En matière de politique africaine de la France, la préservation des parts de marché et le militaire priment sur le diplomatique.
«Je développerai la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique et culturel. Je romprai avec la “Françafrique”, en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité ». C’était le 58e engagement du candidat Hollande en 2012, qu’il réitérera à Dakar en octobre 2012. En fait, il n’y aura pas de rupture avec les politiques passées mais une continuité. La nouveauté par rapport aux pratiques passées où Paris invoquait des accords bilatéraux pour soutenir un potentat local, c’est la menace terroriste comme l’illustrent les cas libyen, malien et plus généralement la situation au Sahel. Avec toujours le même but : préserver les parts de marché français en Afrique, grignotées par la Chine et les États-Unis qui se livrent une féroce concurrence pour faire main basse sur un marché de plus en plus porteur.
À la différence de Nicolas Sarkozy en Côte d’Ivoire ou en Libye, François Hollande, toutefois, va tenter de positiver les interventions françaises au Mali et en Centrafrique, en soutenant que les actions militaires de la France n’ont pas pour but d’aider une partie contre une autre (cas de la Côte d’Ivoire) mais de porter secours à un pays et à son peuple menacé par les djihadistes.
Le 11 janvier, dans la précipitation, alors que le 20 décembre 2012 le Conseil de sécurité de l’ONU venait d’adopter une résolution préconisant « le déploiement au Mali, pour une période initiale d’une année, d’une force internationale sous conduite africaine (MISMA) afin de rétablir la souveraineté malienne sur l’ensemble du territoire », François Hollande décidait d’intervenir au Mali à la demande, affirmait-il, du président par intérim malien Dioncounda Traoré. Cette opération militaire, dénommée Serval mobilisant quelques 1 400 hommes, « n’a pas d’autre but que la lutte contre le terrorisme » assurait-il, sur le point de prendre Bamako ! Et c’est dans le même esprit que la France (opération Sangaris) interviendra une année plus tard en Centrafrique.
Mais comme mentionné plus haut, derrière ce souci humanitaire, sans doute réel, manifesté par Hollande, se cachent des considérations plus terre à terre. Celle, par exemple, exprimée par le socialiste François Loncle dans un rapport parlementaire, estimant que dans l’« arc sahélien », allant de la Mauritanie au Soudan, « le contrôle des lieux de production est un enjeu majeur ». Le Niger, troisième producteur mondial d’uranium, matière stratégique exploitée par le français AREVA, en est une parfaite illustration. Intérêts français obligent aussi, dans sa guerre contre le terrorisme, le pouvoir socialiste, qui avait promis de prendre ses distances avec certains autocrates africains, va rapidement mettre en sourdine ses critiques, et solliciter l’appui du tchadien Idriss Deby, du burkinabé Blaise Campaoré avant sa chute et qu’il ne soit exfiltré vers la Côte d’Ivoire sur ordre de l’Élysée, du mauritanien Ould Abdel Aziz ou du camerounais Paul Biya.
Les effets désastreux de l’intervention libyenne sur le Sahel
Trois ans après Serval, les djihadistes sont loin d’être éradiqués comme l’atteste la série d’attaques et d’attentats revendiqués par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Mali mais aussi au Niger, au Tchad et même au Cameroun. Tous ces pays, comme on pouvait le craindre, sont toujours sous la menace d’une déstabilisation provoquée par la guerre de Sarkozy contre la Libye, guerre que le candidat Hollande avait d’ailleurs soutenue. Dans ce pays sans État, plongé dans un chaos destructeur où les rivalités tribalo-islamiques structurent le champ politique, devenu une base arrière des groupes djihadistes régionaux, une base de trafic d’êtres humains – des côtes libyennes partent des dizaines de milliers de migrants africains et orientaux en direction de l’Italie – Daech est en train de se constituer un sanctuaire territorialisé : il contrôle Derna (Est libyen), a fait de Syrte (centre du pays) son principal fief, convoite les richesses pétrolières et menace la Tunisie où il a revendiqué les attentats du Bardo, de Sousse et celui contre les forces de sécurité en plein centre de Tunis.
Redoutant à tort ou à raison l’arrivée de Daech dans le Sahel, les pays les plus fragiles et les plus menacés de la zone sahélienne qui ont déjà fort à faire avec l’AQMI, les pays du G5 (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Fasso et Tchad) ont appelé le 18 décembre dernier à l’issue du sommet de Nouaktchott à une intervention militaire en Libye ! Sans doute sur les conseils « amicaux » de Paris et Washington, qui fournissent déjà une assistance militaire aux pays concernés. Avec l’opération Barkhane, qui a pris le relais de Serval à compter d’août 2014, la France s’y prépare avec 4 000 hommes, 20 hélicoptères, 10 avions de transport, 6 rafales, 3 drones et 200 blindés, répartis dans plusieurs pays dont, outre le Mali, le Tchad, la Mauritanie, le Niger mais aussi la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon et Djibouti. La Libye est de fait dans la ligne de mire de l’Élysée. La question a été d’ailleurs évoquée lors de la rencontre entre François Hollande et Matteo Renzi le 26 novembre dernier à Rome.
Militarisation de la politique africaine
Pour conclure, force est de constater qu’en matière de politique africaine de la France, c’est le militaire qui prime sur le diplomatique. C’est le ministère de la Défense qui gère de fait la situation sahélienne. Jean-Yves Le Drian est plus présent que Laurent Fabius sur le sol africain. C’est lui qui gère les crises au Mali ou en Centrafrique. L’Afrique mais aussi le Maghreb sont vus comme la frontière sud de la France, écrivent Hélène Quenot-Suarez et Aline Leboeuf dans un ouvrage édité par l’IFRI, La politique africaine de la France sous François Hollande. Reste que cette militarisation de la politique africaine, permet à la France d’exister et de justifier son statut de puissance impériale, fait l’impasse sur les origines sociopolitiques des conflits en cours, sur la collusion d’intérêts entre les réseaux (ex-militaires et conseillers français de chefs d’États africains) hérités de la Françafrique et les grands groupes comme Total, dans certains pays. « En Angola, l’ambassade ne sert à rien. L’ambassade c’est Total » déplorait un diplomate. Mais aussi sur ces militaires français qui assurent la défense de leurs intérêts comme on l’a vu en Côte d’Ivoire.
Cette politique, en fait un néocolonialisme à rebours, se fait au détriment d’une vraie politique d’aide et de coopération. L’aide publique au développement a baissé, passant de 0,5 % du PIB en 2014 à 0,34 % en 2015, loin des 0,7 % fixé par l’ONU, un taux que seuls la Grande Bretagne, la Suède, le Luxembourg et le Danemark respectent. Rigueur oblige, elle va encore diminuer en 2015 et 2016 alors qu’en septembre à l’Assemblée générale de l’ONU, François Hollande avait promis d’accroître cette aide de 4 milliards d’euros. Encore un engagement non tenu.
*Hassane Zerrouky est journaliste à L’Humanité et au Matin d’Alger.
La Revue du projet, n° 54, février 2016
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