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Givors et Le climat, Entretien avec Raymond Combaz et Perrine Paris-Sidibé*

Que peut-on et doit-on faire à l’échelle locale contre le réchauffement climatique ? Comment articuler les différents niveaux d’intervention (associations et partis, municipalités, actions nationales et internationales...) ? L’exemple de Givors (Rhône), qui a un maire communiste depuis 1953, à vingt kilomètres au sud de Lyon.

Le réchauffement climatique, c’est une grande affaire planétaire avec des enjeux énormes, alors on a un peu l’impression que localement on ne peut pas faire grand-chose...
Perrine Paris : Les États sont à la traîne, les négociations internationales plus ou moins bloquées, c’est plutôt au niveau local que ça bouge et que l’on peut tirer vers le haut les gouvernements, y compris aux États-Unis. Beaucoup ne jurent que par le « marché du carbone », alors que les associations font preuve d’imagination et savent innover pour limiter la production de CO2 avec des propositions concrètes sur le transport, le tourisme doux, l’éclairage, l’habitat, le financement des investissements, etc.
Raymond Combaz : À Givors, nous avons travaillé avec Alternatiba, un mouvement citoyen parti du Pays Basque en 2013, qui construit des rassemblements, non seulement pour faire pression sur la COP 21, mais aussi pour développer une dynamique locale sur le climat. La mairie a mis des moyens techniques et en personnels pour y aider. Il y a eu des réunions toutes les semaines, avec entre dix et quarante personnes, pour préparer un rassemblement important qui a eu lieu le 30 mai avec les associations. Cet événement a été un lieu d’échange particulièrement foisonnant où de nombreuses solutions concrètes au défi du changement climatique ont été présentées. Les militants communistes y ont participé activement, ils n’étaient évidemment pas les seuls. Des étudiants de la Faculté catholique, par exemple, se sont bien investis dans un travail de groupe. Nous avons toujours décidé de nous adresser massivement à toutes les associations. Cela n’a pas plu à certains adhérents de partis écologistes qui auraient bien voulu garder pour eux cette « spécialité ».

Les économies d’énergie des particuliers, les petits gestes citoyens, c’est bien, mais n’est-ce pas un peu anecdotique et dérisoire au vu des grands problèmes ?
Perrine Paris : Il ne faut pas oublier qu’en France, les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre sont le transport et l’habitat, domaine où tout un chacun peut avoir une influence. L’action de la puissance publique est nécessaire pour déployer des initiatives à l’ensemble d’un peuple, mais on n’obligera celle-ci à agir que par un mouvement de masse. D’où la nécessité de sensibiliser, notamment les classes populaires pour qui le changement climatique coûtera cher : les habitations mal isolées, le chauffage électrique, la vieille voiture grande consommatrice d’énergie… La facture pèsera de plus en plus lourd dans le revenu des familles modestes. En prenant conscience de cette inégalité, en constatant ces gaspillages, elles peuvent mieux agir. Il existe bien des allégements fiscaux, des aides d’État pour l’amélioration de l’habitat, mais en général il faut être propriétaire, ce qui est inaccessible pour beaucoup et puis les dossiers sont complexes, les contraintes pas adaptées. Par exemple, les gens doivent avancer une partie du montant des travaux pour être remboursés plusieurs mois après. Ce n’est pas possible quand on n’a pas d’argent de côté.

Comment réagissent les habitants à la base, notamment dans les quartiers populaires ? Ne répondent-ils pas avec l’accent de Givors : « Tant que les grands y feront pas, nous on voit pas pourquoi on y ferait » ? Est-ce que seule une minorité se sent concernée ?
Perrine Paris : Pour le moment ce n’est qu’une minorité, mais ce n’est pas spécifique aux quartiers populaires. Les quartiers aisés ne sont pas plus conscientisés. C’est pourquoi, il y a à la fois nécessité de groupes motivés et de la puissance publique, chacun devant agir sur le plan des initiatives concrètes et celui de l’encouragement, de la pédagogie.

La municipalité a-t-elle des moyens d’action de quelque importance ?
Raymond Combaz : Oui. La commune de Givors a lancé différents chantiers sur les bâtiments publics, le transport, l’éclairage… Il est vrai que, pour isoler correctement tous les bâtiments communaux (écoles, mairie…), cela dépasse largement nos budgets. On a 12 groupes scolaires, on refait un bâtiment chaque année, mais on est souvent contraint de se contenter d’investissements insuffisants, à cause de la baisse des dotations d’État (même si on se bat pour obtenir plus). On essaie aussi de gérer au mieux les surfaces utilisées, de regrouper le maximum d’activités dans des locaux bien isolés.

Perrine Paris : Par d’autres côtés, ces problèmes financiers obligent à poser les problèmes autrement, par exemple en matière de « redensification » urbaine. Libérer des bâtiments pour regrouper les services permet de diminuer la facture énergétique.

Raymond Combaz, Perrine Paris : La municipalité a également décidé de couper l’éclairage la nuit, à titre expérimental pendant six mois, de 0 h 30 à 4 h 30, puis d’en tirer le bilan et de faire s’exprimer la population sur cette initiative. Cette initiative est particulièrement intéressante car cela a déjà lieu dans de nombreuses petites communes rurales, mais peu dans des villes de 20 000 habitants comme la nôtre. Cette action favorable au climat est gagnante sur tous les plans : financier, écologique, même en matière de qualité de vie : il n’y a pas plus de délinquance et le bruit nocturne a particulièrement baissé. Pourtant cela suscite des réactions vives de la population, des peurs. Le frein se concentre sur le changement d’habitude de la population. L’accompagnement et la pédagogie sont des facteurs clé.

La section de Givors du PCF porte depuis longtemps une attention particulière aux questions d’environnement. Pourquoi ?
Raymond Combaz : Givors a un lien particulier au Rhône, qui fait un coude à cet endroit : le fleuve tape sur la colline, la population a toujours vécu avec de graves problèmes, en particulier d’inondations. Celle de 1958 est restée dans les mémoires ; Givors, qui est en aval de Lyon, cumule celles de la Saône et du Rhône. Il y a eu en outre à ces époques de nombreuses pollutions, qui commencent en amont de Lyon, par exemple les usines électriques rejetaient des huiles de refroidissement. Camille Vallin, qui fut maire de 1953 à 1993, a participé de façon précoce à un groupe de travail sur l’environnement au sein du comité central du PCF dès 1966-67. D’autre part, il y a eu des batailles du PCF et des syndicats dans les entreprises, dans les verreries, où quantité d’anciens ouvriers ont été ou sont atteints de cancers graves ; et aussi sur l’autre rive, à Chasse-sur-Rhône, où il y avait une usine AZF avec de grosses citernes de produits très dangereux. Dans les années soixante-dix, des militants communistes et d’autres ont créé le Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE). La section du parti et les associations ont continué régulièrement depuis lors à intervenir sur ces questions. Il est vrai que, parfois, dans les années 1960-1970, certains communistes trouvaient ces aspects secondaires et insistaient sur la nécessité de « produire ».
Perrine Paris : Je ne suis pas membre du PCF, mais je constate que cette relégation des questions environnementales n’est pas spécialement le fait des communistes. C’est une période de notre histoire où peu de monde avait intégré que l’activité humaine pouvait mettre en péril l’équilibre des écosystèmes. Même le commandant Cousteau (aujourd’hui vu comme un pionnier du droit des générations futures) avait des méthodes d’études des mondes marins destructives, et choquantes pour nous aujourd’hui. Quant au PS, il ne fait pas exception. L’environnement n’est clairement pas sa priorité. Le gouvernement actuel nous en donne une triste preuve.
À Givors, les partis et associations progressistes ont-ils des projets pour continuer la mobilisation sur le climat ?
Raymond Combaz : D’abord éveiller les consciences. On part, à titre d’exemple, de l’abeille (qui est sur le blason de Givors) pour comprendre les conséquences de la disparition des espèces. Il faut insister également sur les retombées des pollutions en matière de santé, et de là montrer qu’on ne doit pas se contenter de traiter les symptômes, mais aussi remonter aux causes...
Perrine Paris : Les municipalités ont un gros volet de sensibilisation à mettre en place. Les questions liées à l’eau, ont été abordées depuis plus longtemps. Elles sont aujourd’hui plus faciles à saisir : le manque ou la pollution de l’eau, tout le monde voit ce que ça veut dire. Mais le CO2, qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qui le produit ? Quelles sont les conséquences pour moi et ma famille ? C’est encore complexe pour de nombreuses personnes alors que les effets sont très concrets sur le budget familial, sur la santé de la famille… En France, les climatosceptiques de type Allègre ont hélas eu beaucoup d’influence sur la population.
Raymond Combaz, Perrine Paris : Face à l’envahissement par la voiture, il y a beaucoup à faire. La municipalité mène un travail autour des gares (Givors-Ville et Givors-Canal), le PCF et les associations militent pour la réouverture de la ligne Givors-Brignais, qui existe toujours, et permettrait de rejoindre également Lyon en train par l’ouest. Il faut alléger la gare de Givors-Ville, permettre une diversification pour que les gens, qui viennent des campagnes et travaillent dans l’agglomération lyonnaise, aient des accès à toutes les gares, avec des trains adaptés. C’est nécessaire pour dégager une alternative à la fameuse seconde autoroute A 45 que les technocrates veulent construire entre Lyon et Saint-Étienne. Suite à Alternatiba, une association s’est créée sur Givors pour la promotion du vélo : la création d’un atelier de réparation, la continuité des pistes cyclables (actuellement souvent interrompues), tant pour le travail que pour le loisir. Il faut aussi avancer sur l’aménagement du territoire, afin de réduire les déplacements inutiles (habitation-travail, production-commercialisation des marchandises, etc.). Les idées et les actions ne manqueront pas.  

*Raymond Combaz est secrétaire de la section de Givors du PCF et conseiller municipal.
Perrine Paris est ingénieure agronome. Elle travaille en lien avec les collectivités locales.

Propos recueillis par Séverine Charret et Pierre Crépel.

La Revue du projet, n° 51, Novembre 2015
 

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