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La gauche à l’heure communiste (1941-1981), Guillaume Roubaud-Quashie

Le PCF, seul parti de gauche en tant que tel dans la Résistance, s’inscrit dans un cadre bien plus large, ouvert aux individus de tous horizons de la Résistance.

Pendant la Résistance et même avant la guerre, la question fasciste avait amené le PCF à proposer, au-delà du Front populaire, un Front français. En 1938, le PCF lance la proposition d’un gouvernement de Paul Reynaud (droite) à Thorez (avec participation gouvernementale communiste donc). Pendant la guerre, le PCF lance en mai 1941 le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France.

La Libération serait-elle le temps venu de la gauche ? Assurément, les partis de droite sont discrédités dans la population et malmenés pour leur participation active au régime de Vichy. Point d’Union de la gauche pour autant. C’est une grande coalition résistante avec De Gaulle puis c’est le tripartisme : gouvernement gauche-droite avec le PCF, la SFIO, le  Mouvement républicain populaire (MRP)  – même si le MRP ne se revendique pas explicitement de la droite, tout en s’y situant clairement, au moins dans sa base électorale mais aussi dans une bonne partie de sa direction. De toute façon, le terme « gauche » n’est pas employé et n’apparaît guère.
L’objectif, pour les communistes et la question débattue par eux dans la suite des réflexions inaugurées pendant le Front populaire, c’est la constitution d’un parti unique de la classe ouvrière : le Parti ouvrier français. Le 10e congrès du PCF (juin 1945) adopte ainsi un « projet de charte d’unité de classe ouvrière de France ». L’unité syndicale ouvrière est faite depuis le Front populaire et la refondation symbolique de la CGT résistante en 1943 (accords du Perreux). Il s’agit à présent de bâtir l’unité politique ouvrière. 1) Pour un nouveau parti de classe (rapport de Duclos « vive l’unité de la classe ouvrière de France ») 2) pour des alliances avec toutes les forces « progressistes » (et non pas « de gauche »).
De fait, un travail est mené jusqu’en 1955, avec le mouvement chrétien progressiste (autour de La Quinzaine notamment) et des prêtres ouvriers. La dimension de classe là encore est résolument centrale, bien davantage que la dimension de gauche.

Sur le plan des réalisations concrètes, elles sont colossales et bien connues des lectrices et lecteurs (Sécurité sociale, statut de la fonction publique, nationalisation de secteurs stratégiques, nouvelle Constitution très progressiste…) : les communistes, première force politique du pays et, a fortiori, première force politique de la gauche, y tiennent toute leur place pour leur première participation gouvernementale (Ambroise Croizat, Marcel Paul et bien sûr Maurice Thorez, vice-président du Conseil).

La SFIO, affaiblie et toujours marquée par un anticommunisme puissant, adopte une nouvelle déclaration de principes où la question des libertés est renforcée dans l’objectif de mettre en difficulté les communistes desquels il s’agit de se distinguer. Les tournures sont aussi plus ambiguës mais le projet proclamé garde une radicalité claire :
« Le caractère distinctif du Parti socialiste est de faire dépendre la libération humaine de l’abolition du régime de la propriété capitaliste qui a divisé la société en classes nécessairement antagonistes, et créé pour l’une la faculté de jouir de la propriété sans travail, pour l’autre l’obligation de vendre son travail, et d’abandonner une part de son produit aux détenteurs du capital.    
Fermement attaché à la liberté de conscience et à la laïcité de l’État et de l’école, le Parti socialiste a pour action propre de grouper sans distinction de croyances philosophiques ou religieuses la masse de travailleurs de tous genres – travailleurs intellectuels ou manuels – sur le terrain politique, économique et doctrinal, en vue de la conquête des pouvoirs publics, condition non suffisante mais nécessaire de la transformation sociale.    
Le Parti socialiste est un parti essentiellement révolutionnaire : il a pour but de réaliser la substitution au régime de la propriété capitaliste d’un régime où les richesses naturelles comme les moyens de production et d’échange deviendront la propriété de la collectivité et où, par conséquent, les classes seront abolies. […]
Il est un parti essentiellement démocratique, parce que tous les droits de la personne humaine et toutes les formes de la liberté sont indissolubles les unes des autres. »

Le mot « gauche », pour n’être résolument pas central, monte toutefois : les radicaux, politiquement défaits, avec l’Union démocrate et socialiste de la Résistance (née du Mouvement de libération nationale) et des transfuges de divers partis « modérés » (centre droit) fondent le Rassem­blement des gauches républicaines (RGR). Lié au patronat, il développe un anticommunisme virulent et obsessionnel tout en s’opposant aux nationalisations et aux mesures entreprises à la Libération.

Les rapports de forces à gauche sont ainsi complètement modifiés par la guerre. Les radicaux, force première de la gauche, deviennent une force secondaire (9-11 %), déportée sur la droite. La SFIO recule sans s’effondrer (15-20 %). Le PCF prend résolument la tête (25-29 %). La gauche n’est toutefois pas l’horizon premier des forces socialiste et communiste.

La Guerre froide, à partir de 1947, engendre des reclassements nets, enfermant durablement les radicaux dans des alliances avec la droite, tout comme la SFIO qui, nationalement comme localement, s’allie à la droite contre les communistes dans toute la France, de Bagneux à Marseille… C’est la période dite des « gouvernements de troisième force » ; les principales forces du pays (communistes et gaullistes) étant tenues à l’écart du pouvoir par la coalition des forces situées au milieu du marais parlementaire. Le mode de scrutin retors des apparentements renforce le lien entre ces forces (coalisées, elles emportent toute la mise). En 1953, face au maire communiste de Bagneux, Albert Petit, un candidat SFIO-MRP est ainsi présenté. La politique menée est très brutale en direction des ouvriers notamment : le ministre socialiste Jules Moch pilote la répression des grands mouvements revendicatifs, les forces policières et militaires sont envoyées et tuent.

Dans les années 1950, le terme « gauche » prend toutefois une nouvelle épaisseur. Guy Mollet lui-même, à la tête de la SFIO, et même si c’est pour en dénier l’intérêt pratique, a la formule célèbre : « les communistes ne sont pas à gauche, ils sont à l’Est ». On parle volontiers de la « gauche non communiste » pour désigner SFIO, RGR, etc. et de fait, des rapprochements s’opèrent. Ainsi du gouvernement Pierre Mendès France (1954) qui se fait fort de l’incarner et s’enorgueillit de n’avoir rien à faire avec les communistes. Ce bref gouvernement (7 mois…) qui suscita (et suscite…) beaucoup de fantasmes se voulut l’incarnation du sérieux, de la rigueur, etc. Il parvint toutefois à quelques (tardifs et partiels) succès en matière de décolonisation.

Dans la population, le mot « gauche » garde une certaine consistance. Ainsi un intellectuel comme Dionys Mascolo, tout juste sorti du Parti communiste, juge utile de faire paraître en 1955 Sur le sens et l’usage du mot gauche. Il reconnaît la diffusion du terme, en note le flou et cherche à en dégager le fond. Il considère la gauche comme l’incarnation du refus moral et superficiel, concept enfermé à l’intérieur du système bourgeois.

Dans la propagande communiste, le terme surgit vraiment avec les élections législatives de 1956. 20 ans après le Front populaire, près de 10 ans après que la brutale éviction des ministres communistes les a condamnés à l’impuissance et que la Guerre froide a mobilisé le pouvoir d’État contre les communistes – traqués et éliminés de tous les postes de direction, incarcérés au besoin, comme l’ont méticuleusement montré Michel Pigenet ou Vanessa Codaccioni. La suspension de l’union des socialistes avec la droite – pour cause de différend laïque – et leur opposition proclamée à la guerre menée en Algérie semblent offrir une fenêtre de tir historique pour mettre un terme à cet isolement superbe et retrouver la voie du pouvoir et des mesures de transformation progressistes. Bref, la gauche s’impose comme un des principaux noms destinés à orienter les regards socialistes vers les communistes plutôt que vers la droite.
Du côté socialiste, l’anniversaire est aussi dans les têtes mais il s’agit de structurer la gauche non communiste, c’est le « Front républicain » (unissant pour l’essentiel les radicaux et les socialistes). Victorieux avec 27 %, le Front républicain élu pour faire la paix en Algérie ne tarde pas à envoyer le contingent, tournant majeur dans la guerre d’indépendance algérienne. C’est aussi l’expédition punitive contre la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Sur le plan interne, plusieurs réformes sociales sont toutefois entreprises, la plus emblématique étant l’octroi d’une troisième semaine de congés payés.
Survient le « coup d’État al dente » (Michel Winock) de De Gaulle le 13 mai 1958, la gauche est là encore profondément désunie face au coup de force : quelques radicaux avec Pierre Mendès France refusent aux côtés de l’ensemble des communistes, mais la majorité des socialistes entraînée par Guy Mollet appuie le retour de De Gaulle et l’instauration de sa très personnelle et présidentielle Ve Répu­blique, en rupture totale avec tous les principes républicains défendus depuis le Second Empire, la gauche historique en quelque sorte. Mais les socialistes se divisent durement au cours de cette période, par rapport au colonialisme, au gaullisme, aux alliances politiques. Là peut donc commencer à se mettre en place ce qui va donner le Programme commun de gouvernement. Pourquoi ? Parce qu’apparaît un interlocuteur socialiste, parce que le scrutin uninominal de la Ve République pousse au désistement au deuxième tour avec des blocs gauche/droite. Il y a urgence pour le Parti communiste car le mode de scrutin couplé aux habiles ciseaux gaullistes aboutissent à ce qu’aux législatives de 1958, les 3,8 millions de voix communistes (premier décrochage du PCF depuis 1947 où le PCF est toujours à 5 millions) donnent 10 députés quand les 3,6 millions de voix UNR (gaullistes) en donnent 189… De fait, le mot se répand vite.
La gauche non communiste est en ébullition : le Parti socialiste autonome (PSA) est créé, par scission. Les clubs, multiples, peuplés de technocrates de gauche phosphorent. Le plus actif d’entre eux, le Club Jean-Moulin, autour de hauts fonctionnaires (souvent énarques, souvent chrétiens) comme Stéphane Hessel ou Michel Rocard multiplie les préconisations directement politiques, très marquées par l’aura de Mendès France et un état d’esprit souvent exalté, toujours gestionnaire. Ces clubs et ces forces se rassemblent progressivement autour d’un homme, François Mitterrand, au sein de la Convention des institutions républicaines (CIR) et surtout de la Fédé­ration de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). La gauche est ici clairement présente, jusque dans le nom de la force politique. François Mitterrand devient l’interlocuteur privilégié du Parti communiste car il estime, comme le PCF, que la seule voie vers le pouvoir passe par l’alliance des forces de gauche, en dépit de divergences nettes.
De ce point de vue, 1965 est une date clé : première élection du président de la République au suffrage universel depuis celle de Louis-Napoléon Bonaparte en 1848. Elle pousse puissamment à la personnalisation mais aussi à la bipolarisation gauche/droite par le jeu des deux tours. François Mitterrand est le candidat commun de la gauche et est présenté comme tel, ce qui ne laisse pas de donner un nouvel et très puissant essor à la popularisation du mot « gauche ». Le résultat est jugé encourageant par toutes les forces coalisées – De Gaulle subit son premier fort revers, en étant mis en ballottage.

Survient 1968, énorme mobilisation sociale mais échec politique cinglant pour la gauche : communistes et socialistes perdent plus d’un million de voix quand le frais PSU (gauchisto-gestionnaire, se voulant l’incarnation de 68 et promouvant activement l’autogestion) stagne à moins de 4 %. Dans le même temps, les gaullistes (UDR) à eux seuls font près de 40 % ! Le débouché politique du principal mouvement étudiant du siècle mais aussi de la plus grande grève ouvrière du XXe siècle est clair pour les communistes et Mitterrand : il faut, au plus vite, constituer une union lisible.
Chez les socialistes, la tentation du retour à l’alliance à droite n’est toutefois pas éteinte et c’est sur cette ligne que Gaston Defferre (maire de Marseille, allié avec la droite) est présenté à la présidence de la République en 1969, refusant toutes les propositions d’alliances du Parti communiste qui présente, pour la première fois, un candidat, le pilier de la Résistance communiste, Jacques Duclos, sur une ligne « union de la gauche ». Le résultat est connu : donné à 10 % le 5 mai derrière Gaston Defferre (11 %) dans les sondages, Jacques Duclos obtient finalement près de 5 millions de voix (score inédit depuis la IVe République) et 21 % contre à peine 1 million pour Defferre et tout juste 5 %. Quant au PSU de Rocard, il stagne sous la barre des 4 %. Les radicaux entrent dans l’insignifiance avec 1,3 %, rejoints par le jeune Alain Krivine à la tête de la Ligue communiste fraîchement née d’une scission de l’Union des étudiants communistes.
L’événement est traumatique pour les socialistes : c’est l’échec total du projet mûri de longue date de grande coalition centriste anticommuniste. La voie est ouverte à Mitterrand et à l’union de la gauche. Ce dernier prend le nouveau PS au congrès d’Épinay. Voulant éviter le face-à-face et aux fins de rassurer un électorat travaillé par un anticommunisme puissamment relayé, les communistes agissent pour que les radicaux entrent dans l’alliance, réitérant l’expérience du Front populaire.

En 1972, c’est chose faite, le Programme commun de gouvernement est signé entre communistes, socialistes et radicaux – ces derniers se scindant en deux, les signataires devenant « radicaux de gauche » et les réfractaires les « radicaux de droite ». Le programme commun de gouvernement est le programme commun de la gauche : le mot entre alors dans sa période d’omniprésence invasive.
Toute la gauche n’y est toutefois pas rassemblée : outre la micro extrême gauche, le PSU s’y refuse, marqué par un anticommunisme viscéral qui prend alors pour nom « antitotalitarisme ». Les élections législatives (1973) qui devaient être (encore une fois…) un raz-de-marée pour le PSU face à des forces coalisées derrière un archaïque et jacobin programme commun, apportent (encore une fois…) un clair démenti au PSU. Il s’agit donc d’intégrer le Parti socialiste pour l’influencer de l’intérieur. Ce sont les Assises du socialisme (1974), la famille socialiste est unifiée derrière une tactique : celle de l’union de la gauche autour d’un programme commun de gouvernement. Pour autant, ce programme, grandement l’œuvre des communistes, est loin de faire l’unanimité au sein des rangs socialistes mais, tactiquement, il faut en passer par là, aux fins d’arriver au pouvoir tout en prenant 3 millions de voix aux communistes (selon la formule explicite de François Mitterrand devant l’Internationale socialiste).
En tout cas, dans la société comme dans la propagande des forces coalisées, le mot « GAUCHE » écrase tout, il est partout. Le PCF, afin d’avoir un allié, crée en maints endroits de toutes pièces des élus socialistes. Les gains sont aussi très importants pour le Parti communiste sur le plan des élus : les municipales de 1977 sont ainsi un triomphe pour le PCF qui emporte Le Havre, Bourges et même Reims à la tête de listes d’union de la gauche. Le cap est mis sur les couches moyen­nes dans un contexte de scolarisation massive et d’essor de ce que les communistes appellent les ITC (ingénieurs, techniciens, cadres). Sur le fond, c’est la voie démocratique qui est clairement revendiquée, la dictature du prolétariat étant jugée inadéquate pour la France contemporaine (22e congrès du PCF, 1976). Le programme commun de gouvernement de la gauche est l’élément de réponse à maintes questions politiques.
Cette ligne a des conséquences sur l’électorat communiste comme sur la composition du PCF, sur le plan sociologique et politique. L’afflux militant est massif car ceux qui, concrètement, physiquement, portent le message de l’union de la gauche, sont le plus souvent les communistes mais ces nouveaux adhérents adhèrent peut-être davantage à l’union de la gauche qu’au PCF.
En 1977-1978, face à l’érosion inattendue de leurs résultats et à la progression rapide du PS qui rattrape son retard sur le PCF, les communistes qui pensaient progresser encore comme en 1936 ou en 1969 avec leur stratégie d’union, sont déstabilisés. La rupture du programme commun leur est médiatiquement imputée et le PCF subit là un revers d’importance. Les sondages commandés alors par le Parti sont clairs : l’électorat communiste est désorienté et clivé. Une moitié est viscéralement attachée à l’union de la gauche et attend des signes plus forts encore d’éloignement d’avec le monde soviétique ; une autre est de plus en plus hostile à l’union de la gauche et attend un affermissement des positions sur une ligne de classe plus nette.
Au sein du Parti communiste, la crise éclate avec des scissions et des départs, à commencer par la puissante équipe de direction de la fédération de Paris, très partisane de la ligne des années 1970 (union de la gauche et couches moyennes). Un cycle est enclenché pour plusieurs décennies. Dans le même temps, la force montante socialiste affiche l’unité des vainqueurs. Les radicaux restent faibles et à ancrage régionalisé.

Les années 1970 sont ainsi très clairement le moment de la gauche. D’autant que les gauchistes, dont c’est pourtant l’âge d’or, n’en sont pas moins électoralement nains. Pour autant, l’hostilité dans les cercles médiatiques et académiques à cette union de la gauche, demeure forte – c’est aussi l’heure de gloire de « l’antitotalitarisme » – et la thématique de la « social-démocratie » fleurit, librement inspirée des modèles allemand et suédois.

1978 puis 1981 closent cette décennie. Le Parti communiste qui privilégia longtemps les formulations comme « démocratique » ou « ou­vrier », après s’être positionné prioritairement comme de gauche, se veut désormais « anti-droite ». C’est le sens de la campagne de Georges Marchais en 1981 : « candidat anti-Giscard ». À ce jeu, c’est le vote utile socialiste qui semble l’avoir emporté… Marchais fait 15 % contre 20 % aux européennes de 1979 et surtout 25 % à Mitterrand. Le maître de l’heure a changé de camp : la gauche passe à l’heure socialiste.

Contribution (3)
de Guillaume Roubaud-Quashie

La Revue du projet, n°50, septembre 2015

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La gauche à l’heure communiste (1941-1981), Guillaume Roubaud-Quashie

le 28 October 2015

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