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Fukushima ! Quel avenir énergétique pour le monde ? Claude Aufort

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   Quels débats après Fukushima ? Un séisme d’une intensité rarement atteinte dans l’histoire de l’humanité, un tsunami d’une ampleur colossale et maintenant la perspective d’un accident nucléaire majeur ; telle est la situation douloureuse que traverse le Japon. Il est impossible aujourd'hui de prévoir comment finira cette dramatique situation. Cette terrible épreuve appelle à la retenue dans les commentaires et à la solidarité avec le peuple japonais. Nous devrons dans un proche avenir tirer toutes les leçons de cette catastrophe. Les enjeux sont considérables et méritent une analyse sérieuse des risques, techniques, sociaux et politiques des choix énergétiques de la France. Prenons le temps de la réflexion, ne nous laissons pas entraîner vers des décisions précipitées. Elles engageront toute la communauté internationale. Les grands défis du 21ème siècle sont identifiés. L'énergie et le développement économique y cohabitent avec l'explosion démographique, la pauvreté, la détérioration de l'environnement, l'agriculture et l'industrialisation. Pour que ces défis débouchent sur un progrès universel dans un monde solidaire, le dépassement du capitalisme est à l'ordre du jour. Par ailleurs, nous ne prendrions pas la mesure des enjeux mondiaux que nous devons affronter si nos débats s'enfermaient dans un égocentrisme national inadapté.   Le monde va avoir besoin de beaucoup d'énergie   D’ici trois ou quatre décennies, la population va croître de 3 milliards d’individus qui naîtront principalement dans les pays en voie de développement. La résorption des inégalités énergétiques (un facteur 13 entre l'Américain et l'Africain moyen) ou des problèmes comme l’accès à l’eau potable vont considérablement accroître les besoins en énergie. La fin du pétrole et du gaz bon marché, le réchauffement climatique (catastrophe majeure à terme) nous obligent à une transition énergétique sans précédent. Dans ces conditions, pour faire face aux besoins, la consommation mondiale d'énergie primaire dans quelques décennies dépassera sûrement les 20 milliards de tep par an soit plus du double de celle de 2000. Pour répondre à ces besoins gigantesques, le monde devra utiliser toutes les sources d'énergie que l'humanité saura maîtriser. Le risque le plus important n'est pas nucléaire. C'est le risque de pénurie d'énergie qui débouche le plus souvent sur la guerre. Face à ces contraintes inédites, la recherche d'une politique énergétique crédible est vitale. Elle doit prendre en compte la nécessaire solidarité internationale (par exemple réserver le pétrole le moins cher possible aux pays les plus pauvres) et les spécificités de notre pays pour qu'il puisse préserver et développer son potentiel industriel. Pour que notre pays divise par 4 ses émissions de CO² dans l'atmosphère dans la foulée des recommandations des climatologues du GIEC, nous devons prendre en compte de manière substantielle des économies d'énergies, une augmentation de l'efficacité énergétique, une part importante d'énergies renouvelables adaptées aux conditions spécifiques de notre pays (son réseau électrique) et la poursuite des constructions d'unités nucléaires. Une forte pénétration du vecteur électricité semble inéluctable dans la perspective notamment du véhicule électrique. Il faut viser à réduire les tonnes d’équivalent pétrole (tep) consommées, intégrant ainsi le souci de dégager progressivement notre économie du pétrole (plus généralement des combustibles fossiles). Celui-ci va devenir de plus en plus cher du fait des compétitions du marché mondial et des difficultés croissantes rencontrées lors de son extraction. Cette transition énergétique sans précédent, a besoin pour être crédible, de l'indispensable compétence et de la créativité des techniciens de l'énergie (ingénieurs et chercheurs) [1] .     Fukushima ! ...  Le nucléaire est-il maîtrisable ? L'énergie issue du noyau atomique est très concentrée. Elle est environ un million de fois plus grande que l'énergie mise en jeu dans la combustion des énergies fossiles. La fission d'un gramme d'uranium produit plus d'énergie que la combustion d'une tonne de pétrole sans émission des gaz à effet de serre. C'est un avantage considérable qui permet un coût de production de l'électricité très inférieur à celui des autres formes d'énergie, un stockage de plusieurs années de production qui nous met à l’abri des aléas du marché et une certaine indépendance énergétique malgré nos très faibles ressources énergétiques. Mais cette énergie nucléaire entraîne des risques accrus d'accidents graves. L'analyse de l'accident de Fukushima nous dira les responsabilités respectives du groupe privé japonais TEPCO, de l'Autorité de sûreté de ce pays et de son gouvernement, dans ce qui apparaît être aujourd'hui une sous-estimation du risque de tsunami au Japon. Par ailleurs, le nucléaire comportant un potentiel de risque très supérieur à celui d'autres activités, les entreprises de ce domaine doivent accorder la priorité absolue à la sûreté avant la rentabilité financière. Il n'est pas possible d'envisager sérieusement le développement de l'énergie nucléaire avec une logique de rentabilité maximale accompagnée d'une dégradation programmée du sens du travail. La privatisation des profits accompagnée d'une socialisation des charges (donc des coûts des accidents), n'est pas acceptable. Cela doit nous interroger sur la manière dont cette technologie et cette industrie sont gérées. Les compétences individuelles et collectives, l'organisation des collectifs de travail, leur valorisation, la culture de sûreté et le sens des responsabilités de tous les salariés sont les conditions essentielles d'exploitation des industries à risques. Nous avons besoin d’un nouveau type d’entreprise qui permette, sur toutes les questions, notamment  la sûreté, d’accroître le pouvoir des salariés et ceux des citoyens. Nous devons opérer un rééquilibrage entre les pouvoirs du capital, ceux du travail et l'intérêt collectif national. Nous avons aussi besoin d’entreprises qui augmentent considérablement leurs efforts en direction de la recherche pour arriver à une meilleure maîtrise de la gestion de la Terre.   Appropriation sociale du développement technologique L'énergie est devenue maintenant l'affaire de la société tout entière. Nous sommes face à un changement de civilisation qui implique un changement qualitatif dans la gestion des hommes, des connaissances et des technologies. Nous devons imposer, un véritable contrôle démocratique des industries, notamment à risque, et une co-construction de l'univers technique dans lesquels nous évoluerons pour parvenir à une appropriation sociale du développement technologique. C'est avec les services publics de l'énergie que nous pourrons ainsi montrer que développement social et développement technologique ne s'opposent pas mais se complètent pour sauver la planète et répondre aux besoins énergétiques des habitants de la Terre. C'est à cette condition que les sociétés n'auront plus peur du progrès.     Claude Aufort,chercheur- ancien administrateur du CEA   [1] De ce point de vue, les travaux effectués par les adhérents de l'association "Sauvons le climat" (www.sauvonsleclimat.org) méritent de notre part une attention particulière, notamment en ce qui concerne le scénario "Négatep" qu'ils proposent pour la France.

Il y a actuellement 1 réactions

  • Energie

    Oui, bien sûr tout cela est bel et bon. Claude a raison dans ce qu'il dit, mais j'aimerais aussi qu'on ose poser le problème de ce qu'on produit, pourquoi on produit et comment on produit. Ainsi, si au lieu d'extrapoler les courbes de consommation d'énergie on se posait la question de se placer non plus par rapport à la production mais par rapport aux besoins (ce qui ne résout pas le problème de leur expression, soit, mais chaque chose en son temps) on se trouverait déjà devant un tableau différent. J'ai fait une telle étude pour la revue "La Pensée" en 2004, il y a des pistes sérieuses à envisager là me semble-t-il car le nucléaire oui, quand on ne peut pas faire autrement, mais le moins possible. Contrairement au discours écolo irresponsable, le danger n'est pas dans les déchets, mais dans les centrales. Il faut quand même dire qu'un "Tchernobyl" ou équivalent en France, et c'est 1/3 du territoire qu'il faut évacuer, ça fait vilain dans le tableau non ? De plus, la filière nucléaire a sa cohérence, et il faut construire des sur-régénérateurs pour réutiliser les déchets, sinon, les stocks d'uranium seront vite épuisés. La décision électoraliste (ça n'a pas marché !) de Jospin d'arrêter l'expérience de superphénix est une imbécillité de plus d ela social-démocratie prête à toutes les compromissions pour gagner quelques voix. On voit ce que ça donne.
    Ivan

    Par Ivan, le 13 mai 2011 à 23:14.

 

le 09 avril 2011

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