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Entretien avec Maximilien Le Roy, auteur de BD

 

Dessinateur et scénariste de bandes dessinées, Maximilien Le Roy peut aussi être décrit comme reporter quand il part en Palestine et revient avec des albums remplis de témoignages ou historien quand il s’attache à réhabiliter des figures oubliées comme Blanqui (Ni Dieu ni maître) ou Albert Clavier (Dans la nuit la liberté nous écoute) passé dans les rangs du Vietminh. Entretien avec un auteur qui fait de la BD un média particulier.

 

Propos recueillis par Camille Ducrot

 

Comment devient-on dessinateur et scénariste de bande dessinée politique ?

L’aspect politique rejoint en fait des préoccupations de la vie personnelle. Je ne me vois pas parler d’autres choses que de ce qui est pour moi naturel et instinctif. Je fais des biographies historiques qui permettent de raconter un moment collectif à partir d’une figure individuelle. La BD sur Gauguin m’a permis d’aborder la question de la vie des colonies à la fin du XIXe siècle, celle sur Thoreau, la vie préindustrielle en Amérique.

Mes personnages sont des personnes que je rencontre de façon provoquée ou fortuite dans la vie réelle dont je mets le témoignage en image. Ou des personnes disparues dont j’ai étudié les œuvres que je trouve largement méconnues malgré leur intérêt actuel. J’utilise toujours la médiation d’une autre personne en me disant que cela pourrait faire écho aujourd’hui. Ma volonté est de faire des liens avec notre actualité dans une démarche militante où l’histoire est vue comme un levier pour aujourd’hui ou pour demain. Par exemple, l’ouvrage Dans la nuit, la liberté nous écoute, qui traite de la question de la guerre d’Indochine, était reliée à l’actualité de la loi de 2005 sur le rôle positif de la colonisation.

Sur la BD du Chili, en projet, la parole est donnée à une exilée qui a rencontré Allende et qui montre les événements avec son prisme à elle. C’est terriblement anxiogène, car quand on écrit sur Gauguin, il faut être le plus précis possible dans le cadre des sources qu’on possède, entre autres les correspondances. Mais quand la personne est encore vivante, c’est pire, je suis obligée de la solliciter sans cesse malgré les matériaux écrits que j’ai accumulés : je demande des précisions pour des détails comme l’habillement ou les dialogues. Pour l’anecdote, plusieurs historiens rapportent une phrase qu’Allende aurait prononcée lorsque Pinochet essayait de le faire sortir de la Moneda : « vos avions, vous pouvez vous les mettre dans le cul ». Mais ma témoin estime qu’il est impossible qu’Allende ait dit cela, il était beaucoup trop poli. Du coup cette phrase n’apparaît pas dans la BD. C’est un long travail de ping-pong avec le témoin, même si celui-ci n’est pas coscénariste et me laisse carte blanche.

 

L’écriture est vécue comme un acte militant ?

Le mot « militant » est compliqué, comme le mot « engagé ». Ils sont très employés et très galvaudés. « Militant » pour les gens, c’est être encarté dans un parti ou une association. Mais moi je ne le suis pas. Après si on voit l’étymologie (du latin miles, celui qui se bat), alors ça me va. Si je suis objectif avec moi-même mon intention est de transmettre, de relayer des idées, des sortes de messages. J’entre dans cette logique de transmission de façon militante parce que j’ai envie de faire réfléchir. Ce qui fait peur dans la version militante c’est le côté tract, en donnant de la chair à une idée, j’évite ça. Dans la presse j’ai souvent lu que mes lecteurs ne se sentaient pas alpagués, qu’ils n’avaient pas l’impression de me lire avec un flingue sur la tempe, que je ne les forçais pas à adhérer à mon propos. Ça pour le coup, ce n’est pas volontaire, c’est sûrement à cause du filtre de l’image qui est plus fort que celui de l’écrit. Quand on passe par l’image on développe tout un tas d’affects qui donnent un côté plus doux et moins idéologique au travail.

 

Donc tu considères tes BD comme des sortes d’essais ?

Je passe ma vie à lire des essais pour la documentation. Je lis très peu de romans ou de BD. Du coup, la BD est une sorte d’outil. Vers 15-16 ans j’ai réalisé qu’on pouvait faire métier de la BD. Comme j’aimais et écrire et dessiner c’était parfait. C’est bien après que j’ai vu que c’était plus facile de faire passer des idées par ce biais, quand j’ai eu des retours des lecteurs qui m’expliquaient que jamais ils n’auraient lu des essais sur la Palestine. Je pouvais utiliser la BD comme un vecteur pour le fond. J’ai pris conscience de la dimension populaire et non élitiste de la BD. Il n’y a pas d’appréhension, pas de « je ne vais pas comprendre ». C’est presque l’inverse puisqu’on considère que c’est un format pour enfants : on m’a souvent demandé si mon travail servait à conscientiser la jeunesse. Mais mon public est en fait plus âgé que moi. Je ne prends pas non plus de position professorale, pédagogique. J’ai juste l’idée de transmettre le plus largement possible à des publics variés.

Un des points qui apparaît régulièrement dans cet échange est l’importance de la documentation. Tu ne fais pas de la BD reportage mais tu restes assez loin des clous de la fiction…

En fait je mène un véritable travail biographique qui commence par la lecture de toutes les biographies de mes personnages. Je m’attache à leurs correspondances qui amènent un éclairage plus intime. Et je complète avec les bouquins critiques (comme les livres anti-blanquistes ou anti-Gauguin qui était accusé d’être pédophile). Et puis il y a aussi toutes les lectures sur le contexte de l’époque.

Un de mes projets en cours porte sur une révolte de mineurs communistes en 1941 à Montigny-en-Gohelle dans le Nord-Pas-de-Calais. Je voulais travailler sur la guerre et la Résistance en ancrant mon propos dans le monde ouvrier des années 1940 pour sortir des sentiers battus. J’ai découvert cette révolte un peu par hasard et j’ai contacté un historien spécialisé qui m’a envoyé tous ses travaux : avec la tension de l’occupation et des réquisitions de l’armée allemande, des mineurs du charbon se mettent en grève et finissent en camp. Je veux rendre cette expérience la plus sensible possible donc j’ai beaucoup lu sur le système concentrationnaire. Mais j’inclus dans mon travail des anecdotes qui le rendent plus réel : par exemple, en lisant L’Espèce Humaine d’Antelme, je suis tombé sur un moment où, dans le camp, les prisonniers trouvent un bout de miroir et se redécouvrent dedans. Cette anecdote, je l’utiliserai sûrement dans mon scénario. Mes travaux restent de la fiction : je pars du documentaire pour aller vers l’écriture intégrale des caractères.

Souvent j’essaie de mettre des annexes pour aller plus loin. Une fois qu’on a fini le récit, j’aime bien qu’on puisse lire les personnes avec qui j’ai éventuellement travaillé. Ils peuvent parler de l’album mais aussi de ce que je n’ai pas pu traiter, car la BD est très contraignante dans son organisation en pages, en planches et en bulles. Et puis les lecteurs ne sont pas obligés de les lire. En revanche aucune bibliographie sauf pour ma première BD. Mais est-ce que les lecteurs de BD vont aller utiliser une bibliographie ?

 

Pour finir, je voudrais parler de l’actualité récente : tu as reçu une interdiction de séjour en Israël… Au fond, c’est une sorte de reconnaissance de ton travail ?

Honnêtement, je préfère ça à une légion d’honneur. Je comprends la logique d’Israël, même si cela pose la question de la démocratie. Ce qui m’ennuie vraiment c’est de ne pas pouvoir retourner en Palestine mais sinon c’est de bonne guerre. Le truc dingue c’est ce qui s’est passé après : le site de ma maison d’édition a été hacké et mon nom transformé avec des caractères hébreux. J’ai aussi eu le droit aux tribunes injurieuses sur des sites Internet comme celui de la ligue de défense juive (LDJ), de personnes qui ne me connaissaient même pas. Alors que mon propos n’est pas de relayer les positions du Hamas, mais plutôt de laisser la parole aux civils et aux progressistes…

 

bibliographie :

 

• Maximilien Le Roy, Hosni, Ed. La Boîte à Bulles, 2009.

• Maximilien Le Roy (dir.), Gaza, un pavé dans la mer, Ed. La Boîte à Bulles, 2009.

• Soulman (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), Les Chemins de traverse, Ed. La Boîte à Bulles, 2010.

• Maximilien Le Roy, Faire le mur, Ed. Casterman, 2010.

• Michel Onfray (scénario), Maximilien Le Roy (dessin), Nietzsche – Se créer liberté, Ed. Le Lombart, 2010.

• Maximilien Le Roy, Dans la nuit la liberté nous écoute, Ed. Le Lombart, 2011.

• A. Dan (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), Thoreau, la vie sublime, Ed. Le Lombart, 2012.

• Eddy Vaccaro (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), España la vida, Ed. Casterman, 2013.

• Emmanuel Prots (dessin), Maximilien Le Roy (texte), Palestine, quel Etat ?, Ed. La Boîte à Bulles, collection Carnets de voyage, 2013.

• Christophe Gauthier (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), Gauguin, loin de la route, Ed. Le Lombard, 2013.

• Loïc Locattelli (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), Ni Dieu, ni maître, Ed. Casterman, 2014.

 

La Revue du projet n°43, janvier 2015. 

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