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Un projet pour l’école, c’est un projet pour la société, Marine Roussillon

C’est la rentrée scolaire et avec elle les débats autour de l’école reviennent en Une de l’actualité. Rythmes scolaires, réforme du collège, moyens, l’école dans le projet communiste, Marine Roussillon, animatrice du secteur au sein du Conseil national du PCF, fait le point pour La Revue du projet.

La rentrée s’annonce mouvementée : manque de moyens, imposition autoritaire de la réforme du collège… pourtant, dans les média, le débat sur l’école se résume à une opposition entre partisans de l’élitisme et du nivellement par le bas. Comment sortir de cette impasse ?
Le débat sur l’école est prisonnier d’une idéologie libérale qui affirme que tous les élèves ne sont pas « faits pour l’école », qu’ils sont inégalement « doués ». À partir de là, l’école ne peut être qu’inégalitaire : soit on organise l’inégalité au sein du service public (mise en concurrence des établissements, classes de niveau) soit on réduit le service public au minimum et on laisse les plus « doués » – en fait, ceux qui en ont les moyens financiers et culturels – aller chercher des « compléments » hors de l’école. C’est le principe de la réforme du collège, mais aussi de la réforme des rythmes scolaires.
Tous les élèves sont capables d’apprendre et de progresser. C’est un acquis de la recherche scientifique et maintenant c’est aussi, grâce aux sénateurs communistes, inscrit dans la loi. Il reste pourtant très difficile d’en convaincre les enseignants, les parents, et même les jeunes. Face aux difficultés que beaucoup d’élèves rencontrent, il est plus simple de se dire que c’est parce « qu’ils ne sont pas faits pour l’école » Nous devons faire entendre que le problème ne vient pas des enfants (ni d’ailleurs de leurs parents ou des enseignants) : le problème, c’est l’école. C’est elle qui n’est pas faite pour tous les enfants.
L’école de la République est fondée sur un compromis. Au moment de la Révolution industrielle, le patronat français a eu besoin d’une main-d’œuvre mieux formée : il a donc fallu démocratiser l’éducation. En même temps, il était hors de question de modifier la hiérarchie sociale : la démocratisation s’est donc accompagnée de processus de sélection. Avec la révolution informationnelle, l’éducation est à nouveau un enjeu central de la lutte des classes. Les connaissances jouent un rôle de plus en plus important dans la production de plus-value, dans le travail, dans le débat démocratique… Le patronat, en France et dans toute l’Europe, a besoin d’un salariat mieux formé. Mais il ne veut pas donner à ces salariés les pouvoirs qui vont avec la maîtrise des savoirs (reconnaissance de la qualification, maîtrise des choix de l’entreprise…). Il cherche donc à la fois à élever le niveau de formation et à accroître les processus de sélection, de tri, dans une école de plus en plus inégalitaire.
Cette école inégalitaire est donc un choix politique, pas une fatalité. Il est possible de nous appuyer sur l’importance nouvelle des savoirs pour promouvoir un autre projet pour l’école et pour la société, fondé sur l’élévation du niveau de connaissance et de qualification dans toute la société, sur le partage, la mise en commun des connaissances et des cultures. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur les aspirations à la connaissance, à la création, à la réussite qui existent dans la société, et qui rassemblent les couches les plus populaires et les couches moyennes du salariat. Nous devons montrer qu’il est possible de répondre à ces aspirations : de construire une école de l’égalité qui fasse réussir tous les enfants, une école émancipatrice qui donne à chaque enfant les moyens de maîtriser les choix individuels et collectifs auxquels il sera confronté dans sa vie d’adulte.

Avant les grandes vacances, le PCF a organisé une rencontre nationale sur l’éducation. Quels en étaient les objectifs ?
Cette rencontre est le point de départ d’une campagne de longue durée pour faire entendre un autre projet pour l’école que le projet libéral et inégalitaire qui domine le débat. Depuis l’arrivée du PS au pouvoir et le vote d’une « loi de refondation » qui prolonge les politiques éducatives libérales, nous avions le projet de réunir les acteurs de l’éducation pour mettre en commun des propositions et travailler à un projet partagé. Les attentats de janvier dernier ont accéléré le processus : l’école est brutalement revenue sur le devant de la scène et s’est trouvée investie de l’aspiration à « vivre ensemble » portée par la grande majorité des Français. Il nous a semblé alors nécessaire d’ouvrir le débat : comment l’école peut-elle construire du commun ? Comment construire une école de l’égalité, une école émancipatrice pour tous ?
Au PCF, nous avons des propositions : en 2005, nous avions même rédigé un projet de loi pour l’école de la réussite de tous. Et nous ne sommes pas seuls à porter cet objectif. De nombreux acteurs de l’éducation ont travaillé à des solutions : les syndicats, les mouvements d’éducation populaire, les chercheurs… L’idée était donc de réunir tous ceux qui veulent une transformation de l’école, non plus pour partager nos analyses de la crise, mais pour mettre en commun nos propositions et les faire entendre dans le débat public.
La journée a été un succès. Elle a réuni plus de 200 personnes issues d’organisations diverses et a abouti à la formulation de propositions précises pour transformer les contenus et les pratiques de l’école, résoudre la crise du métier d’enseignant, faire de l’école un espace de démocratie, assurer la gratuité et l’égalité sur tout le territoire. C’est un point de départ : le travail doit continuer, dans des débats locaux, dans le dialogue le plus large possible avec les acteurs de l’éducation et les forces de gauche. Notre objectif est l’élaboration d’un plan d’urgence pour l’école, d’un plan Langevin-Wallon du XXIe siècle, qui pourrait être présenté en 2017, pour les cinquante ans du plan Langevin Wallon et dans le cadre de la campagne des présidentielles.
L’école est une question stratégique parce qu’elle intéresse largement : elle peut permettre d’opérer une alliance entre les couches moyennes et les couches les plus populaires du salariat et jouer un rôle central dans la reconstruction d’une gauche qui vise la transformation sociale.

Les nouveaux rythmes scolaires s’installent cahin-caha dans les communes. Quelle est votre position sur cette réforme ?
Nous sommes depuis le début opposés à cette réforme. Elle n’apporte aucune solution aux difficultés de l’école. Au contraire, il s’agit d’une nouvelle délégation des missions du service public national vers les collectivités locales, qui a pour conséquence d’accroître les inégalités entre les communes et donc entre les enfants.
Dès la mise en place de la réforme, les communes ont été mises en difficulté par le manque de moyens : comment recruter des animateurs qualifiés ? Comment les former ? Comment assurer la gratuité des activités proposées ? Au bout d’un an, les moyens donnés par l’État pour faire avaler la pilule aux communes récalcitrantes et accélérer la mise en place de la réforme ne sont plus là, et les difficultés s’accroissent. De plus en plus de communes sont contraintes de faire payer les parents, voire de laisser le périscolaire au privé, sacrifiant ainsi l’égalité de traitement des enfants, les conditions de travail des animateurs et la qualité du service rendu.
Malgré ces difficultés, les mairies communistes ont souvent fait un travail remarquable avec la population pour mettre la réforme au service de la réussite des enfants. Il est encore possible de s’appuyer sur ces réalisations pour construire un service public national déconcentré du périscolaire, avec une véritable filière animation. Mais ce service public ne pourra en aucun cas remplacer l’école : c’est pourquoi nous nous battons aussi pour le rétablissement de la demi-journée d’école supprimée par la droite, pour donner à tous les enfants le temps d’apprendre et de réussir.
Cette question des « rythmes » pose plus largement le problème de l’organisation des temps de la vie. On nous pousse à travailler de plus en plus longtemps : travail du dimanche, âge de la retraite… Mais n’avons-nous pas plutôt besoin de consacrer plus de temps à la vie de famille ? D’étudier plus longtemps ? Nous sommes convaincus que l’évolution de la société rend nécessaire l’allongement du temps scolaire.

En proposant de porter l’âge de scolarisation obligatoire de 16 à 18 ans, ne craignez-vous pas de prolonger les difficultés rencontrées par un certain nombre d’élèves dans le système éducatif actuel ?
Il faut d’abord préciser que la très grande majorité des élèves est aujourd’hui scolarisée jusqu’à 18 ans. Avec cette proposition, il ne s’agit donc pas de forcer les jeunes à rester à l’école plus longtemps. Au contraire, l’objectif est de forcer l’État à ne pas les faire sortir ! Très concrètement, l’allongement de la scolarité obligatoire obligerait l’État à garantir la gratuité au lycée, en particulier dans les voies technologiques et professionnelles, qui nécessitent souvent un matériel coûteux. Cela obligerait aussi l’État à se donner les moyens d’accueillir tout le monde au lycée, au lieu d’ouvrir des classes à la dernière minute, sous la pression des mobilisations autour des jeunes sans affectation.
Ensuite, il faut poser la question : d’où viennent les difficultés rencontrées par les élèves ? Sûrement pas du fait qu’ils passent trop de temps à l’école ! Au contraire, à un moment où l’école doit transmettre des savoirs de plus en plus complexes, lui donner plus de temps pour le faire doit permettre de varier les pratiques pédagogiques, d’accorder plus d’attention aux difficultés de chacun. Surtout, cela doit permettre à l’école d’assurer l’ensemble des apprentissages nécessaires, sans rien déléguer aux familles (ou aux cours privés). Bref, l’allongement du temps passé à l’école est un moyen de réduire les difficultés rencontrées par les élèves, et non de les prolonger.
Mieux, l’allongement de la scolarité obligatoire est un levier pour transformer l’école. En affirmant que le but de l’école doit être de préparer tous les élèves à faire des études supérieures, il s’agit d’affaiblir tous les mécanismes de sélection, de tri des élèves et de promouvoir le modèle d’une école commune, au service de la réussite de tous. On sait combien le collège fait aujourd’hui fonction de centre de tri : certains élèves, dont les difficultés sont estimées indépassables, sont baladés de « classe relais » en dispositif de remédiation jusqu’à ce qu’arrive la date fatidique de leurs 16 ans. L’allongement de la scolarité obligatoire doit au contraire aller de pair avec une relance du collège unique : un collège traitant en son sein les difficultés de tous les élèves pour permettre à tous d’aller jusqu’au BAC et au-delà.

Quel rôle l’école peut-elle jouer dans le projet d’émancipation humaine du XXIe siècle que les communistes souhaitent faire émerger ?
Un projet pour l’école, c’est un projet pour la société ! L’école libérale a pour objectif de configurer le salariat de demain : des salariés isolés, sans culture commune, sans qualification commune, et donc sans les moyens de construire des revendications collectives. Du même coup, elle construit une société fondée sur l’individualisme et la concurrence et réserve la politique aux « experts ». Cette société, elle ne profitera à personne, sauf à une petite minorité de patrons.
De notre côté, comment pouvons-nous réclamer de nouveaux pouvoirs pour les travailleurs si nous ne donnons pas aux travailleurs les moyens d’exercer ces pouvoirs ? Comment parler de renouveau démocratique si les citoyens ne sont pas égaux face aux savoirs et à la culture ? Surtout, comment imposer une transformation de la société si nous ne pouvons pas nous appuyer sur une culture commune, des revendications collectives ?
L’école joue donc un rôle essentiel dans le projet communiste. Il ne s’agit pas seulement de défendre un service public. La bataille pour l’école doit aussi être une bataille sur les pratiques, les contenus de ce qu’on apprend à l’école : nous ne voulons plus d’une école qui s’adapte au monde tel qu’il est et à ses inégalités. Nous voulons construire l’école qui permettra à tous de comprendre le monde pour le transformer.  n

Pour compléter cet entretien et approfondir les questions traitées, consultez http://reseau-ecole.pcf.fr

La Revue du projet, n° 49, septembre 2015
 

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Un projet pour l’école, c’est un projet pour la société, Marine Roussillon

le 22 September 2015

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