Longtemps considérée comme un « angle mort » de la politique extérieure française, l’Asie est pensée en termes d’enjeu stratégique de premier ordre depuis les années 1990, malgré de maigres résultats dus à la persistance de tropismes européen et africain d’une part et aux faibles moyens alloués à cette ambition d’autre part.
Diversifier la présence française en Asie-Pacifique
Sommairement, de Gaulle pose quelques jalons avec le discours de Phnom Penh qui critique l’intervention américaine au Vietnam, et l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine dès 1964. François Mitterrand s’adonna également à quelques actes marquants, en 1991 avec les Accords de Paris sur le Cambodge et en 1993, avec la première visite d’un président français au Vietnam depuis 1945 alors que le pays vit toujours sous embargo américain. Féru de cultures asiatiques, le président Chirac lance avec l’ancien premier ministre de Singapour, Lee Kuan Yew, le dialogue Asie-Europe (ASEM), censé contrebalancer le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), dominé par les États-Unis. À cette époque, Jacques Chirac s’efforce de construire des liens privilégiés avec la Chine, après des années de rupture suite à Tian’anmen et les affaires de ventes d’armes françaises à Taïwan. Sa vision politique court jusqu’au Japon où il parvient à entretenir des relations ambitieuses, malgré le tollé provoqué localement par la reprise des essais nucléaires en 1995. Les relations avec Pékin se compliquent sous la présidence de Nicolas Sarkozy du fait de la crise de 2008, lors des révoltes au Tibet, du fiasco diplomatique né du passage de la flamme olympique à Paris et, enfin, de l’implication directe de la France dans l’intervention libyenne. Ce dernier tente alors une politique de rééquilibrage vers les pôles émergents, Inde et Indonésie en tête.
Lors de son accession à la présidence de la République, François Hollande n’a pas caché sa volonté de diversifier la présence française en Asie-Pacifique quitte à entrer en concurrence directe avec la stratégie américaine de « pivot » vers l’Est qui vise à contrebalancer l’influence de la Chine dans son environnement régional. Pour marquer ce tournant, Laurent Fabius fut le premier ministre des affaires étrangères français à se rendre au siège de l’Association des nations de l’Asie du sud-est (ASEAN), en août 2013. Lors de son discours, il met en exergue cette nouvelle stratégie et le rôle prépondérant joué par l’Asie dans l’économie mondiale : « ce pivot français n’est pas principalement militaire, comme pourrait l’être le pivot américain, même si la France est présente dans la région [...]. Notre pivot est davantage diplomatique. Le nouveau gouvernement français a fait du développement de nos liens avec l’ensemble de l’Asie une priorité. »
Le traité transpacifique
Ce repositionnement français intervient dans un contexte où les traités de libre-échange se multiplient. Le plus important d’entre eux demeure le traité transpacifique qui, s’il est ratifié par les parlements concernés, accouchera de la plus vaste zone de libre-échange mondiale. Le Traité Transpacifique concerne les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Chili, le Pérou, le Japon, la Malaisie, le Vietnam, Singapour, Brunei, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Soit 40 % du PIB mondial. Cette vaste zone de dérégulation est également une voie de contournement des cycles mondiaux de discussions sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), après l’échec de Doha en 2006.
L’Asie est le deuxième partenaire économique de la France et abrite 18 % de ses implantations au niveau mondial. Le Japon, l’Australie, Singapour et Hong Kong concentrent à eux seuls 80 % de l’établissement des filiales françaises. Ainsi, tout en pérennisant le « partenariat global » instauré par Jacques Chirac avec la Chine en 1997, François Hollande entendait-il s’affranchir d’une focalisation considérée comme trop importante alors que la deuxième puissance économique mondiale est l’objet d’une compétition accrue de nos partenaires européens, en particulier allemands, et que le déficit commercial reste un point d’achoppement. Pour ce faire, l’exécutif programme une série de déplacements en Inde, au Japon, en Corée du Sud, à Singapour, au Vietnam. Dans le cadre de cette diplomatie essentiellement économique, Paris n’a pas négligé les économies émergentes de « second rang » telles que les Philippines et le Laos.
De la consultation stratégique à la coopération de défense
Au-delà des traditionnelles exportations, l’Élysée vise à renforcer les partenariats basés sur les besoins des pays concernés mais aussi la coopération dans le domaine de la défense. La France a ainsi développé un rare volontarisme en matière de ventes d’armes. La moitié de ces contrats sont destinés à l’Asie et l’Inde y tient une place de premier rang. De la consultation stratégique à la coopération de défense, Paris cherche à diversifier ses capacités de projection en Indonésie, en Malaisie, en Mongolie et au Vietnam et participe désormais au Dialogue de Shangri-La, le forum annuel sur la sécurité régionale, alors que l’Asie est parcourue par des tensions multiformes.
En tant que puissance moyenne, la France a-t-elle les moyens de se mesurer aux États-Unis en Asie ? Face à l’évidence, Paris choisit la stratégie du contournement, même timide. Sur fond d’aggravation de la crise du capitalisme, la France rejoint, contre l’avis de Washington, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), levier financier du projet de ceinture économique de la Route de la Soie entre la Chine et les marchés européens en passant par la Russie, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est. Projet ambitieux également porteur d’une « vision politique, qui entend combattre le terrorisme par le développement », comme l’a souligné à juste titre l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, les Routes de la soie pourraient également se constituer en une nouvelle plateforme multilatérale qui permettrait à la France d’investir le champ politique, et pas simplement économique et militaire, et faire de l’Asie, un enjeu de premier ordre.
*Lina Sankari est journaliste à L’Humanité.
La Revue du projet, n° 54, février 2016
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