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Au Moyen-Orient, une politique de la France plus guerrière que celle des États-Unis, Pierre Barbancey*

Entre les déclarations d’intention et la réalité sur le terrain, il y a un gouffre. L’attitude de la France, sur les grands dossiers de cette région, est, au mieux, sans effet, au pire, elle s’inscrit dans une posture impérialiste.

Avant de se pencher plus précisément sur la politique de la France au Proche et Moyen-Orient, une remarque liminaire s’impose : la politique internationale de notre pays est, depuis plusieurs années, tout entière inscrite dans son appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) avec une intégration militaire en 2004 une centaine de militaires français rejoignent les commandements suprêmes, à Mons (Belgique) et à Norfolk (États-Unis), première rupture avec la politique du général de Gaulle dont l’aboutissement se produit en 2009 avec l’annonce par Nicolas Sarkozy du retour de la France dans le commandement intégré de l’Alliance atlantique. Une politique qui non seulement ne sera pas dénoncée par son successeur, François Hollande mais, à bien des égards, sera renforcée avec la multiplication des aventures militaires. Une orientation atlantiste qui rapproche et fait dépendre de plus en plus notre pays de la politique menée par les États-Unis à travers le monde. On assiste même depuis le quinquennat de Hollande à une accélération de ce processus, Paris cherchant à remplacer Londres comme partenaire militaire privilégié de Washington.

Des alliés pour le moins peu fréquentables
Lors de ses vœux à la presse, le 11 janvier 2016, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères que l’on dit sur le départ, a décliné ce qu’il appelle les « priorités de politique étrangère ». Elles n’ont pas changé et elles sont au nombre de quatre. « Lorsque nous avons, le président de la République ou moi-même, des choix à faire, nous nous référons à ces quatre priorités », a-t-il expliqué. « La paix et la sécurité, c’est la priorité absolue ; la planète, on se demandait à l’époque ce que cela voulait dire, je crois que l’on peut maintenant davantage le comprendre ; l’Europe ; le rayonnement de la France. » Qui n’adhérerait pas à ces quatre axes ? Malheureusement, entre les déclarations d’intention et la réalité sur le terrain, il y a un gouffre. L’attitude de la France, sur les grands dossiers de cette région, est, au mieux, sans effet, au pire, elle s’inscrit dans une posture impérialiste visant à intervenir pour faire et défaire des pouvoirs, des régimes pour mieux exploiter les richesses et s’imposer comme gendarme régional. La politique moyen-orientale de la France s’appuie sur des alliés pour le moins peu fréquentables, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie et entretient les meilleures relations possibles avec Israël. Par ailleurs, alors qu’il n’était encore que candidat à la présidentielle, François Hollande a soutenu l’intervention militaire en Libye. La politique française au Proche et Moyen-Orient se veut guidée par la défense de la démocratie et des droits de l’homme. En réalité ce ne sont que des cache-sexes. Dans les différents affrontements qui opposent les puissances régionales, la France a choisi son camp. C’est désormais une des caractéristiques de la politique française au Machrek : elle est non seulement sur la même longueur d’ondes que celle des États-Unis mais se veut encore plus guerrière, adepte d’une diplomatie du canon dont on sait pourtant les méfaits qu’elle cause. Déstabilisation des pays, affrontements entre communautés ethniques et confessionnelles… mais que de terrains privilégiés pour les ventes d’armes !

Soutien à la militarisation de la révolte
Depuis le déclenchement des « Printemps arabes », la Syrie apparaît au centre des préoccupations françaises, d’abord avec Sarkozy/Juppé puis avec Hollande/Fabius. Une même démarche visant à se débarrasser du pouvoir en place, comme en Libye. Paris est à l’origine de la création du Conseil national syrien (CNS), dirigé par un laïc mais en réalité dominé par les Frères musulmans. La France a soutenu, voire poussé à la militarisation de la révolte alimentée en armes par les pétro-monarchies du Golfe, une stratégie qui a permis à Damas d’éviter toute réponse politique aux revendications populaires. Officiellement, il s’agissait d’aider les démocrates, d’empêcher les massacres. En réalité l’aide politique
n’a jamais concerné les opposants de l’intérieur ni les groupes les plus progressistes de l’opposition qui se prononçaient d’ailleurs contre la militarisation. À cet égard, l’attitude française vis-à-vis des Kurdes de Syrie, lors du siège de Kobané par l’organisation dite de l’État islamique (Daech), est révélatrice des orientations de l’Élysée et du Quai d’Orsay. Les forces de défense kurdes (YPG/YPJ) ont été bien seules. Paris préfère aider (y compris en armement et en formation militaire) les Kurdes d’Irak notamment le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dirigé par Massoud Barzani qui entretient les meilleures relations avec la Turquie et s’oppose au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le gouvernement français n’a pas un mot pour dénoncer l’aide d’Ankara à Daech, la répression sanglante qui s’abat sur les Kurdes de Turquie depuis plusieurs mois, continue à défendre l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes de l’UE et ne fait pas un geste pour obtenir la libération d’Abdullah Öcalan.

Des attitudes contradictoires, dominées par
des intérêts économiques

Lors des négociations de Genève, elle n’a cessé de dresser des obstacles en tentant d’inscrire l’exclusion de Bachar el-Assad de toute solution intérimaire. Un préalable évidemment inacceptable pour le pouvoir syrien mais voulu par Ryad. De même, lors des négociations sur le dossier nucléaire iranien, c’est la France, encore une fois, qui a tenté de « freiner des quatre fers » au risque de faire capoter l’accord. Mais que ne ferait-on pas pour un allié comme l’Arabie saoudite, qui achète des avions Rafale ? Qu’importent les décapitations légalisées, le droit des femmes violé et le mirage démocratique dans le Golfe ? Surtout, il faut cacher les véritables raisons de l’acharnement contre la Syrie. Damas est coupable d’avoir refusé le passage sur son territoire d’un gazoduc transportant le gaz du Qatar pour alimenter l’Europe via l’Arabie saoudite, la Syrie puis la Turquie, qui s’attaquerait directement aux intérêts russes, grand allié de la Syrie.
Concernant le « conflit » israélo-palestinien, la France affiche une position équilibrée, pour une solution à deux États. Mais en réalité, au-delà des déclarations, elle ne fait rien pour stopper la colonisation, mettre fin à l’occupation et est incapable de mettre en œuvre une initiative internationale pour imposer la paix, laissant Tel Aviv toujours impunie. Elle a même soutenu l’offensive israélienne dans la bande de Gaza à l’été 2014. Un tropisme mitterrandien partagé par Hollande.

Pas à une contradiction près, le président français, qui avait ignoré l’appel de son homologue russe, Vladimir Poutine, lancé depuis la tribune des Nations unies lors de l’Assemblée générale en septembre dernier, à la mise en place d’une grande coalition pour combattre Daech, s’est rendu à Moscou après les attentats de novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, voulant ainsi apparaître comme fer de lance de la lutte contre non pas tous les groupes armés islamistes (soutenus par les pays du Golfe) mais contre Daech. Ce qui ne l’empêche pas, tout comme Fabius, de pointer du doigt l’intervention russe en Syrie et de dédouaner les groupes islamistes. Laurent Fabius n’avait-il pas dit en parlant du Front al Nosra que « sur le terrain ils font du bon boulot ». en août 2012, que « Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur terre » et, en décembre 2012, que « le Front al-Nosra (branche syrienne d’Al Qaïda) fait du bon boulot », alors même que cette organisation djihadiste venait d’être classée terroriste par les États-Unis ?

*Pierre Barbancey est journaliste à L’Humanité.

La Revue du projet, n° 54, février 2016
 

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Au Moyen-Orient, une politique de la France plus guerrière que celle des États-Unis, Pierre Barbancey*

le 14 February 2016

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