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La liberté dans l’histoire du PCF

Deux anciens dirigeants communistes proposent leur vision des rapports historiques entre PCF et liberté.

 

Francette Lazard*

C’est toute une histoire ! L’histoire d’une ambition pour la libération humaine qui, à travers le temps, motive et mobilise l’engagement communiste. L’histoire des structures qui la porte, de leurs contradictions et de leurs errements, de leurs conquêtes, de leurs effets dans la vie des individus et des peuples.

 

Le milieu des années 70 est un bon observatoire de cette histoire. Après 1968, deux ondes de choc vont cumuler leurs effets. En mai/juin 68 à Paris, l’espérance d’une société émancipée se manifeste avec une force inattendue dans la diversité de ses expressions. En août à Prague, les tanks soviétiques brisent l’espoir d’un « socialisme à visage humain ». Le PCF condamne Moscou et prend conscience de l’impératif d’une réflexion nouvelle sur la question des libertés.

Son système de référence est ébranlé. Ni le modèle fondateur de la IIIe Internationale ni l’évocation du « Front populaire » ne vont lui donner les clés de la période qui s’ouvre.

 

1920, 1936

Le retour sur ces deux moments essentiels du parcours du PCF permet de saisir la complexité de son rapport à la question des libertés. Son élan d’adhésion à l’Internationale proposée par Lénine trouve sa « force propulsive » dans la révolution d’Octobre. Tous les partis communistes vont ensuite devoir se structurer dans le moule unique des « principes du léninisme » codifiés dès 1924 par Staline. L’efficacité révolutionnaire prime, les droits et libertés devront s’y subordonner. Tragédie de l’histoire… Le jeune PCF va rapidement subir les effets de la dérive stalinienne. Ce sera l’autoritarisme, l’esprit de secte, la stratégie « classe contre classe » qui va renvoyer dos à dos le fascisme et la social-démocratie. Après la dramatique arrivée de Hitler en 1933, l’Internationale communiste va chercher une stratégie d’alliances antifascistes. La toute jeune direction du PCF, avec Maurice Thorez, va y contribuer avec audace et créativité. Sa conception du « Front populaire » plonge ses racines dans le riche terreau national des Lumières, de la Révolution française, de la Commune, de la République. La réunion du drapeau rouge et du drapeau tricolore va donner ses couleurs originales à la Résistance antinazie.

 

Devenu en 1944/45 le premier parti de France, le PCF va promouvoir une conception innovante des libertés politiques en les conjuguant avec la conquête de solidarités sociales et de droits nouveaux dans les entreprises. Il va, en même temps, continuer à se référer au modèle soviétique qui fixe son identité, son projet et son mode de fonctionnement. L’esquisse de réflexions nouvelles à la Libération demeure sans lendemain. La guerre froide va tout figer. Le PCF se ferme aux changements de société qui s’accélèrent. Certes, son influence se maintient élevée à travers l’engagement militant, les luttes sociales ou anticoloniales. Mais il va être pris au dépourvu par le renouveau des aspirations libératrices des années 60.

 

Le choc de 1968 d’autant plus rude

Dans la jeune génération étudiante, comme dans un monde du travail en pleine mutation, les débats d’idées se passionnent sur le type de société à construire. Le PCF définit et soutient les « justes » revendications, contribue à nombre d’avancées sociales. Il trace la voie du seul débouché politique à ses yeux possible : la signature d’un programme commun de gouvernement avec le PS. Son projet de parti « communiste » est intemporel, déconnecté de la « perspective démocratique ». Il se résume dans l’énoncé des étapes et de leurs « lois », démocratie avancée, socialisme. Mais le modèle soviétique est défiguré à Prague et va bientôt, se glacer puis se décomposer. L’affrontement politique sur la question des libertés devient crucial, au cœur d’une intense bataille d’idées que cristallise la publication de L’Archipel du goulag.

Après la signature du programme commun, le PCF s’attend à un grand élan populaire. Surprise : c’est l’attentisme qui prévaut. Le PCF stagne aux législatives de 1973. Georges Marchais propose de faire sauter « les butoirs » et lance de grands débats politiques avec Le Défi démocratique, son livre-manifeste. Cela ne va pas de soi. Nombre de communistes considèrent encore le modèle soviétique comme la carte d’identité de l’avenir. La direction communiste décide de marquer les esprits en affirmant une conception novatrice : la « charte des libertés » en 1975. Le PCF se distancie – enfin ! – des atteintes persistantes aux libertés en URSS et condamne de façon claire et nette le stalinisme. En 1976, à la veille du XXIIe congrès, Georges Marchais crée le choc qu’il recherche. Il annonce en direct au journal télévisé l’abandon de la notion de « dictature du prolétariat ». À relire les textes d’alors, leur souffle nous parvient encore. La vision proposée met en relation les grands acquis des droits et libertés existants et les nouvelles conquêtes qu’appelle le combat contre l’exploitation et la domination.

 

L’opposition stérile entre démocratie « formelle » et démocratie « réelle » semble bien dépassée. Le PCF se veut à l’offensive et ses initiatives sont perçues comme telles. Déception : leurs effets politiques sont demeurés très limités. En une période de bouleversements historiques majeurs, il serait bien simpliste d’opposer les novations des années 70 et les crispations des années 80 sur la pente du déclin. Il va falloir encore près de 20 ans, de 1979 à 1994, pour abandonner, une à une, les pierres angulaires du modèle « marxiste-léniniste » : socialisme scientifique, rôle d’avant-garde de la classe ouvrière, centralisme démocratique. Il ne suffit pas de se dégager d’un système doctrinaire pour disposer d’une visée révolutionnaire ancrée dans la créativité démocratique du peuple… Le chantier est encore devant nous !

Hors des chemins balisés

Dans ces décennies de turbulences et d’échecs, le PCF réussit à éviter un piège fatal à tant d’autres forces révolutionnaires : le repli de secte ou le renoncement social-démocrate. Il perçoit les nouveaux défis de l’époque sans cesser de contester la prétention hégémonique du capitalisme. Il tente, en tâtonnant, à bas bruit, de poursuivre la recherche d’une alternative. L’enjeu est existentiel. La question des libertés se pose désormais comme jamais. Les civilisations ont basculé dans l’ère de toutes les fragilités. L’humanité risque d’y sombrer si de nouvelles frontières d’émancipation ne parviennent pas à s’ouvrir. Aucun groupe humain, aucun cercle d’experts, aucun parti ni aucun prophète n’ont les clés de l’avenir. L’idée qu’il faut, dans l’urgence de la conjoncture politique, construire de nouveaux rapports des hommes entre eux et avec la nature commence à prendre vie partout. Nous le savons, aucun grand mouvement historique n’a jamais été préconçu. Des pratiques politiques et sociales sont à inventer, s’inventent.

 

À l’évidence vient le temps de la conquête de libertés et de pouvoirs inédits dans toutes les sphères de l’activité humaine. La politique saura-t-elle se ressourcer en contribuant à façonner les nouveaux leviers de l’émancipation humaine ? Belle raison de s’y engager ! n*Francette Lazard a été membre

du Comité central, à partir de 1969,

puis du Bureau politique du PCF jusqu’en 1997.

 

Henri Malberg*

Historiquement, le communisme semble avoir un problème avec les libertés, la démocratie, les droits de l’Homme. En convenez-vous ? Et comment l’expliquez-vous ?

Oui, j’en conviens. L’histoire est pleine de contradictions. Nous aussi. Il y a dans ces reproches une part de procès d’intention. C’est injuste et cela relève d’une guerre idéologique obsessionnelle. Mais il y a aussi dans ce questionnement une part légitime qui correspond à une contradiction de l’histoire au XXe siècle. Et elle ne concerne pas uniquement les communistes.

 

C’est-à-dire ?

Nous combattions pour les libertés et un socialisme démocratique et avions du mal à répondre à la question « Pourquoi pas en Russie et à l’Est ? » Nous le pensions aussi, et l’avons parfois dit. Notre espoir était que ces sociétés débouchent sur un socialisme démocratique. Cela n’a pas été le cas. C’est malheureux pour l’avenir du monde.

Mais qui peut nier que le communisme a été tout au long du XXe siècle un formidable levier des peuples dans leur lutte pour la liberté ?

Il suffit de citer l’antifascisme, les luttes de libération nationale et en général les luttes progressistes dans le monde. Sans l’apport direct des idées communistes, sans la révolution d’Octobre, sans la puissance de l’Union soviétique, qu’on l’aime ou non, et sans le militantisme de millions de personnes encouragées par le communisme, rien de ce qui a bougé dans le monde n’aurait été possible. Pour les dirigeants des pays capitalistes dominants, c’était clair. L’ennemi était là. Pour la France, ce que je dis est indiscutable. Le Parti communiste, en rapport avec ce qu’il y a de meilleur dans la tradition ouvrière et socialiste – je n’oublie pas Jaurès –, a tenu un très grand rôle dans toutes les luttes pour la liberté. Un rôle souvent moteur. Je pense à 1934, au Front populaire, à la Résistance, à la solidarité avec les peuples coloniaux. Et souvent au prix du sang des militants, de la guerre d’Espagne à la Résistance et au massacre de Charonne. À Charonne, où je me trouvais en février 1962 lors du martyre des personnes assassinées par la police de Papon, le sort de la guerre d’Algérie a été scellé. Charonne fut pour le général de Gaulle le signal qu’il fallait arrêter la guerre, signer avec le FLN et affronter définitivement les ultras d’Alger. J’ai le souvenir brûlant de cette manif, de l’entrée du métro et de mes sept camarades assassinés par la police, tous membres de la CGT et presque tous militants du Parti communiste.

Si je regarde ma vie, de dix-sept ans à plus de trente, une bonne partie de mon activité militante a été consacrée à soutenir les combats des peuples vietnamiens et algériens. Et me reviennent des noms qui résonnent, comme Nelson Mandela, les Rosenberg exécutés sur une chaise électrique aux États-Unis, Angela Davis… mais aussi Sacco et Vanzetti, Gabriel Péri, Henri Alleg, Maurice Audin, Henri Martin, Georges Séguy et Henri Krasucki, qui m’a honoré de son amitié, jeunes résistants à seize ans, déportés, dirigeants du Parti communiste et de la CGT. Et les milliers de militantes et militants dont les noms figurent sur les plaques des rues dans les villes de France. Et les femmes héroïques, comme Marie-Claude Vaillant-Coutu­rier, Danielle Casanova, Olga Bancic, décapitée à Hambourg par les nazis. Et tant d’autres. […] Quelles vies, quels destins !

Des générations de jeunes sont venues au communisme dans ces luttes pour la liberté.

On peut ajouter les rudes combats quo­ti­­diens dans les entreprises, les grèves étouffées, les militants syndicaux sanctionnés. Et les manifestations, les tracts, les affiches. Chaque fois qu’un risque pour la liberté s’est présenté pour le pays, pour le monde du travail, pour les libertés intellectuelles, le Parti communiste a répondu présent. Est-ce que cela a été linéaire, sans contradiction ? Non, j’y viendrai. […]

Des événements fondateurs de la pensée communiste sur les libertés et la démocratie se sont produits au sortir de la guerre froide dans les années 1960 et 1970. […] Ce furent les événements de Mai-Juin 1968 en France et les aspirations qu’ils traduisaient chez les étudiants et au sein de la classe ouvrière. Vint ensuite l’écrasement par l’Union soviétique du Printemps de Prague en Tchécoslovaquie en août de la même année. Le Parti communiste français entreprit dès lors un profond mouvement de remise à jour théorique. Ce fut une bouffée de créativité. Ainsi, le Manifeste de Champigny  de 1968 confirma le tournant idéologique du Parti communiste. En 1973 parut un livre de Georges Marchais, Le Défi démocratique. En 1976, le XXIIe congrès du Parti communiste se tint sous le titre « Pour un socialisme aux couleurs de la France », et un petit livre exceptionnel fut publié, Vivre libres, qui anticipait de plus de vingt ans les positions progressistes de la gauche en France. Par exemple, la revendication de l’abolition de la peine de mort y figurait bien avant son abolition par Mitterrand et Badinter. […] Avec un minimum d’objectivité politique, il convient de noter que ces vingt années ont défriché un nouveau projet communiste pour la gauche et la France. Je me rappelle en février 1966 une une de l’Humanité. Elle publiait un texte de Louis Aragon qui fit événement. Il déclarait : « Je ne puis imaginer qu’un communiste considère avec indifférence le verdict rendu à Moscou dans l’affaire Siniavski et Daniel. » […] Lorsque je balaie ainsi l’histoire et le mouvement des idées, je me dis qu’une terrible injustice frappe les communistes. Est-ce que ce mouvement est linéaire, sans hésitation, débats internes ou errements divers ? Bien sûr que non. Nous avons tâtonné, parfois renoncé, puis nous sommes repartis. […] Aucun parti politique, à gauche, n’a autant poussé la réflexion historique critique sur l’histoire, son histoire, et sur l’avenir, que le Parti communiste. J’accepte ce débat avec des camarades socialistes comme avec des personnes de droite. Chiche.

 

Mais si votre regard sur l’histoire est exact, pourquoi ce doute sur le rapport du Parti communiste avec la liberté ? Pourquoi cette méfiance qui vous poursuit ?

D’abord, réponse facile, on ne nous fait pas de cadeau, et peu de regards objectifs sont portés sur nous. […] Mais ma réponse est insuffisante. Le rapport des communistes à la liberté, à la démocratie et aux droits de l’Homme a été traversé pendant des dizaines d’années par la contradiction entre notre combat déterminé pour la liberté dans le monde capitaliste et ce qui se passait à Moscou et en Europe de l’Est. […]

Le monde impérialiste, oppresseur et agressif, se prévalait de défendre les libertés, d’être « le monde libre ». En face, le monde socialiste, historiquement porteur de libération humaine, ne parvenait pas à relever le défi d’un socialisme démocratique.

Nous tentions de résoudre cette contradiction en distinguant entre les libertés formelles de la démocratie sous le capitalisme et les libertés réelles économiques et sociales sous le socialisme. Cela nous a fait perdre de vue que les libertés dites « formelles » et les libertés dites « réelles », libertés économiques et sociales, forment la même question. En vérité, cette séparation était artificielle et sans portée réelle. […]

L’histoire a tranché. Il n’y a pas de société nouvelle sans avancée de la liberté et de la démocratie. D’ailleurs, la conquête de nouvelles libertés et d’une démocratie plus réelle est au cœur de la construction d’une nouvelle société. […] Les communistes comprennent cela et savent également combien les libertés, la démocratie, les droits de la personne, le pluralisme, l’indépendance des médias, la liberté de la presse, le droit à l’information et à la culture, les droits des travailleurs dans les entreprises sont un combat vital et un objectif pour l’épanouissement humain. Il n’y a pas d’exception possible qui tienne durablement au nom d’un avenir heureux qui, de fait, ne vient jamais. La force d’une société nouvelle tient, dans la durée, à une vie politique libre, aux débats contradictoires, à la recherche de l’intervention permanente des citoyens dans la ville et des travailleurs dans les entreprises. Il reste beaucoup à faire et à inventer. C’est le sens du combat pour une VIe République.

 

*Henri Malberg a été membre du Comité central à partir de 1972 et secrétaire de la fédération de Paris jusqu’en 1995.

 

Le PCF et les libertés à travers quelques publications

• Charles Rappoport, « Le socialisme et la liberté »,

La brochure populaire, septembre 1934

• Charles Rappoport, Liberté capitaliste et liberté ouvrière, La brochure populaire, octobre 1934.

• René Maublanc, Le marxisme et la liberté, Paris, Éditions sociales, 1945.

• Vivre libres ! Projet de déclaration des libertés soumis à la discussion des Français, L ’Humanité, 1975.

• Georges Marchais, Le défi démocratique, Grasset, 1973.

• Pierre Juquin, Liberté, Grasset, 1975.

• Georges Marchais, Le parti de la liberté pour les femmes, PCF, 1975 (Discours à l’occasion de l’année internationale des femmes).

• Étienne Fajon, Les communistes et la liberté, PCF, 1976.

• Georges Marchais, La liberté guide nos pas, PCF, 1977.

• André Lajoinie, Liberté, justice, paix, Conférence nationale, 1987.

• Déclaration des libertés, Paris, PCF, 1987.

La Revue du projet n°43, janvier 2015.

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La liberté dans l’histoire du PCF

le 21 janvier 2015

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