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Pour une politique extérieure indépendante, de coopération, Clément garcia*

«Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille ; car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » s’est exclamé le premier ministre sur le ton martial qu’on lui connaît en évoquant les actes terroristes qui ont frappé notre pays le 13 novembre dernier. Drôle d’injonction à faire silence dans les rangs de la pensée quand, pourtant, tout prête à réfléchir. La raison abdiquerait-elle face à l’infamie ? Pratique sentence, en tout cas, pour permettre au pouvoir politique d’user sans contrainte d’un état d’urgence dévoyé de sa mission proclamée de lutte contre le terrorisme, pour mettre au pas le pays, ses syndicalistes et militants, et assigner à résidence la pensée critique.
C’est justement parce que ces attentats ont profondément et durablement meurtri le pays qu’il est urgent de penser, de débattre des causes et raisons qui ont pu pousser des individus, une organisation, à commettre des crimes d’une telle atrocité. Notre revue est résolument décidée à mener le débat, à soulever les questions posées par ce nouvel âge d’incertitude, d’insécurité, aux risques de dérives multiples qui nous est promis, hors et dans nos frontières.
Les réflexions d’ordre politique, sociologique, historique ou culturel sont indispensables bien qu’aucune ne permette à elle seule – c’est l’évidence – d’expliquer et de comprendre de tels événements. Comment, aussi, ne pas penser le phénomène, semble-t-il appelé à durer, des attentats terroristes sans questionner le rôle joué par la France dans le monde, ses choix géopolitiques, les métamorphoses et permanences de sa politique extérieure ?
Nous ne sommes pas naïfs : les motivations des terroristes ne se résument en aucune façon à un affrontement géopolitique. La multiplication des attentats sanglants au Cameroun, au Burkina-Faso, en Somalie, dans les marchés syriens ou irakiens, suffit à délégitimer la théorie d’une vengeance anti-impérialiste de Daech ou de ses frères ennemis d’Al-Qaïda. C’est bien l’humanité dans ses contradictions, sa diversité, son universalité qu’ils cherchent à détruire.
Mais, est-ce parce que les assassins fanatiques affirment cyniquement vouloir faire payer au peuple français les aventures guerrières de son gouvernement qu’il faudrait s’arrêter de les penser et, plus largement, de penser le rôle joué par la France dans les déséquilibres mondiaux ?
Sixième puissance mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU disposant d’un droit de veto, présent sur des dizaines de théâtres de guerre, parfois à l’initiative de celles-ci comme en Libye ou au Mali, notre pays, par son activité internationale, est placé aux premières lignes des transformations de la géopolitique mondiale. Son activité commerciale intense, les prébendes économiques et intérêts énergétiques défendus par sa classe dirigeante le placent au cœur de la prédation capitaliste qui se déploie à l’échelle du monde. Ceci n’est pas nouveau. Mais manifestement, depuis plusieurs années, un virage s’est opéré.
L’image de la France dans le monde s’est singulièrement dégradée au rythme des interventions et changements de stratégie décidés par ses exécutifs successifs. Cette dégradation est particulièrement sensible dans le monde arabe et dans l’ensemble du Moyen-Orient. La position complaisante avec Israël lors de la dernière guerre menée dans les territoires occupés de Palestine et à Gaza aura laissé des traces dans le monde arabe et bien au-delà. Tout comme les positions interventionnistes dans le conflit syrien qu’elle fut bien seule à tenir au sein de Conseil de sécurité de l’ONU, le soutien policier promis au régime en déroute de Ben Ali ou celui accordé, à coups de contrats d’armement, au régime militaire égyptien.
Ces positions nouvelles se doublent d’alliances intolérables avec les monarchies théocratiques du Golfe, inspiratrices du fanatisme religieux dont se réclament les terroristes, et dont le travail de sape des décennies durant contre tous les mouvements progressistes de la région, avec le soutien actif des États-Unis, aura eu des effets catastrophiques. Ce virage s’opère au prix d’une distance dommageable avec l’Iran, puissance incontournable de la région. Il n’est pas non plus étranger à la distance prise avec l’allié historique russe, avec des conséquences redoutables dans la résolution de conflits majeurs, en Ukraine comme en Syrie. Cette politique est légitimée au nom d’intérêts économiques bien compris. Ce sont essentiellement eux qui dictent la politique extérieure de la France sur le vaste continent asiatique, réduit à une réserve de main-d’œuvre et de capitaux bon marché.
Ce changement récent de stratégie aura été un carburant redoutablement efficace à la propagande djihadiste. D’autant qu’il s’est effectué au nom de la défense d’un hypothétique « camp occidental », confirmée par la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, amorcée par Nicolas Sarkozy et devenue totale sous le mandat de François Hollande. « Je n’ai pas peur de dire que nos alliés et nos amis, c’est d’abord la famille occidentale », clamait Nicolas Sarkozy en 2007, en plein mandat bushiste, au moment même où « l’allié occidental » nord-américain menait une guerre illégitime causant les fractures et déséquilibres dont nous payons, et pour longtemps encore, les pots cassés. L’opposition de la France à cette folie guerrière fut d’ailleurs son dernier éclat sur la scène mondiale.
Mais au-delà du Proche et Moyen-Orient, c’est en Europe même que la France déçoit, incapable de peser pour une réorientation des politiques européennes, de peser pour faire respecter les choix démocratiques du peuple grec laissé à l’abandon face à ses créanciers tortionnaires, ou de réaffirmer son rôle de lien entre les pays du nord et du sud du continent.
Notre pays ne brille plus par sa politique extérieure, longtemps non alignée. Cette politique que l’on a pu appeler « gaullo-mitterrandienne », certes non dénuée d’arrière-pensées impérialistes, notamment sur le continent africain, lui avait permis de tenir une position d’équilibre dans bien des conflits.
La France redéfinit son positionnement géopolitique au moment où s’intensifie la mondialisation capitaliste et se multiplient les foyers de guerre, où s’intensifie le contournement des souverainetés populaires par la prolifération des traités de libre-échange, où l’Europe vit une crise multifactorielle majeure et se recompose autour de son cœur économique rhénan.
Dans ce contexte, il est urgent d’aider notre pays à retrouver une voix indépendante, de l’aider à redevenir un pont entre l’Europe du sud et du nord, entre les deux rives de la Méditerranée. La France a les capacités de devenir actrice d’une nouvelle mondialisation assise sur des principes de coopération, de paix,
et de respect des souverainetés populaires. Sa vocation universaliste, of­ferte par les révolutionnaires de 1789 et 1793, reste une arme puissante pour penser ce nouveau rôle.
À nous de nous y engager.

*Clément Garcia est rédacteur en chef de La Revue du projet. Il a coordonné le présent dossier.
 

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Pour une politique extérieure indépendante, de coopération, Clément garcia*

le 14 février 2016

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