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Haro sur l’Islam… ou de la nostalgie, Véronique le Goaziou*

L’atteinte à la République est en réalité une vieille antienne dans notre pays, où l’immigration est quasi consubstantielle à l’identité nationale.

Une partie notable des Français de confession musulmane vivent dans les quartiers relégués de nos banlieues. Depuis les années 1980 – et une nette accentuation à partir des années 2000 – le regard porté sur les habitants de ces quartiers s’est considérablement déprécié. Non seulement ils incarnent des formes redoutées de régression sociale – une sorte de miroir négatif de nos sociétés –, mais le discours commun entonne aujourd’hui qu’ils feraient courir des risques à notre « modèle républicain ». L’on pointe du doigt dans ces quartiers la décomposition, le désordre ou l’anomie – regard qui empêche de voir les solidarités, les liens et les luttes qui y demeurent pourtant – mais l’on reproche aussi aux habitants d’être des démissionnaires de la citoyenneté.

Des tentations de rejet des étrangers
L’atteinte à la République est en réalité une vieille antienne dans notre pays, où l’immigration est quasi consubstantielle à l’identité nationale. Et s’il n’a jamais existé d’Âge d’Or de l’immigration où tout aurait été plus facile, si les tensions économiques ont toujours produit des tentations de rejet des étrangers (y compris dans le monde ouvrier), les préventions à l’égard de l’immigration extra-européenne (pays du Maghreb et d’Afrique noire) sont sans commune mesure avec celles que pouvaient inspirer les autres migrants.
Les familles sont particulièrement visées et, comme de coutume, les mères. Mères maghrébines ou africaines, lit-on dans certains documents, qui s’occuperaient seules de l’éducation des enfants et auraient un rôle de surprotection néfaste à l’acquisition des interdits. Généralement, suit une série de mesures à destination de ces parents (pardon, de ces mères) défaillant(e)s que l’on cherche – comme au XIXe siècle à l’endroit des classes populaires – à éduquer, moraliser et, finalement civiliser pour qu’ils adoptent les normes conformes à la modernité.
Dans cette exigence d’intégration, les catégories sociales sont remplacées par des catégories culturelles globalisantes et la différence culturelle est perçue comme une menace, du moins celle de certains ménages (Maghrébins et Africains). Pourtant, la culture des Maghrébins et des Africains – qui du reste masque une grande diversité de pratiques et de comportements – présente bien des similitudes avec la culture rurale de générations de Français. Quant à la place des femmes et l’éducation des enfants, elles semblent très proches de ces cultures rurales mais aussi de la culture des Français urbains des classes moyennes. En réalité, ce sont toujours largement les mères (immigrées ou non) qui s’occupent du travail domestique, des enfants et des relations avec les institutions. Dès lors si l’on doit s’inquiéter de la « disparition des pères » – un leitmotiv dans les quartiers populaires où l’on regrette de n’avoir affaire qu’aux mamans – c’est de haut en bas de l’échelle sociale et indépendamment de toutes les appartenances culturelles (fussent-elles celles des étrangers ou de leurs descendants) que l’on doit s’en inquiéter.

Focalisation
sur les musulmans

Il faut encore redire aujourd’hui que l’identité culturelle relève d’un bricolage permanent pour n’importe quel individu, y compris pour les migrants. Et à supposer même que des traits culturels dominent, aucune loi, aucune prédiction ou aucun fantasme ne permet d’en inférer tel ou tel comportement. Risibles à cet égard et si peu sérieuses sont les alarmes sur la montée du communautarisme. D’où tient-on que l’envie de faire communauté serait spécifique aux Maghrébins ou aux Africains ? Sait-on que la communauté portugaise est sans doute celle qui maintient les liens les plus forts de solidarité, de convivialité et d’union ? Sans même parler de la communauté chinoise. Comme le relevait un rapport de la Cour des comptes de 2004 sur l’immigration, « les phénomènes de communautarisme sont appréciés par l’opinion de manière très sélective ».
Depuis les années 2000 – avec des pics d’intensité variable suivant les événements – c’est sur l’appartenance à la confession musulmane que les débats sur l’intégration ou l’assimilation des étrangers et des migrants se fait. Mais qu’est-ce que l’appartenance à la confession musulmane ? Être né dans un pays musulman ? Pratiquer l’islam ? Lire Le Coran ? D’où tient-on qu’il y aurait moins de diversité et de pluralité dans les pratiques confessionnelles de musulmans qu’il n’y en a chez les juifs ou chez les chrétiens ? Sans compter que beaucoup de personnes que l’on dit d’origine musulmane – comme nous serions en France d’origine catholique – peuvent aussi se définir hors de la religion. Certes, l’intégrisme musulman existe, mais il n’est pas sûr qu’il soit judicieux de lui opposer l’intégrisme de la République – à supposer même que l’on sache ce que cela peut signifier.
Dans les attaques portées contre l’islam ne se mêlerait-il pas au fond une bonne dose de nostalgie ? Le dernier livre de Michel Houellebecq (Soumission), à tort considéré comme musulmanophobe, est une jolie mais très sérieuse fable sur l’aspiration qui nous guette à retourner au monde de nos ancêtres. Dans cette fiction, la France est dirigée par un président musulman qui – ô joie – règle en quelques lois et décrets nos problèmes. L’exclusion des femmes du marché du travail fait drastiquement chuter le taux de chômage, la coûteuse protection sociale n’a plus lieu d’être car l’on renvoie aux familles le soin de s’occuper des pauvres – et à chacun de pratiquer l’aumône. La société nouvellement créée redevient naturellement inégalitaire et ne se soucie guère d’améliorer le sort des déshérités qui demeurent à leur place. Quant aux fonctionnaires de l’État – dans le livre de Houellebecq des intellectuels en poste à l’université – ils se voient proposer une rémunération quadruplée ainsi que des femmes via des mariages arrangés. Hormis la polygamie, le monde ainsi décrit, on ne peut plus ordonné, n’est franchement pas éloigné de celui que nous avons connu pendant des siècles. Mon propre grand-père, qui affichait sa culture bretonne comme un étendard, s’y serait senti parfaitement à l’aise. Nos obsessions contre l’Islam devraient aussi nous interroger sur nos obsessions de l’ordre et d’un monde parfait.  

*Véronique le Goaziou est philosophe. Elle est chercheuse associée au laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES).

La Revue du projet, n° 49, septembre 2015

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Haro sur l’Islam… ou de la nostalgie, Véronique le Goaziou*

le 22 September 2015

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