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Qu’est-ce qu’être Français?, Emeline Dupin

 

Plus que tout autre critère c’est une socialisation commune qui réunit les Français.

 

Par Émeline Dupin*

Il ne sera pas question dans cet article de résumer l’ouvrage de Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? et de tracer les grandes lignes d’une histoire de la nationalité française mais plutôt de s’interroger sur les aspects, sur les dénominateurs communs qui constituent concrètement l’identité française. Si les éléments juridiques sont naturellement pris en compte, ils ne peuvent constituer à eux seuls la « substantifique moelle » (Rabelais) de la Nation française.

 

La communauté nationale ?

Dans la lignée d’Ernest Renan, auteur d’une conférence publiée sous le titre « Qu’est-ce qu’une Nation ? » (1882), il est fréquent de considérer que la nation française se fonde sur une histoire commune et sur la volonté d’être français. C’est ce que l’on appelle la « conception élective » de la nation où la part de la subjectivité, du choix individuel prédomine. Cette conception a été réactualisée récemment par Alain Finkielkraut afin d’exclure de la nation tous ceux qui ne partageraient pas certaines valeurs qui, par essence, seraient françaises. Cette vision fait alors fi du contexte historique dans lequel a lieu la conférence de Renan avec la perte de l’Alsace-Moselle lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Après ce conflit, de nombreuses polémiques voient le jour entre universitaires français et allemands pour justifier le rattachement de ces territoires à l’un ou l’autre des pays. Réactualiser cette conception, 130 ans plus tard, en faisant abstraction de ce contexte revient à promouvoir un esprit national français immuable.

 

Une culture commune spontanée ?

Il est également fréquent de considérer qu’être français c’est partager une culture commune et notamment une langue commune. C’est oublier que le français n’est devenu que progressivement la langue maternelle de beaucoup de citoyens au cours de la IIIe République. Encore au moment de la Grande Guerre, nombreux sont les citoyens-soldats envoyés au front qui ne maîtrisent pas, ou imparfaitement le français, s’exprimant quotidiennement en patois. Au cours du XXe siècle, la plupart des Français utilisent plusieurs langues véhiculaires, le français ainsi qu’un patois ou une langue « étrangère ». Si le français peut alors apparaître progressivement comme « la » langue des Français, consacrée du moins comme étant celle de la République dans l’article II de la Constitution, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas forcément la langue exclusive des Français. Plus largement, toute conception de la nation fondée sur une culture commune nie la diversité des cultures propres à chaque individu et la pluralité des cultures au sein de la société française avec notamment des cultures différenciées produites par les classes sociales.

 

un cadre juridique ?

Être français signifie-t-il forcément être reconnu juridiquement comme étant français à travers un certain nombre de documents administratifs comme la carte d’identité ou le passeport, la carte d’électeurs, etc. D’emblée, compte tenu du nombre d’abstentionnistes, des restrictions pénales ou en matière d’âge légal, il semble évident qu’il n’y a pas d’analogie entre la citoyenneté et la nationalité. Qu’en est-il à propos de la carte d’identité qui est censée symboliser l’appartenance à la nation française ? Depuis le Code Civil napoléonien de 1804, le jus sanguinis ou [droit du sang] – domine dans la transmission de la nationalité. Bien qu’en 1889, le jus soli [droit du sol] lui soit adjoint afin de faire face aux besoins militaires de la nation et compte tenu que la France est un pays dit d’immigration, le jus sanguinis n’a jamais été remis en question. Ceci explique dès lors que des individus ont hérité de la nationalité française sur plusieurs générations – et peuvent voter – sans jamais avoir foulé le sol national. Posséder un document administratif ne paraît donc pas le critère déterminant permettant de définir ce qu’est être français.

 

Une socialisation commune

Les conceptions précédentes ont donc d’importantes limites qui ne permettent pas de les considérer comme les fondements de la Nation française. En revanche, d’autres éléments constituent le terreau sur lequel cette dernière s’érige. Le cadre juridique commun, le fait que tous les individus se trouvant sur le territoire français sont soumis aux mêmes lois, votées par les députés – représentants de la Nation – est un premier élément. À celui-ci s’ajoute un certain nombre d’institutions comme l’école qui, à travers les programmes, les épreuves nationales mais aussi les moments partagés, façonne les générations. Il en est de même de la Sécurité sociale, lien invisible qui relie tous ceux qui vivent sur le territoire et créent de fait une solidarité, solidarité organique pour reprendre la distinction opérée par Émile Durkheim. Enfin, le fait de partager certaines temporalités (fête nationale, jours fériés, vacances scolaires, dimanches chômés, etc.) renforce le sentiment d’appartenance à une même société, qui vit selon les mêmes rythmes, qui fait vivre les gens ensemble.

Être français c’est donc une socialisation commune, le fait de partager des lieux et des temporalités, des droits et des contraintes. Ainsi, lorsqu’au nom de la mondialisation, du XXIe siècle ou d’autres arguties, on s’attaque à ces fondements du vivre ensemble, il s’agit d’une entreprise de dissolution de la Nation française.

 

*Émeline Dupin est agrégée d’histoire.

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Qu’est-ce qu’être Français?, Emeline Dupin

le 23 avril 2015

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