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Liberté et répression

Il n’y a pas de liberté possible sans égalité. Plus les conditions de travail et d’existence des travailleurs sont dégradées, moins il est possible de tenir un discours progressiste sur la prison et la délinquance.

 

Par Clara Grande*

Hormis les vrais bandits, qui est en prison et pourquoi ? Des récalcitrants ? 



La population carcérale est jeune, sans travail ou précaire, étrangère, issue de l’immigration ou des classes les plus défavorisées de la société (banlieues au premier chef). Elle purge des peines courtes, ne permettant en aucun cas une réinsertion, car rien n’a le temps de se mettre en place (ni formation, ni travail, ni logement, ni soins, ni même restauration de liens familiaux). Les maisons d’arrêt sont pleines à craquer et génèrent de la délinquance. Ces détenus sont en général condamnés pour inadaptation à la norme et intolérance à la frustration. Ils ont commis des vols (pour des butins souvent dérisoires), des violences (souvent en lien avec des vols), des petits trafics ou des braquages toujours dérisoires liés aux stupéfiants, ou encore des actes dirigés contre l’autorité (outrages, rébellions). C’est lié aux conditions d’existence : carences éducatives ou affectives, précarité et pauvreté, difficultés de logement, absence de prise en charge médicale de troubles dépressifs. Notre droit a récemment nourri cette catégorie de délinquants par la création de circonstances aggravantes pour les faits commis dans les transports en commun, aux abords d’un établissement d’enseignement ou d’une enceinte sportive : il n’y a plus aucun vol simple, tous sont devenus aggravés !

 

Y a-t-il d’autres causes ?

Oui, la multiplication des contrôles d’identité ne peut qu’entraîner des réactions violentes à l’égard des forces de l’ordre, car ceux qui les subissent sont peu aptes à contrôler leur impulsivité. La pénalisation croissante de la consommation de cannabis n’arrange rien, alors que, pour certains, disent-ils, c’est le moyen de « parvenir à dormir le soir » (l’anxiolytique du pauvre). Les fameuses peines plancher ne font qu’accroître le phénomène. Les détenus ressortent pires qu’avant et on leur demande d’être meilleurs ensuite ! Pure illusion de penser que la prison telle qu’elle existe en France est à même de prévenir la récidive ! 


 

Que faire des petits délinquants ?



Outre la prévention, il faut favoriser les mesures de suivi et d’accompagnement social hors les murs de la prison, en mettant vraiment les moyens dans les services de probation, les soins gratuits (psychologiques, psychiatriques, médicaux – en addictologie). Il faut recruter plus de travailleurs sociaux, décentraliser les centres de suivi, les rendre facilement accessibles. Il faut surtout changer profondément le sens de la peine, qu’elle ne soit plus une exclusion compensant symboliquement le mal causé (ce qui justifie les pires conditions de détention), mais qu’elle vise réellement la réinsertion sociale, la modification des conditions qui ont rendu possible un passage à l’acte. 
La surpopulation carcérale rend tout travail social impossible en détention, il faut instaurer un numerus clausus qui contraindra les juges à faire sortir certains détenus s’ils veulent en incarcérer d’autres. Pas de « sortie sèche », sans logement, sans projet, sans suivi ! Elle doit être préparée, la détention doit donc être réservée à des délinquants qui ont commis des faits assez graves. En Allemagne, les surveillants pénitentiaires sont aussi des éducateurs. Le travail en prison doit être favorisé et bien encadré, les salaires revalorisés (actuellement ils sont dérisoires, c’est de l’exploitation éhontée, qui en profite ?). À la sortie, ceux qui y ont travaillé doivent bénéficier du chômage, d’une couverture sociale efficiente. 



 

Que faire des grands criminels ?



Les conditions dans les « maisons centrales », pour les longues peines, sont plus satisfaisantes ; il faut néanmoins améliorer le maintien de liens familiaux, en créant plus de structures d’accueil pour des parloirs familiaux. Pour la criminalité organisée, les peines financières sont souvent beaucoup plus efficaces : la prison est un risque calculé, les criminels savent qu’en sortant ils ont des tapis d’or qui les attendent ; il faut donner à la justice les moyens d’opérer des saisies de patrimoines plus efficacement et d’enrayer aussi les financements d’armes, de stup…
Pour les criminels sexuels ou atteints de pathologies psychiatriques, il faut naturellement mettre le paquet sur les soins. Comme certains ont vocation à sortir un jour, il faut veiller à la continuité des soins, donc avoir plus de psychiatres, de médecins coordonnateurs… on en manque cruellement ; la pauvreté et la désaffection de la psychiatrie en France ont un effet direct sur la prise en charge de nombreux détenus.



 

La prison n’a pas toujours existé, peut-on penser qu’elle n’existera pas toujours ?



Certes, mais il a existé pire : la peine de mort, le bannissement… Je doute que la prison disparaisse un jour, mais j’espère qu’elle existera sous d’autres formes : des prisons ouvertes, sans stigmatiser ceux qui purgent une peine, il faut garder, voire créer du lien social, corriger les inégalités, créer de la reconnaissance, respecter et valoriser ceux qui y passent… D’autres pays, l’Allemagne notamment, extrêmement vigilante à la question des libertés et de la dignité humaine, en raison de son histoire, sont bien plus en avance que nous. 


Et la place de l’argent dans la « justice » ? S’il y a « justice de classe », comment la dépasser ?



Les petites amendes n’ont pas beaucoup de sens, elles n’ont un effet dissuasif que pour de la toute petite délinquance, ou du routier. La justice de classe se loge davantage dans les moyens d’assurer sa défense (face au ministère public et aux parties civiles dans le domaine pénal ; face aux sociétés de crédits à la consommation dans le domaine civil) et dans ceux dont on dispose pour se soustraire à la justice ou non, pour adoucir la peine ou non. 

Il faut agir à la fois sur les causes de fond et sur le traitement immédiat des dégâts. La justice des mineurs devrait être une priorité absolue. Il faut rétablir (comme il y a dix ans) un suivi pour les jeunes majeurs jusqu’à 21 ans, au lieu de 18 aujourd’hui. C’est aberrant qu’on demande à cette jeunesse la plus défavorisée d’être autonome et insérée socialement à 18 ans, alors que l’entrée dans la vie active se fait bien plus tard. Nous avions un droit des mineurs parmi les plus audacieux d’Europe et on le démantèle consciencieusement depuis vingt ans : alignement sur le droit des majeurs, appauvrissement des structures institutionnelles ou associatives partenaires (conseil général, protection judiciaire de la jeunesse, associations d’action éducative en milieu ouvert). Il faut dépénaliser certains faits, soit totalement, soit en les rendant contraventionnels (usage de produits stupéfiants, outrages…), faciliter l’accès au droit des plus démunis, revaloriser l’aide juridictionnelle (qui correspond à ce que sont payés les avocats commis d’office). Il faut une police de proximité, qui fasse du lien avec les populations et de la prévention. Il faut rendre le permis de conduire gratuit, pour mettre le holà à la répression de la conduite sans permis.



 

Et avec un régime politique harmonieux et sans exploitation, y aurait-il toujours des bandits ? Des tribunaux ? De la répression ?



Il y aurait des normes, donc des transgressions, et aussi des malades psychiatriques, des mineurs en recherche de transgression. En revanche, si on parvenait à réduire les inégalités sociales, à améliorer les dispositifs éducatifs, et à changer le regard posé sur la délinquance (c’est la question du vivre-ensemble plus que de la sécurité), on limiterait beaucoup la casse. Il faut bien des outils de régulation sociale, donc des tribunaux, mais on pourrait penser à d’autres formes de justice, plus réparatrices, mettant plus en lien les auteurs et les victimes lorsque cela est possible, pour une restauration de l’image de soi à travers du collectif… Donc moins de répression, c’est bien le législateur qui crée le premier de la délinquance en créant de nouvelles infractions, de nouvelles circonstances, etc. il faut donc dépénaliser certains comportements ! 



 

Bref, quelle place pour la liberté (et pour ses restrictions) dans un projet porté par les communistes ?



Il n’y a pas de liberté possible sans égalité. Plus les conditions de travail et d’existence des travailleurs sont dégradées, moins il est possible de tenir un discours progressiste sur la prison et la délinquance. La lutte contre les inégalités rejoint celle pour la liberté. Les restrictions à la liberté doivent dès lors venir sanctionner principalement les passages à l’acte qui ne sont pas la résultante directe ou indirecte d’une inégalité… Mais là, on est vraiment dans l’utopie (ce qui aide à penser et guide nos actions néanmoins). 

 

*Clara Grande est membre du Syndicat de la Magistrature.

 

Propos recueillis par Pierre Crépel

 

Temoignage

Ce témoignage s’est exprimé lors d’une discussion préparatoire à ce dossier qui a eu lieu à la fédération du Rhône du PCF.

 

J’ai été responsable d’une petite « association culturelle des jeunes de F. », commune de 7 000 habitants au nord de Lyon, avec un taux de 27 % de logements sociaux regroupés essentiellement en deux pôles. Celle-ci s’adressait aux enfants et jeunes de 5 à 20 ans et à leurs parents. La municipalité, à l’époque, n’était pas intéressée par ces problèmes des jeunes… sauf lorsque cela se traduisait par des voitures brûlées, des bris de vitres, des provocations vis-à-vis d’habitants, etc. L’association a vécu cahin-caha, jusqu’à l’obtention de subventions dites de « politique de la ville ». J’ai décidé de m’y investir. J’ai été étonnée de la rapidité avec laquelle les choses se sont améliorées. Vis-à-vis des jeunes, il fallait de la considération, faire appel à leur raisonnement, leur cœur parfois, comme on l’aurait fait avec des adultes, surtout ne pas montrer qu’on aurait peur d’eux : répondre à leur provocation, soit par la plaisanterie, soit par la fermeté, mais toujours avec une grande cohérence dans son attitude, dans ses exigences, dans ses interdits éventuellement. Par exemple, il a fallu deux mois pour qu’ils ne fument plus dans les locaux.

Les jeunes ont besoin de sentir un cadre, raisonnable, établi avec eux, si possible, respecté. En cas de gros accroc, nous avions décidé de nous adresser à la police si nous l’estimions nécessaire. Cela s’est produit aux premières vacances où, sous un futile prétexte, trois jeunes ont cassé la figure à un animateur. Nous avons demandé à la mairie de les convoquer avec nous. Une plainte a été déposée. Cela a fait beaucoup de bruit parmi les jeunes du quartier mais, au fond, la plupart ont compris que ces trois-là avaient dépassé les limites du tolérable et cela a éclairci l’atmosphère.

Parallèlement, un véritable conseil d’administration a été constitué, comprenant aussi des jeunes de plus de 16 ans. Nous avons recruté des animateurs (BAFA, BAFD), des emplois jeunes (à parité un du quartier et un d’ailleurs). Des activités ont été mises en place selon les tranches d’âge. Nous avons intéressé les familles à y participer (sorties, repas…). Nous avons systématiquement fait passer le BAFA au maximum de jeunes, comme premier diplôme pour certains, leur mettant ainsi un pied à l’étrier et les employant durant les vacances, les encourageant à aller plus loin. Notre association a même eu un prix national pour notre action en matière de formation. Élément de valorisation parmi d’autres : un animateur est devenu éducateur spécialisé de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), un autre conducteur de Transports en Commun Lyonnais (TCL), ce qu’il désirait ; deux enfants ont eu des prix de poésie au niveau départemental…

Dans le quartier, la petite délinquance a pratiquement disparu et le regard d’une partie de la population a changé (pas toute malheureusement). Certes, pas de miracle : il y a aussi des problèmes de drogue et ça, c’est autre chose. Quand la petite délinquance est répandue, le passage à la grande est largement facilité, et tout ce qui permet à des jeunes d’éviter cet engrenage (où de fait ils sont exploités) est bon. Pour ce que j’en ai vu, ceux qui ont terminé en prison, venaient de familles à gros problèmes et là aussi il y faudrait agir. Bien sûr, ici, il n’y a pas la concentration de pauvreté et de rejet comme dans certaines cités. Mais cela coûterait déjà moins cher à la société de mettre en place des petites structures de ce genre avec des personnels bien formés ! Cela diminuerait un peu le chômage, ce qui vaut mieux que d’aider des familles de chômeurs à difficilement survivre.

 

Mado Jorrand est secrétaire de la section PCF de Neuville-sur-Saône (Rhône).

La Revue du projet n°43, janvier 2015.

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