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Le projet communiste au défi des fab-labs

Dans les années 50, « les castors », construisaient collectivement eux-mêmes leur habitation. Il y a quelques années, s’ouvraient des garages de réparation automobile où tous les outils étaient mis à disposition du particulier.

Les fab-labs ne s’inscrivent pas dans cette seule dynamique. Ils touchent à l’évolution du travail. L’idéologie libérale-libertaire y est fortement présente. Les travaux de Michel Clouscard sont une base de départ pour l’analyse. La mise en perspective historique et l’examen du positionnement du capital sont aussi utiles. Le concept est né au MIT. Le premier a coûté 20 millions de dollars pour révéler les promesses du « numérique ». Puis, l’équipement fut modifié, son prix ramené à 20 000 dollars, pour former des étudiants aux potentialités du numérique en matière de production matérielle.

Pour J.B. Say (1767-1832) économiste libéral : « l’agglomération des hommes [est] nécessaire pour que les connaissances utiles se conservent et s’accroissent. […] L’homme isolé ne saurait jamais que ce qui lui aurait appris sa propre expérience. Dans la société, chacun profite de l’expérience de tous ».

 

Les fab-labs, une responsabilité publique

La démarche « fab-labs » s’inscrit pour une part dans le prolongement de ces considérations. Certains veulent en faire une affaire privée et non une responsabilité publique. Mais elle peut effectivement concourir à une appropriation sociale du meilleur des avancées scientifiques et techniques, tant dans la sphère personnelle qu’économique. Elle cherche à intégrer la dynamique de l’apprentissage par la pratique et le travail collectif et ses effets sur [l’intelligence de] l’individu et le collectif. En cela elle rejoint les analyses de Piaget dont les travaux sur « l’apprentissage expérientiel […] soulignent le rôle proactif de l’individu sur son environnement dans l’acte d’apprendre. En effet, l’apprentissage est nécessaire à l’émergence de toute intelligence, car les nouvelles connaissances sont indispensables pour s’adapter à l’environnement » (Piaget 1972, Le Moigne 1984).

Deux aspects positifs dans la démarche – diffusion des connaissances et formation aux qualifications nécessaires – sont donc repérables, non comme nouveautés devant tout à la technologie mais comme prise en compte renouvelée de considérations anciennes où progressistes et bourgeoisie ont déjà puisé. Les fab-labs sont aussi des lieux où particuliers, PME ou multinationales louent des outillages qu’ils n’ont aucune utilité à acheter. De quoi vivent les hommes qui animent ces lieux ? D’où vient le budget de fonctionnement de ces structures ? Et de quoi vivent ou vivront leurs usagers ou clients ?

J’ai beau relire l’interview de Y. Moulier-Boutang (La revue du projet, octobre 2014), j’ai toujours du mal à croire que la société future échappera au besoin de produire et répartir le pudding de Marx ; qu’il suffira d’y échanger « marques » et « appellations contrôlées » plutôt que produits ou brevets. Par contre, j’entends Fabien Eychenne. Le fab-lab, « c’est un endroit où l’on peut faire un prototype. De là à devenir de véritables usines, en l’état actuel, je n’y crois pas. Pour cela, il faudrait un perfectionnement des machines. De plus, ces lieux ne sont pas pensés pour de la production de masse ».

 

Le financement des fab-labs

J’ai aussi du mal à concevoir que les savoirs ne fassent pas usage mais seulement pratique. Pour moi, « financement » du travail et moyens de subsistance des uns et des autres restent un problème ! À la création du CNAM en 1794, Grégoire déclara : « Je n’ai point encore parlé des dépenses, soit fixes, soit variables, de cet établissement ; nous les avons calculées à la somme de 16 000 liv. annuelles, […] Si l’on considère d’ailleurs qu’il s’agit ici d’éclairer l’industrie, de porter partout son flambeau, on sentira que peut-être jamais il ne fut d’argent placé à plus haut intérêt ». Une telle lucidité reste d’actualité !

Neil Gershenfeld, initiateur du concept, ne cache pas les raisons de la création du fab-lab à 20 000 dollars après celui à 20 millions : « Aujourd’hui, quand vous dépensez autant d’argent, le gouvernement demande que vous fassiez du travail de proximité, ce qui veut souvent dire des cours dans des écoles voisines, un site Internet ; tout un tas d’activités pas très passionnantes. Donc je me suis mis d’accord avec le directeur du programme qui me finance : plutôt que de parler du système, je donne aux gens l’accès aux machines ».

Aujourd’hui la recherche publique, les universités françaises, créent leurs fab-labs. Les fab-labs associatifs courent aux subventions, au mécénat et parfois développent des offres marchandes pour assurer leur budget. L’appropriation sociale des sciences et techniques coûte toujours avant de pouvoir rapporter ! De « jeunes entrepreneurs créatifs » y voient le moyen de faire profit de ce besoin social et économique stratégique.

Le 9 octobre 2014, L’usine digitale titrait : « Connaissez-vous TechShop, le fab-lab qui fait du business ? ». Derrière le fab-lab parisien « Usine IO », La Tribune a retrouvé « quelques fonds d’investissement connus (Xavier Niel, Henri Seydoux, Jacques Antoine Granjon, Arnaud de Grange...) mais avec entre 500 000 et 800 000 euros de matériel, le loyer dans le 13e arrondissement, il va falloir, essentiellement avec les abonnements, entre 1,5 et 2 millions d’euros de chiffre d’affaires par an pour être à l’équilibre ».

Voilà qui ne fera pas disparaître les problématiques de la propriété des moyens de production et de l’échange marchand ! Les fab-labs de Renault, Airbus, Air liquide, ne lèveront pas l’hypothèque. La charte du mouvement associatif fab-lab non plus. Elle ne promet pas la révolution des rapports sociaux.

Plus que le fab-lab, c’est le numérique qui doit retenir notre attention. Il « va animer la prochaine révolution industrielle, c’est le pétrole du XXIe siècle ». Pour le capital, le fab-lab est une réponse organisationnelle du travail numérique et de ses qualifications au concept de société et d’économie de la connaissance. Produire de la connaissance devenant objet d’une industrie et d’un commerce, il faut « produire du jus de cervelle » (Pascal Lamy - LCP - 2 avril 2014). Le capital s’en donne déjà les moyens en formant les nouvelles générations de salariés à ce vaste projet.

Il faut gagner une formation républicaine aux enjeux, usages et techniques numériques et investir politiquement l’entreprise. Les salariés de la révolution numérique y vendront leur force de travail même si leurs aspirations et besoins diffèrent de ceux de la révolution industrielle. 

La Revue du projet n°43, janvier 2015.

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le 21 January 2015

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