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L’altermondialisme, vecteur d’une nouvelle gauche, Aurélie Trouvé*

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Les alternatives à construire ne seront pas "évidemment d’essence réformiste" : elles relèvent à la fois du réformisme et de la révolution

Qu’on ne se méprenne pas, la “gauche” que j’évoque n’est pas uniquement celle des partis politiques et des calculs électoraux. Elle est celle, beaucoup plus large, des associations, des syndicats, des multiples mouvements citoyens et politiques qui se battent pour l’accès pour tous aux droits humains fondamentaux et pour un autre monde, solidaire, écologique et démocratique. Pour construire cette nouvelle gauche, capable de répondre à la crise globale actuelle, je ne m’embarquerai pas dans “20 thèses”, je me restreindrai modestement à cinq idées. Mais je voudrais avant tout saluer la démarche de Jacques Julliard, qui entreprend une autocritique quelque peu courageuse sur la deuxième gauche, même si son analyse mérite pour le moins d’être discutée.

 

Les mouvements sociaux, le mouvement altermondialiste, au cœur de la riposte

 

Pour Jacques Julliard, le nouveau capitalisme s’est construit “sans concurrence ni contestation”. C’est ignorer la force des mouvements qui ont émergé depuis les années 90 au niveau international, face au néolibéralisme triomphant de l’époque, notamment les luttes face au G8, à l’Accord Multilatéral sur l’Investissement, etc. qui ont abouti au mouvement altermondialiste. Celui-ci a remporté indéniablement des victoires idéologiques, il a permis de délégitimer des institutions comme le FMI, la Banque mondiale, l’OMC... autant de piliers du néolibéralisme. Il a fait converger de multiples mouvements, au Sud comme au Nord, de Forums sociaux en contre-sommets et dans de nombreuses luttes sociales. Il n’y a pas de tournant majeur, au niveau des pouvoirs politiques en place, sans des mouvements sociaux puissants qui font pression. Il n’y a pas de tournant majeur sans que les citoyens dans leur ensemble ne s’emparent de la politique. Et face à la complexité et à la super-puissance de la finance, il est indispensable que les citoyens s’emparent de l’économie. Pour cela, les mouvements sociaux et intellectuels doivent travailler à un tournant culturel, dont l’éducation populaire est un outil important.

 

Au fond, c’est le capitalisme qui est en crise

Les organisateurs du prochain Forum social mondial convergent vers l’idée que nous sommes face à une “crise systémique du capitalisme”. Ce n’est pas seulement le “néocapitalisme” qui est en cause, mais le capitalisme lui-même, dont les formes néolibérale et financière ne sont qu’une évolution logique, puisque c’est un système fondé sur l’exploitation sans limite des ressources humaines et naturelles à la seule fin de rentabilité des profits du capital.Les alternatives à construire ne seront pas “évidemment d’essence réformiste” : elles relèvent à la fois du réformisme et de la révolution. Elles doivent s’appuyer à la fois sur des réformes progressives et sur une visée révolutionnaire de transformation globale du mode de développement et des politiques. C’est d’une nature révolutionnaire que sont les changements induits par l’ampleur de la crise écologique et des transformations nécessaires des modes de consommation et de production. Jacques Julliard réduit toute perspective révolutionnaire au “socialisme centralisé”. Mais bien d’autres formes de dépassement du capitalisme, plurielles et démocratiques, peuvent être inventées.

 

Pour une socialisation démocratique des richesses

 

“La nature de ce rassemblement (...) se pensera au sein de l’économie de marché”, nous dit Jacques Julliard : toute la question est de savoir jusqu’où va ce marché. Car la conséquence du capitalisme a été de marchandiser de plus en plus de sphères de la société, jusqu’aux connaissances, à la biodiversité, au climat, aux semences, etc. Il s’agit donc de se réapproprier collectivement et démocratiquement ces richesses : autour de la notion de biens communs se constituent ainsi de plus en plus de luttes, pour une socialisation démocratique de ces biens. Leur gestion collective ne passe pas que par des renationalisations, mais également par des gestions coopératives et mutuelles, par des communautés locales et d’autres formes de partage (à l’image par exemple des logiciels libres). Ainsi, si la régulation publique doit redevenir importante pour faire valoir l’intérêt général, son caractère démocratique est tout aussi important. La régulation étatique n’est pas non plus la seule voie alternative. Jacques Julliard évoque ainsi une renationalisation partielle du système bancaire, encore faudrait-il ajouter qu’elle doit être démocratique et qu’elle peut s’accompagner de la construction de banques réellement coopératives, gérées par des communautés locales, etc.

 

Pour une refondation profonde de l’Europe et des institutions internationales

 

“L’Europe (...) a failli complètement”. Cette faillite demande de refonder l’Europe et pour cela de remettre à plat l’ensemble des traités européens. Mais comment la refonder sans remettre en cause les socles, les “lois fondamentales” qui régissent l’Union européenne sur des bases néolibérales, à savoir les traités européens ? Voilà pourquoi il importait de voter non au Traité constitutionnel Européen et au Traité de Lisbonne, pour tous ceux qui souhaitent une autre Europe politique, solidaire, écologique et démocratique, sortie du dogme de la libre-concurence et qui soit autre chose qu’une vaste de zone de libre-échange. De la même façon, il importe de refonder les institutions internationales. “Les G7, G8, G20”, nouveaux directoires mondiaux, n’en ont  pas “été pour leurs frais” : on ne pouvait pas mieux attendre de ces directoires mondiaux, clubs très fermés des pays les plus puissants qui souhaitent décider de l’avenir de l’ensemble de la planète. Seule une instance multilatérale fondée sur les droits humains, des Nations Unies renforcées et réformées dans un sens démocratique, peuvent répondre au besoin d’une régulation mondiale au service de tous.

 

L’écologie doit être au cœur de la politique, tout autant que le social

 

L’écologie n’est pas seulement une “contrainte supplémentaire”, elle doit être à la base des alternatives proposées par la gauche. Le fait que nous atteignions à présent des limites physiques de la planète, notamment sur le plan climatique, qui induiront des conséquences énormes sur les sociétés, oblige à intégrer l’écologie au cœur des alternatives. Ainsi, la question écologique doit être abordée de façon tout aussi centrale que la question sociale, et non comme un appendice. Les premières victimes de la crise écologique sont les travailleurs exposés à des risques environnementaux au travail, ceux qui n’ont pas les moyens ou l’information pour s’acheter une alimentation de qualité, les populations du Sud spoliés de leurs ressources naturelles et de leurs terres... Une gauche altermondialiste, qui défend l’accès aux droits humains fondamentaux partout dans le monde, se doit de défendre la sobriété et la diminution de notre production et de notre consommation énergétiques et matérielles. Car cette production et cette consommation ne sont en aucun cas reproductibles à l’échelle de la planète, au vu des limites écologiques. Elles ne sont possibles que par la spoliation des ressources au Sud par les pays riches. La diminution radicale de notre production et de notre consommation énergétiques et matérielles doit être posée comme base de construction d’un modèle alternatif. n

*Aurélie Trouvé, est maître de conférence à l’Établissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon, coprésidente d’Attac france.

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le 09 février 2011

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