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Marcher sur ses deux jambes, Isabelle Lorand*

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Le Front de gauche peut créer l’événement du scrutin de 2012

Qu’un ténor de la deuxième gauche qualifie de renoncement et de faillite cette voie en dit long sur la période politique et idéologique ouverte par la crise de 2008. Il est de première importance d’en prendre la pleine mesure à 18 mois des échéances présidentielles et législatives. Exit l’alliance PS-Centre, banni le candidat du FMI, hors-jeu le grand écart politique d’EELV (Europe écologie-Les Verts). Place aux solutions alternatives, aux nationalisations et à la planification !...la gauche devra marcher sur ses deux jambes.Pour partir du pied gauche, le rapport de force au sein de la gauche est capital. Les échecs de la gauche européenne ont partout les mêmes ingrédients. Une gauche mal à gauche composée d’une social-démocratie hégémonique et d’une gauche radicale inexistante ou divisée. En revanche, les expériences d’Amérique latine - qui ont en commun une recomposition à gauche - semblent inscrire la transformation sociale et démocratique dans la durée. L’ambition du Front de Gauche est à ce niveau. Ne croyons pas qu’il s’agisse de politique fiction, nous devons viser le carton ! A condition de créer une dynamique propulsive ? La qualité, la crédibilité, l’acceptabilité des propositions ne font pas la maille. Nous devrons être un vote utile, avoir un positionnement politique clair et audible, et être porteur d’espoir et de désir.

 

I - Être un vote utile

Un Front de Gauche qui part gagnantPour exister il faut jouer dans la cour des grands. L’image que nous renvoyons reflète celle que nous avons de nous-mêmes. S’extraire du statut de looser, d’outsider et disputer le leadership à gauche. Un Front de Gauche politique et socialPour réussir le pari d’un rassemblement populaire à gauche, Julliard pointe la place du mouvement social. Contrairement à lui, je ne crois pas au miracle de la substitution du social au politique. En revanche, raccorder le social au politique est essentiel. A cet égard, l’embryon de mouvement qui se construit autour du Front de Gauche, l’engagement de syndicalistes, de militants associatifs, d’intellectuels... commence à faire sens. Un Front de Gauche élargiLa capacité à rassembler les organisations politiques positionnées sur une alternative au libéralisme sera également déterminante. Le FDG a raison d’interpeller le NPA. Il devra élargir cette sollicitation aux autres organisations de la gauche radicale. Un Front de Gauche solide sur sa base électoraleEnfin la mobilisation du cœur de notre base électorale sera décisive. Salariés des services publics, quartiers populaires, et jeunesse devraient être ciblés avec obstination. Non pas qu’il faille laisser pour compte les autres. Mais parce que la mobilisation de ces populations est à mes yeux un levier de dynamique politique propulsive.

 

II - Avoir un positionnement

politique clair et audible.Dans l’électorat de Gauche deux éléments seront structurant des votes : « TSS : Tout sauf Sarkozy » et « Tout sauf un remake du 21 avril ». Tout obstacle à la victoire de la gauche, tout diviseur, sera disqualifié. Le marginal, le satellite seront laminés. « Hors de question de perdre sa voix ».Dépositaires de la lutte antifasciste, nous sommes un rempart anti-Le Pen. Nous sommes des TSS, des acteurs inconditionnels de la défaite de Sarkozy. Pour autant, si les différences à gauche étaient estompées, l’espace serait grand ouvert au PS. Au monde des petites phrases et du buzz, le numéro d’équilibriste sera difficile. Les pensées claires font les discours clairs. Deux conceptions de l’avenir sont en débat à gauche. Le débat n’est pas entre un peu plus ou un peu moins de gauche, mais porte sur la nature du changement : réguler, améliorer le capitalisme ou en finir avec le capitalisme – moraliser la concurrence ou choisir la coopération – encadrer la vidéosurveillance ou la combattre – respecter le pacte de stabilité ou embaucher des fonctionnaires – policer la Vème République ou convoquer des Etats généraux constituants - ouvrir des maisons de santé privées ou des centres de santé publics...

 

III - Etre porteur d’espoir et de désir

L’adhésion politique est tout sauf mécanique. Produire du désir, de la mobilisation politique est une alchimie complexe. Il faut savoir mobiliser les subjectivités. Modernes et optimistes. Perturber sérieusement nos pratiques n’est pas une antienne. Les tribunes de quinquagénaires masculins et blancs, les tracts pleurnichards d’une tristesse infinie, les listes de propositions géniales et parfaitement démontrées...   Certains pensent qu’on est dans le détail,  je pense qu’on est dans l’essentiel. On dit autant, plus par ce que l’on est, que par ce que l’on prononce.

 

...incarner l’alternative

La radicalité a un problème : donner à voir ce que pourrait être un au-delà du capitalisme. Hier en Europe, aujourd’hui de la Bolivie à l’Egypte, les révolutions s’articulent à des objectifs simples et précis : du pain et la liberté. Le 19ème siècle a inventé les modèles du post-capitalisme. Le 20ème les a plantés.Nous ne voulons pas renouer avec les modèles. En même temps, nous avons besoin de modéliser. Au sens mathématique du terme : illustrer un phénomène abstrait. Nous avons un projet global, complexe pour la France, pour le Monde. Il est par essence abstrait. Le programme doit illustrer notre vision, incarner le sens, au travers de propositions simples et emblématiques pour vivre mieux le présent et exalter l’avenir. Pas un inventaire à la Prévert, exhaustif et à la cohérence mystérieuse, mais quelques idées forces sur des sujets discriminants dans les choix électoraux en 2012. La fracture sociale en 1995, la sécurité en 2002... Quels seront les discriminants du vote en 2012 ? Quels sont ceux que nous souhaitons faire émerger ? Quelles idées forces ? Je pointerai dix discriminants et en développerai certains pour préciser ce que j’entends par propositions emblématiques.

 

1 • Les grands travaux pour vivre bien ensemble

Les grands travaux sont un facteur de vivre mieux, de création d’emplois et de dynamisme économique.Depuis la fin des années 70, la France n’a plus engagé de grands travaux à l’exception du TGV. Les infrastructures existantes sont vieillissantes, et les nouvelles manquent.La crise du logement appelle la création de 120 000 logements par an pendant 10 ans. Dans les grandes villes, la consommation d’énergie des bâtiments est une des principales sources de pollution de l’air. La modernisation des logements sociaux existants et leur mise aux normes environnementales sont à planifier sur dix ans. Cette recomposition de la politique du logement s’articulera à la mixité sociale, générationnelle et d’usage des bâtiments.Les transports en commun - rail, fleuve - urbains, régionaux, et interrégionaux seront développés. La notion de transports publics devrait répondre à des besoins individuels : taxi, auto lib’... contribuent au droit au déplacement, même en cas de perte d’autonomie. Une politique tarifaire incitera l’utilisation des transports en commun (gratuité pour les transports quotidiens, réduit pour les congés payés, favorisant les formes type train-auto...)Un transfert de la route sur le fret-fleuve sera engagé pour aboutir à une inversion en dix ans (2 mandatures) du rapport fret-fleuve/route. Le fret et le fleuve sont moins polluants, moins encombrants (A86 : plus grand embouteillage d’Europe du fait de la présence massive de camions), moins dangereux, et moins chers (fort impact des poids lourds sur l’entretien des routes).

 

2 • Partager les richesses, une autre idée de l’argent

L’argent qui devrait être un moyen d’échange entre des activités utiles socialement est devenu une marchandise en soi. Il convient de revenir à une notion saine de l’argent : c’est un bien commun, reflet de l’activité sociale collective.Echelle de revenu : Une société dans laquelle un patron gagne 300 fois plus qu’un salarié, est inique. Quelle vie vaut 300 fois une autre vie ? Une échelle de revenus de 1 à 10 (1 600 – 16 000 €) sera instaurée.Reforme fiscale : La fiscalité est la contribution de chacun au bien commun. Cette contribution doit être progressive pour atteindre 100 % pour les revenus supérieurs à 16 000 €. Les banques : La crise de 2008 a démontré l’irresponsabilité sociale des banques privées. La maîtrise publique passe par la nationalisation des grandes banques françaises et la préférence de banques coopératives. Un pôle public bancaire pourrait mettre en cohérence les banques publiques, les banques coopératives, et même les banques de dépôts privés dans le cadre d’une charte éthique de l’argent.

 

3 • L’égalité des Droits

Sociaux : Le droit à la connaissance et à la santé sont inaliénables. Trois décennies de disette ont détérioré l’école et le système de santé. Il faut remettre la France à l’endroit.Un plan Marshall de l’hôpital public visant à conjurer la crise de l’hôpital fera l’objet d’une consultation nationale dès les cent jours. Le développement des Centres de santé publics municipaux sera une priorité. L’Etat devra assurer leur financement. Enfin, une politique incitative auprès des soignants favorisera l’activité médicale sans dépassement d’honoraires.Civiques : On vit ici, on bosse ici, on reste ici, on vote ici. La crise financière démontre que le problème n’est pas la libre circulation des Hommes, mais celle de la finance. Les migrations ont toujours été, depuis le Neandertal, un facteur de progrès pour l’Humanité. C’est dire combien la fermeture des frontières est un non sens. Ceux qui travaillent, payent des impôts, cotisent à la sécurité sociale doivent avoir leur mot à dire : il faut régulariser les sans-papiers et les étrangers doivent obtenir le droit de vote.

 

4 • Une politique mondiale du climat, de l’eau, et des forêts

 

Front mondial pour l’écologie : Cancun comme Copenhague sont très en-deçà de l’urgence planétaire. De nombreux pays veulent engager une politique écologique volontariste et cohérente. La France pourrait être à l’initiative d’une rencontre de tous ceux-ci en vue d’établir un programme mondial de l’écologie.Organisation mondiale : Dans ce monde interdépendant, des urgences universelles dépassent largement les frontières : écologie et bioéthique notamment. L’ONU doit relancer la mondialisation des peuples face à celle de la finance. Permettre de faire résonner universalité et diversité, impératif mondial et souveraineté des nations, tel est l’enjeu d’un monde moderne.

 

5 • Une politique industrielle pour répondre aux besoins

Produire utile : Les grandes orientations de la politique industrielle sont aujourd’hui déterminées par les critères de rentabilité. Et non sur des critères d’utilité sociale. Au paroxysme de l’absurdité, l’industrie pharmaceutique qui produit des médicaments souvent inutiles, parfois dangereux à fort retour sur investissement, au détriment de recherches utiles (la bactériologie et les antibiotiques par exemple). Il faut mettre un terme à cette absurdité sociale et écologique. L’entreprise ne devrait pas avoir pour mission de remplir les poches des patrons mais de produire des biens utiles à tous. C’est dire que la politique industrielle doit être choisie démocratiquement et non par le MEDEF.Consommer autrement : Être ou avoir, le succès du film de Nicolas Philibert a interpellé nos concitoyens sur le sens de nos vies. Après une épidémie de l’avoir et du paraître, aujourd’hui l’être s’impose comme critère de qualité de vie. Marx enseignait que « le luxe est tout autant un vice que la pauvreté et que nous devrions avoir pour but d’être plus et non d’avoir plus. [...] ». Décidément,  il n’est pas mort.Les multinationales : Elles sont organisées pour échapper aux droits nationaux car organisées dans plusieurs pays dont les droits sont différents, pour échapper aux fiscalités (paradis fiscaux), et pour déjouer le droit du travail (délocalisation de la production dans les pays de forte exploitation). Toutefois, les multinationales ont besoin pour leur siège de pays attractifs. La France est de ceux-ci. Contrairement à ce qu’on nous raconte, Paris dispute à Londres le leadership en termes d’attractivité pour les grandes entreprises : taux de productivité élevé, main-d’œuvre qualifiée, qualité des réseaux... les arguments sont nombreux. Alors la marge de manœuvre de la France est authentique, pour ceux qui veulent s’y attaquer.

 

 

5 • Europe : un espace politique économique et social protecteur

Espace protecteur pour les européens, et espace protecteur pour les dominés du monde. L’Europe unie devrait pouvoir peser sur les équilibres internationaux pour contraindre les normes sociales et  écologiques au plan international.Visa social : Les échanges internationaux pourraient être régulés par un « visa social ». Seules les entreprises respectueuses des hommes et de la planète seraient habilitées à opérer des échanges économiques avec l’Europe. L’adhésion à une « charte mondiale du droit du travail » pourrait être le label pour accéder à ce visa.Démocratie : L’Europe politique est en crise parce qu’elle échappe à la souveraineté des peuples et à la démocratie. Relancer l’Europe appelle une véritable relance démocratique. A l’aune du débat sur le projet de traité constitutionnel, il faut construire et soumettre à référendum de tous les peuples d’Europe, un nouveau projet.

 

7 • Ouvrir une nouvelle ère de la démocratie

Moderniser la démocratie représentative : En finir avec le présidentialisme, franchir un cap avec la proportionnelle, le non cumul des mandats, le statut de l’Elu.Inventer la démocratie participative : Il faut favoriser l’intervention citoyenne à tous les niveaux. Des conseils de quartiers au référendum d’initiative populaire en passant par le tirage au sort.Repenser la démocratie sociale : La crise mondiale démontre que l’économie devrait relever de choix collectifs et de la responsabilité publique. Aussi, l’entreprise devrait être conçue comme une propriété sociale. Outre des nationalisations, il faudra que toutes les grandes décisions d’investissements stratégiques des entreprises privées soient soumises à des priorités sociales démocratiquement débattues. La citoyenneté à l’entreprise devrait devenir un droit constitutionnel.Trois autres thématiques me paraissent être ou devoir devenir discriminantes :

 

8 • Lutter contre la corruption et les lobbys

 

9 • L’art et la culture constitutifs de l’épanouissement personnel et de la démocratie

 

10 • Lutter pour manger sain

La contribution de Julliard est d’autant plus significative qu’elle résonne avec d’autres indices : baisse de la côte de DSK, rage populaire contre Sarkozy, sympathie pour la révolution tunisienne et égyptienne... A contrario la charge inouïe contre Jean-Luc Mélenchon est  un signe que la poussée du Front de Gauche commence à inquiéter sérieusement. Il se passe enfin quelque chose à gauche. Le Front de gauche peut créer l’événement du scrutin de 2012. La clarté de notre position politique en sera le levier majeur.

 

*Isabelle Lorand, est responsable PCF des libertés et droits de la personne

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le 09 February 2011

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