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Dans les métropoles, agir contre le mal-logement et la spéculation immobilière, Ian Brossat*

Depuis l’exode rural de la fin du XIXe siècle, les besoins en matière de logement s’accroissent dans les grandes aires urbaines. Inflation des loyers, sur-occupation, habitat insalubre, marchands de sommeil : en regard de ces phénomènes connus du mal-logement d’autres se développent, comme la vacance de milliers de mètres carrés de logements et de bureaux, la spéculation immobilière qui accroît la rareté de l’offre ou la « gentrification » des quartiers populaires. Entre pénurie endémique et enjeux de rentabilité considérable, le marché du logement a fait de longue date la démonstration de son inefficacité dans les métropoles. Face au laisser-faire, la mobilisation politique et l’action publique donnent des résultats.

Faciliter l’accès au logement pour tous est le pivot de toute politique progressiste de l’habitat. C’est la mise en application du « droit à la ville » théorisé par le sociologue Henri Lefebvre. Un droit qui doit aussi être, pour les classes populaires, celui de changer la ville selon la volonté et les besoins du plus grand nombre, et non selon les intérêts de la minorité privilégiée, comme l’établit le géographe David Harvey. D’où l’importance pour la puissance publique de s’imposer face aux logiques de marché.

Vers 30 % de logements sociaux à Paris
À Paris, 20 % des logements étaient sociaux en 2014. La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), dont on a fêté l’an passé le quinzième anniversaire, nous prescrit de passer à 25 % d’ici 2025. Notre ambition est d’atteindre 30 % à l’horizon 2030. Ces objectifs élevés nécessitent un investissement public massif. À rebours du climat d’austérité, et notamment grâce à l’action du groupe charnière PCF/Front de Gauche, Paris a choisi de mettre en œuvre un plan de relance de 10 milliards d’euros sur six ans. Un tiers de ces investissements sera dédié au logement : 3 milliards d’euros, c’est le plus gros budget de la Ville. C’est une réponse à l’urgence sociale. C’est aussi un soutien à l’activité économique (chaque logement construit crée en moyenne 1,7 emploi selon la Fédération française du bâtiment).
Ce choix politique fort se heurte à deux types d’opposition : le manque de moyens organisé par l’État et la résistance au rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest. En effet, d’un côté l’État persiste à diminuer les « aides à la pierre » (en 2015, à elle seule, la Ville de Paris investit davantage que l’État au niveau national pour le logement social). Seuls 250 millions d’euros y seront consacrés en 2016, loin des besoins constatés et du doublement promis par François Hollande durant sa campagne. De l’autre côté, élus de droite et riverains organisent une véritable résistance à l’implantation de logements sociaux dans les « beaux quartiers », ces arrondissements lourdement déficitaires de l’Ouest. Ainsi, le XVIe, arrondissement le plus vaste de Paris et le deuxième le moins dense, demeure l’un des moins dotés en logements sociaux (3,7 %).
Le rééquilibrage territorial est l’enjeu d’une véritable lutte de classe : le maire de cet arrondissement, alimentant les associations de riverains, a ainsi bloqué pendant 10 ans la création de 176 logements sociaux. Dès notre arrivée en responsabilité, nous y avons conventionné plus de 1 300 logements libres, afin que ces logements deviennent de véritables HLM. Nous avons également pu y lancer plusieurs chantiers depuis le début de la mandature, notamment à travers l’optimisation de parcelles existantes, mais aussi par la transformation d’immeubles de rapport ou de bureaux en immeubles de logements sociaux…

Enrayer l’irrationalité
du marché

Investisseurs, promoteurs et marchands de biens ont fait de Paris leur terrain de jeu depuis des décennies, participant à la spirale inflationniste qui modifie la structure sociologique des quartiers populaires. Face à ces acteurs dominants, la puissance publique doit s’imposer. C’est la raison pour laquelle, en s’inspirant des pratiques des municipalités à direction communiste de la petite ceinture, nous avons mis en place une charte anti-spéculative visant à briser les surenchères foncières. Elle fixe pour chaque terrain à construire le montant de la charge foncière attendue, l’acheteur s’engageant sur les prix finaux les plus bas (dans le respect de la qualité).

La plupart du temps, les outils de régulation des élus progressistes consistent à abaisser la sur-rentabilité des opérations spéculatives. Ainsi, le Plan local d’urbanisme (PLU) permet de grever des centaines d’immeubles de réserves, obligeant leurs (gros) propriétaires à créer du logement social s’ils souhaitent vendre leur bien. Les « ventes à la découpe », ces opérations de spéculation immobilière menées tambour battant ces dernières années, se sont vues stoppées par notre opposition systématique. La Ville utilise notamment l’outil de la préemption pour permettre, chaque fois que c’est possible, le maintien dans leurs logements de locataires qui en auraient été chassés. Enfin, enjeu de taille en cette ère « d’uberisation », le grignotage des surfaces de logement par la location meublée touristique de courte durée appelle une réaction de la municipalité. Barcelone ou New York, villes gérées par la gauche, ont mis en place de fortes limites à la toute-puissance des plateformes qui monnaient leurs services aux utilisateurs tout en défiscalisant via les paradis fiscaux. Les populations acceptent de moins en moins le mitage des immeubles dû à la rentabilité plus forte de la location de courte durée, qui rapporte près de trois fois plus que la location traditionnelle.
Ainsi, dans une grande métropole comme Paris, l’encadrement des loyers ne peut être que le premier acte d’un plan plus vaste de démarchandisation du logement. Pour consolider le droit à la ville, les communistes sont appelés à inventer.

*Ian Brossat est maire adjoint (PCF) de Paris, chargé du logement et de l’hébergement d’urgence.

La Revue du projet, n° 55, mars2016

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Dans les métropoles, agir contre le mal-logement et la spéculation immobilière, Ian Brossat*

le 01 April 2016

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