Le scandale des « Panama papers », révélant les rouages du système d’évasion fiscale à grande échelle organisé par l’intermédiaire du cabinet Mossack Fonseca, a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, et l’on n’a sans doute pas fini d’en entendre parler. Les sommes d’argent qui sont en jeu sont d’une telle ampleur qu’il est difficile, pour la plupart d’entre nous, d’en prendre véritablement conscience. C’est d’ailleurs parce que le pactole panaméen dépasse littéralement l’entendement qu’il avait absolument vocation à rester caché aux yeux du plus grand nombre. Seulement voilà, le mal est fait, le Consortium international des journalistes d’investigation a trouvé la faille et les dominants sont pris la main dans le sac. Le roi est nu. On comprend que le monde des riches s’affole, que leurs porte-parole paniquent, à l’image d’Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, ne craignant pas de comparer la publication de la liste des évadés fiscaux à celle des victimes du sida.
Si la peur les saisit, c’est bien en raison des effets que de telles révélations risquent d’avoir, de la menace qu’elles font peser sur leur monde.
La lutte des classes existe
Et face au danger qu’ils sentent poindre à l’horizon, tous ces gens font preuve d’une solidarité de classe à toute épreuve. C’est ce qu’ont montré de manière exemplaire les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans plusieurs de leurs ouvrages. Quand leurs intérêts sont menacés, les tenants du capital s’avèrent plus soudés que jamais. Il n’est pas pour autant question de théorie du complot, d’une oppression qui serait fomentée par quelques êtres diaboliques qui auraient décidé de s’associer et de s’entendre. Voir les choses ainsi reviendrait à raisonner à l’envers et à dédouaner à bon compte les structures mêmes du mode de production capitaliste. Nous n’avons pas affaire à la dérive sordide, orchestrée par une poignée d’individus, d’un système qui en lui-même serait irréprochable ou tout au moins moralisable. Les « Panama papers » ne sont que la partie désormais émergée de l’iceberg. On connaît la phrase du milliardaire états-unien Warren Buffet, reconnaissant sans ambages que la lutte des classes existe bel et bien et que les forces du capital sont en train de la gagner. Le scandale des « Panama papers » en est la confirmation – ou plutôt la confirmation partielle. Que la lutte des classes existe, il n’est plus permis d’en douter. Que le capital soit nécessairement en position de l’emporter, c’est ce qui est moins sûr et qui, pour tout dire, dépend de nous.
L’enjeu central de notre temps est de montrer que nous sommes bien les 99 %, autrement dit que les exploités sont majoritaires et qu’ils ont intérêt à s’unir et à faire preuve d’une solidarité encore plus grande que celle qui cimente le club des 1 %. Inutile d’entrer ici dans les détails des fausses divisions qu’on veut nous faire prendre pour de vrais clivages, elles sont connues : travailleurs du public contre travailleurs du privé, employés contre privés d’emploi, « Français » contre « étrangers »… Face à elles, il importe que l’affirmation : « nous sommes les 99 % » devienne plus qu’un slogan et prenne la consistance d’une réalité en acte. C’est l’enjeu auquel sont confrontés tous les mouvements qui fleurissent dans le pays depuis plusieurs semaines, de la mobilisation contre le projet de loi El Khomri aux Nuits debout. La question : comment massifier ? est sur toutes les lèvres. Et pour cause. Marx disait déjà en son temps qu’une idée devient une puissance matérielle lorsqu’elle s’empare des masses. À ce titre, l’éclosion de ces « cent fleurs du mois de mai » que chantait Jean Ferrat a de quoi nous donner espoir. Il est bon de se souvenir qu’il y a quatre-vingts ans tout juste le Front populaire ouvrait la voie des conquêtes sociales pour la France. En 1936, la coïncidence de l’espoir politique et du mouvement social avait su imposer au capital des concessions de taille.
Un autre monde est possible
Le contexte a changé bien sûr, et il ne s’agit pas d’appliquer mécaniquement une recette miracle. Le Front populaire est simplement là pour nous rappeler qu’un autre monde est possible, contrairement à ce que nous martèlent à longueur de journées les dogmes néolibéraux. Nous ne disposons pas de solutions toutes faites mais nous cherchons, inlassablement, des réponses. Les chemins de l’alternative politique – qui passent par la prise de conscience que les 99 % doivent s’unir – seront au cœur des débats du congrès du Parti communiste français qui se tiendra au début du mois prochain. La Revue du Projet entend jouer son rôle d’outil au service des communistes, pour approfondir et enrichir les débats. N’hésitez pas à vous en saisir, à vous l’approprier, à la faire connaître aux communistes, mais aussi au-delà de nos rangs. Car c’est au plus près de la population, dans l’échange et la discussion avec les classes populaires, que nous pourrons tenter de construire des réponses satisfaisantes. C’est notamment la vocation de la grande enquête intitulée « Que demande le peuple ? », lancée dès à présent par les communistes et visant à faire émerger les exigences des citoyennes et des citoyens. Les résultats de cette consultation seront synthétisés nationalement et rendus public lors de la prochaine Fête de l’Humanité. Sachons rendre productives les milliers de rencontres que nous avons l’ambition d’organiser. Il y a du pain sur la planche ! n
Jean Quétier
Rédacteur en chef
de La Revue du projet
La Revue du projet, n°57, mai 2016
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