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Éducation, formation, recherche : les savoirs au cœur de la lutte des classes, Marine Roussillon*

Il est de notre responsabilité de rompre le consensus libéral pour faire entendre un autre projet pour l’éducation : un projet qui parte du constat que tous les enfants sont capables d’apprendre et de progresser pour construire l’école de la réussite de tous ; un projet qui relève les défis nouveaux posés par la place croissante des savoirs et de la création dans la société et construise une école de l’émancipation.

Au lendemain du premier tour des élections régionales, alors que le Front National s’installait comme premier parti politique du pays et que se confirmait la gravité de la crise sociale et démocratique, Pierre Laurent déclarait : « le grand défi de la nouvelle période politique qui s’ouvre sera celui de la construction d’un nouveau projet de gauche ». Ce projet, s’il veut rassembler et s’imposer, devra aussi être un projet de classe : un projet capable de faire converger les catégories les plus populaires du salariat et les couches moyennes intellectuelles.
Dans ce projet, les questions éducatives jouent un rôle stratégique. Parce qu’elles mettent en jeu l’avenir de nos enfants, notre espoir qu’ils vivront dans un monde meilleur que le nôtre, elles sont encore largement mobilisatrices. Ce sont des questions identitaires de la gauche, qui ont longtemps servi de point de repère dans la structuration de la vie politique, et qui peuvent encore rassembler autour de valeurs largement partagées. Surtout, elles sont aujourd’hui au cœur de l’affrontement de classe : en les prenant à bras-le-corps, nous pouvons construire des alliances entre les franges les plus populaires du salariat et les couches moyennes intellectuelles décisives pour d’autres combats.

Les savoirs et la création au cœur des contradictions du capitalisme contemporain
Savoirs et création jouent un rôle de plus en plus important dans notre société en crise. Aujourd’hui, pour faire du profit, le capital a besoin d’une main-d’œuvre capable de maîtriser des savoirs complexes et de faire preuve de créativité. Dans le même temps, il lui est nécessaire d’en limiter le coût (formation, salaires, conditions de travail) et d’empêcher que cela débouche sur des pouvoirs nouveaux pour les salariés.
Qu’ils parlent d’économie de l’immatériel ou de révolution informationnelle, tous les économistes s’accordent pour souligner le rôle des savoirs et de la création dans la production de valeur ajoutée. Le débat sur le climat, celui sur les causes du terrorisme ou sur la politique internationale de la France montrent que notre démocratie est, elle aussi, structurée par des savoirs complexes. Combien de citoyens renoncent à prendre parti ou à voter sous prétexte qu’ils « n’y connaissent rien » ? Nos loisirs eux-mêmes mobilisent des savoirs de plus en plus complexes : les dessins animés de Walt Disney ne mettent plus en scène les contes traditionnels mais des réécritures où les ogres sont gentils et où il faut se méfier des princes charmants, en supposant que parents et enfants maîtrisent les codes culturels qui permettent d’en saisir l’ironie et d’y prendre plaisir.

Cette place croissante des savoirs et de la création transforme en profondeur notre expérience du travail. Le chauffeur de métro ne conduit plus une machine qu’il connaît, est capable d’entretenir et de réparer. Avec l’automatisation, il conduit à distance plusieurs véhicules, en utilisant des mécanismes bien plus complexes. Cette évolution s’accompagne de responsabilités accrues qui, associées à la perte de maîtrise de l’outil de travail et à l’isolement du salarié, sont des facteurs de stress et de souffrance au travail. D’autant que l’augmentation de la part intellectuelle du travail ne fait l’objet d’aucune reconnaissance : ne dit-on pas des métros automatiques que ce sont des métros « sans chauffeur » ? La déqualification de la part intellectuelle du travail est évidente dans les métiers traditionnellement considérés comme « intellectuels » : la réforme du statut des intermittents du spectacle cherche ainsi à faire disparaître toute reconnaissance de leur temps de réflexion et de création comme temps de travail. De la même manière, les débats sur le temps de travail des enseignants ont tendance à réduire le travail à une liste de tâches (correction de copies, présence devant les élèves, tâches administratives) et à rendre invisible sa dimension intellectuelle (réflexion, formation, création) inscrite dans une tout autre temporalité.

Cette évolution n’a rien d’une fatalité : l’augmentation de la part intellectuelle du travail pourrait aussi être un facteur d’émancipation, si elle s’accompagnait d’une maîtrise croissante du travail par les salariés, de la reconnaissance de la complexité nouvelle de leurs tâches et d’un développement de leurs capacités de création individuelles et collectives. Il ne s’agit donc pas de regretter un temps où « tout était plus simple » (et le fantasme qui va avec d’une école centrée sur les « fondamentaux », l’orthographe, le calcul et la liste des préfectures), mais de lutter pour que les évolutions de la société, aujourd’hui captées au profit de la rentabilité et d’une exploitation accrue, soient mises au service de l’émancipation individuelle et collective.

La réponse libérale : sélection, individualisation, fragmentation
des savoirs

Comment assurer au patronat un niveau de formation et de créativité suffisant sans garantir aux salariés la reconnaissance de cette formation (par des qualifications communes débouchant sur des droits en termes de salaire, de conditions de travail…) ni leur donner le pouvoir qui va avec la maîtrise des savoirs ? Toutes les réformes de l’éducation et de la formation, mais aussi de la recherche ou des politiques culturelles de ces dernières décennies visent à résoudre cette contradiction.

La nouvelle « école capitaliste », de la maternelle à l’université et à la formation continue, y travaille en mettant en œuvre trois principes. D’abord, une sélection accrue : il s’agit de faire le tri à la fin du collège entre les 50 % d’une génération qui s’arrêteront là et les 50 % qui iront jusqu’au niveau Bac+3. L’objectif européen de 50 % d’une génération à Bac+3, s’il peut paraître ambitieux, ne s’accompagne donc pas d’un réel effort de démocratisation scolaire, mais au contraire s’appuie sur une école plus sélective. Les fréquentes déclarations de la ministre sur le collège comme dernière étape de la scolarité obligatoire (alors qu’à 16 ans, la plupart des élèves sont déjà au lycée), l’insistance sur la liaison école-collège et sur la continuité Bac-3/Bac+3, la différenciation des objectifs entre le « socle commun » et les programmes s’inscrivent dans ce projet d’une école à plusieurs vitesses.
Ensuite, les politiques éducatives libérales font le pari de l’individualisation des parcours pour isoler les travailleurs, empêcher la reconnaissance des formations par des qualifications communes et casser ainsi les possibilités de luttes collectives. L’évaluation par compétences, du livret individuel de compétences en primaire jusqu’à la licence, a ainsi pour conséquence de miner les diplômes nationaux et d’isoler les futurs salariés. On en voit déjà les conséquences sur les conventions collectives : de plus en plus, le patronat cherche à y remplacer les diplômes nationaux par des compétences individuelles dont on ne sait trop par qui elles pourront être évaluées. La territorialisation de l’éducation, qui mine les diplômes nationaux, a les mêmes conséquences.

Enfin, pour éviter de donner aux salariés de demain le pouvoir qui va avec la maîtrise des savoirs, les politiques éducatives libérales fragmentent les savoirs et cassent les cadres de cohérence que sont les disciplines. Après la réforme Chatel du lycée, la nouvelle réforme du collège multiplie ainsi les parcours à la carte et les enseignements interdisciplinaires de plus en plus tôt dans la scolarité.
Ces politiques libérales s’accompagnent d’une offensive idéologique autour de l’idée que « tous les enfants ne sont pas faits pour l’école » : la vieille idéologie des dons prend la forme de théories du « handicap socioculturel », du repérage « d’élèves à besoins spécifiques » pour naturaliser les inégalités créées par le système et les faire accepter. Ces politiques libérales sont mises en œuvre dans toute l’Europe, aussi bien par des gouvernements de droite que par les sociolibéraux. En France, c’est un gouvernement socialiste qui a été à l’origine de la politique européenne de « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Et malgré l’affichage de la « priorité à la jeunesse » et de la « refondation de l’école », malgré des contradictions et des avancées (notamment dans la réécriture des programmes), les réformes éducatives du gouvernement actuel s’inscrivent dans la continuité de ces politiques libérales.

Construire
l’école de l’égalité
et de l’émancipation

Ces politiques, qui ne visent qu’une amplification de l’exploitation, sont irresponsables : elles produisent une société clivée, nourrissent la peur de l’autre et la concurrence généralisée. Elles ne profitent qu’à une petite minorité : toutes les familles aimeraient pouvoir faire confiance à l’école et ne pas avoir à refaire les cours le soir ou à payer des cours particuliers, tous les travailleurs ont intérêt à des formations ambitieuses reconnues par des qualifications communes, tous les citoyens ont intérêt à une école qui construise une culture commune permettant le débat démocratique.

Pour donner à tous les adultes de demain les moyens de maîtriser leur avenir, celui de leur entreprise, celui du pays et du monde, il faut rompre avec les logiques de sélection et construire une école ambitieuse pour tous : c’est le sens notamment de notre proposition d’allongement de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans, avec la garantie du droit à l’école dès 2 ans pour les familles qui le souhaitent. Il faut rompre avec l’individualisation pour construire du commun : c’est pourquoi nous pensons qu’un service public national est nécessaire. Il faut construire et transmettre une culture cohérente, et non des savoirs fragmentés : cela passe par une réécriture des programmes mais aussi par une transformation des pratiques pédagogiques, et donc une relance de la formation initiale et continue des enseignants.

Ce projet, le PCF y travaille depuis plusieurs années. Déjà en 2005, ses parlementaires portaient une proposition de loi « pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous » (http://reseau-ecole.pcf.fr/59262). Depuis, la crise s’est amplifiée et l’école est aujourd’hui en état d’urgence. C’est pourquoi le PCF a lancé le 23 mai dernier un processus de travail avec l’ensemble des acteurs de l’éducation, avec l’ambition d’écrire ensemble un plan d’urgence pour l’école. L’objectif de ce dossier de La Revue du projet est de permettre que le travail se poursuive partout dans le pays, pour construire dans un même mouvement les propositions capables de transformer l’école et le rassemblement capable de les imposer. Le réseau école est à la disposition de tous ceux qui veulent y contribuer, pour relayer leurs réactions, animer ou participer à des débats, tout simplement échanger.  

*Marine Roussillon est membre de l’exécutif national. Elle est animatrice du secteur Éducation du Conseil national du PCF.

Le réseau école du PCF, c’est...

... un collectif de travail rassemblant des communistes, des militants syndicaux, associatifs ou issus du mouvement pédagogique, des chercheurs, des élus pour élaborer ensemble un projet de transformation de l’école pour la réussite de tous, l’égalité et l’émancipation. Ses travaux ont l’ambition de nourrir le projet du PCF.
Les responsables à l’éducation des fédérations du PCF et les animateurs les plus actifs du réseau école se réunissent trois fois par an pour échanger sur les enjeux d’actualité et construire des initiatives politiques.

... des initiatives nationales, qui visent à élaborer et à faire connaître nos propositions. La dernière en date est la journée de travail « Quelle politique de gauche pour l’éducation ? » qui a réuni plus de 200 personnes le 23 mai dernier.
À la demande des sections et des fédérations du PCF, des collectivités locales ou du CIDEFE, le réseau école anime ou intervient dans des initiatives locales, des formations, des débats sur les questions d’éducation. Il anime chaque année plusieurs ateliers à l’université d’été du PCF.

… un bulletin, Luttes de classe(s), présentant les analyses et les propositions du PCF sur les sujets d’actualité : les derniers numéros portaient sur les élections régionales, la réforme du collège… Disponible sur internet, Luttes de classe(s) peut aussi être diffusé aux portes des établissements scolaires ou dans les salles des profs. http://reseau-ecole.pcf.fr/58759

… une revue trimestrielle, Carnets rouges, disponible sur internet et en format papier, qui a l’ambition d’être un lieu de rencontres et de débats pour tous ceux qui veulent changer l’école. Les premiers numéros ont abordé les questions de la culture commune, de l’égalité, de l’émancipation, de la laïcité… http://reseau-ecole.pcf.fr/58845

… un site internet (http://reseau-ecole.pcf.fr), un compte twitter (@pcf_ecole), une page facebook (https://www.facebook. com/reseauecole.pcf/) et une liste de diffusion, pour être informés des dernières initiatives du PCF sur l’éducation, recevoir les tracts et les communiqués.
Pour s’inscrire ou simplement nous contacter :
reseau-ecole.pcf@orange.fr

La Revue du projet, n° 53, janvier 2016
 

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Éducation, formation, recherche : les savoirs au cœur de la lutte des classes, Marine Roussillon*

le 31 January 2016

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