projet

La revue du projet
Accueil
 
 
 
 

L’espace méditerranéen à l’épreuve de la question migratoire, Sylviane de Wangen*

La question des migrations en Méditerranée est devenue dans les pays d’Europe – en particulier en France – et dans l’ensemble de l’espace méditerranéen, un enjeu politique majeur qui a des conséquences sur les autres problèmes majeurs que sont le chômage et la précarité.

Et c’est à raison. La Méditerranée, au carrefour de trois continents, berceau de civilisations et des trois religions monothéistes, lieu de passage, d’échanges, de culture, d’ouverture vers le monde… est un des principaux espaces migratoires du monde. Elle connaît depuis quelques années une « crise des migrations », que l’on devrait plutôt qualifier de crise de l’Europe, crise de la solidarité, et même crise de la politique, voire crise aiguë de cécité. Il s’agit là des migrations « irrégulières », ou « illégales », qui ne sont qu’une partie minoritaire des flux migratoires dans la région.
À chaque nouveau drame médiatisé, les interrogations resurgissent. Les histoires sont tragiques, les images poignantes. On n’en retient que l’impression de grappes d’êtres humains qui veulent à tout prix atteindre l’Europe en transgressant les frontières. Et l’Europe a peur, peur d’être envahie. Exception faite toutefois de nombre de citoyens dans tous ces États qui manifestent de la solidarité envers ces candidats à la migration. Au niveau des gouvernements, quelques manifestations de solidarité se sont aussi exprimées dans le but avoué d’entraîner les autres, en Italie avec l’opération Mare nostrum en 2013-2014 et plus récemment en Allemagne avec la décision suivie d’effet de la chancelière d’accueillir plusieurs centaines de milliers de réfugiés, cherchant ainsi à créer une dynamique européenne. Comme l’Italie, elle a su entraîner une grande partie du peuple de son pays mais pas ses homologues européens.

L’Europe a tenté des réponses :
• les accords de Schengen en 1985, qui ont supprimé les frontières intérieures à l’Union (à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark) tout en renforçant les frontières extérieures sous la responsabilité des États qui les chevauchent.
• la convention de Dublin en 1990, qui a fixé les conditions d’examen des demandes d’asile ; elle a été suivie du règlement Dublin II en 2001 et Dublin III en 2003 qui introduit ces dispositions dans le droit communautaire révisé dans le sens d’un nouveau durcissement en 2013.
• les accords de La Haye en 2004, qui ont harmonisé la lutte contre l’immigration irrégulière.
• En 2004, règlement créant l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union (FRONTEX)
Malheureusement, la communautarisation des politiques migratoires à partir de 2004 n’a fait qu’aller dans le sens d’un durcissement des conditions d’entrée.
Autrement dit, depuis 30 ans, l’Europe, en essayant de mettre en place une politique migratoire et d’asile commune cohérente, a abouti à des surenchères de rejet des migrants et à une politique répressive. Ce faisant, elle a provoqué une explosion du nombre des migrants « irréguliers » (cette notion est d’ailleurs contemporaine au phénomène).
Depuis deux à trois décennies, les chercheurs en la matière alertent sur le caractère contre-productif de cette politique répressive, mettant l’accent sur l’inéluctabilité du développement de la mobilité des personnes et la nécessité de la régler au niveau au moins régional et même mondial.
Pourquoi tant de d’hommes et de femmes prennent-ils des risques vitaux pour eux et leurs familles dans le but d’émigrer ?
Les États parviendront-ils à éradiquer les migrations irrégulières en provenance des zones les plus soumises aux inégalités économiques et sociales, des zones les plus soumises à des pouvoirs autoritaires vers les zones les plus prospères et démocratiques ?

Il devient urgent de faire le bilan du considérable dispositif déployé par l’Union européenne dans sa chasse aux migrants « irréguliers » : une politique de visas d’entrée particulièrement suspicieuse et sévère, la répression des entrées « irrégulières », la construction de murs, tous les moyens technologiques coordonnés de surveillance, de détection, d’identification des fugitifs, l’externalisation du contrôle depuis les pays de départ, la privatisation et la technicisation de la surveillance des frontières, la multiplication d’accords politico-juridiques binationaux et multinationaux, les sanctions à l’encontre des compagnies de transport, notamment aérien, la criminalisation des entrées irrégulières sur le territoire, les reconduites à la frontière y compris dans des conditions indignes de la part d’États qui se revendiquent de l’humanisme, les charters, tout a été fait.
Ces dispositifs, qui représentent un énorme coût moral, financier et énergétique, ont fait la preuve de leur inefficacité puisque la tension générée par cette approche de rejet, voire guerrière, du phénomène des migrations en Méditerranée est due au fait que le nombre des migrants irréguliers ne cesse d’augmenter. D’année en année, les mesures sécuritaires sont contournées d’une façon ou d’une autre, mais avec un coût en vies humaines croissant. Les routes migratoires se déplacent ou plutôt se diversifient sans cesse en temps réel vers les frontières provisoirement plus poreuses et au gré des conditions faites par les pays qu’elles traversent. Comme si pour ces migrants résolus, il n’y avait pas de frontière infranchissable.
Dans le même ordre d’idées, la situation actuelle montre l’échec de la procédure prévue par la convention de Dublin, devenue « règlement Dublin » qui prescrit qu’il ne devrait y avoir qu’un examen d’une demande d’asile dans toute l’Europe et que le pays responsable de cet examen est celui qui a laissé entrer sur le territoire européen, volontairement ou involontairement, le demandeur d’asile. Un réfugié doit donc rester à l’endroit où il a pénétré dans l’Union européenne même s’il souhaite pour des raisons familiales, linguistiques ou autres, aller dans un autre pays. Et les pays où se trouvent les frontières extérieures de l’Union risquent de devoir soit laisser mourir les arrivants à leurs frontières sans les secourir, soit les accueillir au-delà de leurs possibilités faute de solidarité de la part des autres États européens.

Une autre politique est nécessaire et possible
Envisager un changement d’orientation dans l’approche de cette question nécessite d’abord de changer son regard sur les migrants « irréguliers », tant réfugiés qu’autres migrants, pour pouvoir envisager de les accueillir plus et mieux. Ne plus les considérer comme des délinquants, des fauteurs de troubles, voire des ennemis ou de simples victimes des passeurs mais comme des sujets politiques, des citoyens. Ne plus regarder la question comme un problème mais comme un fait de société.
Cela ne risque-t-il pas de provoquer un « appel d’air » ? Peut-être au début. Pour les observateurs attentifs, c’est la démarche sécuritaire cherchant à empêcher toute tentation de mobilité à des peuples entiers qui incite les hommes et femmes les plus désespérés et les plus résolus à défier les frontières et ensuite à ne plus repartir. Ce sont ces obstacles qu’il faut commencer à assouplir. La liberté de circuler, d’aller et venir, détendrait la situation et régulerait progressivement les besoins humains. Même si c’est difficile, et même cela ne se fait pas du jour au lendemain. Une plus grande ouverture des frontières, une délivrance de visas plus généreuse diminuerait le recours aux passeurs ; un accueil organisé de réfugiés à l’appel du HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) comme dans les années 1970 permettrait aux États une meilleure maîtrise de la situation et faciliterait les mouvements dans les deux sens, permettrait l’ouverture d’un large débat démocratique dans le respect de l’intérêt bien compris de l’humanité et ferait obstacle à l’utilisation politicienne de la question.
Une révision de la politique d’asile de l’Union européenne devrait reposer sur une reconsidération du « règlement Dublin », qui n’a pas montré son efficacité, puisque la « pression migratoire » est plus forte. Redonner sa pleine réalité au respect des dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés (1951) en laissant assumer son rôle au HCR qui semble avoir été mis à l’écart ces dernières années.

Ce dont on a aujourd’hui besoin pour traiter des grandes questions de dimension planétaire, parmi lesquelles la question des migrations internationales, c’est d’une gouvernance mondiale démocratique affranchie de la tyrannie de la souveraineté des États nations même si ceux-ci gardent un rôle fondamental dans l’organisation de la vie des citoyens et dans la vie internationale – c’est encore une belle utopie – en passant par le niveau régional, en l’occurrence les niveaux européen et méditerranéen.
Les manifestations de solidarité avec les migrants (et les réfugiés) en détresse qui ont lieu dans la plupart des pays d’Europe et de la Méditerranée sont encoura­geantes car elles peuvent inciter les gouvernants à engager une vraie réflexion collective visant à définir, au niveau pertinent, d’abord régional puis mondial une politique à la hauteur des enjeux.

*Sylviane de Wangen est membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée.

La Revue du projet, n°57, mai 2016
 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

L’espace méditerranéen à l’épreuve de la question migratoire, Sylviane de Wangen*

le 04 June 2016

    A voir aussi