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La politique de développement territorial à Londres,Martine Drozdz

 

Le bilan d'une dizaine d'années de grands projets permet de mieux comprendre les succès et les impasses, en particulier en matière d'inclusion sociale et politique, d'un arrangement qui avait initialement l'ambition d'articuler développement des marchés immobiliers et cohésion socioterritoriale.

 

Par Martine Drozdz*

 

« Ya plus qu'à monter

Sur mon bulldozer… »

Maud Octallin

 

 

Depuis une quinzaine d’années, le développement territorial de la ville de Londres est en partie mené par une institution métropolitaine, le Grand Londres, un des points de référence dans la construction institutionnelle du Grand Paris. Le Grand Londres chapeaute l’action des 33 districts londoniens et a en charge des compétences stratégiques comme les services de transport ou la police. Il coordonne également l’aménagement de grands projets de renouvellement urbain, l’équivalent des projets d’intérêt métropolitain pour le Grand Paris. Ainsi à Londres, c’est désormais le maire, élu au suffrage universel direct tous les quatre ans, qui alloue les permis de construire pour les projets considérés comme « stratégiques » pour le développement de la capitale.

 

Une croissance de la population inédite

Depuis 2004, la mairie du Grand Londres, en partenariat avec les pouvoirs locaux, les agences nationales pour la rénovation urbaine et des promoteurs immobiliers privés, coordonne l’aménagement d’une trentaine de sites – dont une quinzaine est située dans la première couronne de la capitale – autour d’une politique ambitieuse de développement des territoires articulée à celui des infrastructures de transport. Ces actions misent à la fois sur le renforcement de l’accessibilité et sur la densification du bâti pour permettre de faire face à une croissance de la population inédite après plusieurs décennies de déclin. La ville fait en effet face à une croissance démographique soutenue, particulièrement marquée dans les espaces centraux. Après avoir gagné 500 000 habitants entre 1991 et 2001, la population du Grand Londres a augmenté de 14 % et gagné un million d’habitants entre 2001 et 2011 pour dépasser la barre des 8 millions.

 

Les zones dans lesquelles la croissance est la plus forte – au-delà de 25 % – se situent à l’est et au sud de la Tamise. De nouveaux projets immobiliers ont ainsi transformé les paysages historiques de l’East End populaire et industriel. Ils se sont construits le long de l’axe nord sud de l’Overground, la ligne de métro aérien ouverte en 2010. Le long de la Tamise, les zones de rénovation urbaine et de reconversion économique connaissent quant à elles une croissance démographique supérieure à 50 %, en raison de la reconversion du foncier industriel vers des projets résidentiels. La disparition des activités liées au port depuis une cinquantaine d’années offre ainsi des terrains considérables – mais fortement pollués – dont la reconversion s’effectue progressivement, au gré des cycles de croissance des marchés immobiliers.

Dans ce type de projets, la puissance publique est rarement motrice, contrainte par un accès très restreint au capital ; elle dépend exclusivement de partenariats avec des investisseurs privés pour monter des projets de développement territorial, même si elle peut jouer un rôle actif à certaines étapes des projets, et fournir par exemple des terrains qu’elle possède à bas coût. Par conséquent, la nécessité de garantir la valorisation des capitaux investis par des acteurs privés à court et moyen terme est fondamentale pour comprendre la forme des projets et les publics auxquels ils se destinent, en majorité les catégories sociales aisées. Dans ces conditions très sélectives socialement, comment proposer à l’ensemble des Londoniens, les familles modestes, les travailleurs les moins bien rémunérés, des conditions de logement décentes ?

 

De nouveaux quartiers mixtes socialement

Depuis 2000, plusieurs districts traditionnellement à gauche se sont associés au Grand Londres pour négocier directement avec les acteurs de la promotion immobilière, en particulier résidentielle. L’idée était d’essayer de s’associer à des promoteurs conciliants en leur garantissant un accès privilégié aux sites prioritaires de renouvellement urbain en échange de la construction d’une part de logements qui sont loués ou vendus en dessous des prix du marché. Dans les premières années de sa mise en œuvre, cet arrangement a permis de développer de nouveaux quartiers mixtes socialement et de construire de nouveaux logements sociaux et en accession à la propriété. Mais la quantité de logements construits n’a jamais pu répondre à la demande grandissante, émanant d’une frange toujours plus élargie de la population qui se retrouve en situation de mal-logement à mesure que les prix augmentent. Entre 2005 et 2011, la proportion de familles mal logées, où chaque pièce est occupée par une personne ou plus, a ainsi augmenté de 18 % dans la capitale.

 

Progression du mal-logement 

Depuis 2008 et l’élection d’un maire conservateur à la tête du Grand Londres, les objectifs de mixité sociale dans les grands projets urbains ont été revus à la baisse. La centralisation politique des décisions d’aménagement pour les périmètres considérés comme stratégiques dans le développement de la capitale a été renforcée. Cette situation politique aboutit alors au paradoxe suivant : les permis de construire pour les grands projets urbains sont accordés rapidement par le Grand Londres grâce à des procédures simplifiées mais le mal-logement progresse partout. Dans les périmètres de développement prioritaires situés dans des quartiers populaires, cette évolution est encore plus marquée puisque les nouveaux logements proposés ne sont pas accessibles aux ménages qui y vivent. Plusieurs associations de défense des droits des locataires du parc social ont ainsi alerté les pouvoirs publics sur les conséquences négatives de projet qui étaient initialement annoncés comme des occasions d’augmenter l’offre de logements aidés en associant rénovation urbaine et densification. Les études menées sur les projets effectivement réalisés indiquent une baisse importante de la part de logements aidés dans tous les projets construits actuellement.

Si la politique des grands projets de développement prioritaire a été un succès pour réorienter géographiquement les flux d’investissement vers des quartiers qui étaient historiquement évités par les acteurs de la promotion immobilière, la question de savoir qui sont les bénéficiaires de ce programme pose franchement problème. Dans ces projets, même si la puissance publique n’assume pas des risques semblables à ceux qui sont pris par la promotion immobilière, la mise à disposition de certaines ressources, en particulier foncières, appartenant à l’État, justifie une analyse fine des bénéfices effectivement reçus par l’ensemble de la collectivité, et pas seulement par certains acteurs clés. Actuellement, aucune évaluation de ce type n’est menée par le Grand Londres et l’affirmation des retombées « bénéfiques » de ce type d’arrangement pour les Londoniens reste plus supposée qu’avérée. Enfin, l’exemple londonien montre que l’absence de contre-pouvoir effectif à la tête de l’institution métropolitaine rend la prise en compte d’enjeux cruciaux comme la durabilité et l’inclusion sociale très vulnérable aux changements de majorité… « L’efficacité » des prises de décision par un pouvoir fort permet certes d’accélérer l’examen et l’accord des permis de construire mais au risque d’une réorientation sociale contre laquelle il n’existe alors que très peu de recours. 

 

*Martine Drozdz est géographe. Agrégée, elle est doctorante à l’université Lumière Lyon-II.

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La politique  de développement  territorial à Londres,Martine Drozdz

le 23 April 2015

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