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Vénus Khoury-Ghata, Katherine L. Battaiellie

Vénus Khoury-Ghata est née au Liban en 1937. D’abord journaliste à Beyrouth, elle y publie deux premiers recueils de poésie. Elle vient s’installer à Paris en 1972, après un deuxième mariage avec le médecin et chercheur français Jean Ghata. Pratiquant depuis l’enfance l’arabe et le français, elle collabore à la revue Europe, dirigée alors par Aragon, qu’elle traduit en arabe. Elle a publié une œuvre très importante de romans et recueils poétiques, couronnée de nombreux prix.
Sa mère, figure prégnante de son œuvre, était issue d’une famille modeste de paysans, et d’un village de montagne, que surplombe le tombeau du grand poète libanais Khalil Gibran : « Si haute était la terre en ce temps-là/les femmes suspendaient linge et nuages à la même corde ». Vénus y passa les trois mois d’été pendant toute son enfance. Le Liban qu’elle décrira plus tard dans ses poèmes est celui-là : un Liban de pauvres villages où le cœur des maisons est un foyer de bouse séchée, où chaque élément d’une nature souvent hostile, fantasmagorique, est personnifié.
On croise dans ces poèmes des personnages savoureux (le gardien du cimetière), mais surtout des êtres démunis, analphabètes, hommes frustes, enfants malingres, femmes mortes en couches : « Le deuil durcit les cœurs des fillettes et les mines des crayons/la réserve de kérosène épuisée/les loups mangent celles aux jambes d’allumettes ».
Les femmes, en particulier, y plient sous la pauvreté, les tâches ménagères et le poids des deuils, et Vénus Khoury-Ghata adresse une immense ode à toutes et à chacune des mères « qui traverse les années avec son tablier décoloré », ode où se mêlent toujours l’ordinaire quotidien et le fantastique (« un ange s’échappe de l’horloge pour l’aider à rattraper une maille »).
La mort, à laquelle font référence bon nombre de titres de recueils, est omniprésente : elle est devenue le « pain quotidien des Libanais » depuis la guerre, qui a transformé le Liban dévasté en « surface arable de la douleur ». À l’horreur de cette guerre s’ajoutent les deuils personnels de son frère, puis de son mari en 1981 (« La bouche remplie de ténèbres/il arpente l’envers de son jardin en rasant les murs des termitières./Il a cette manière de traîner l’âme comme un chien qu’on cherche à égarer ».).
De deux terres, deux cultures, deux langues, Vénus Khoury-Ghata a tiré un lyrisme à la fois simple et magique, avec lequel sont dits l’humaine condition comme le quotidien le plus prosaïque.

Katherine L. Battaiellie

Miroirs transis
Soulever le couvercle de la marmite fait crier le thym dit celle qui
n’a ni marmite ni thym
le fleuve qui a emporté son champ lui a laissé une cage sans canari
et une vieille rose dédaignée des abeilles

D’ailleurs son canari n’était pas un oiseau ni une personne
mais une chanson qu’elle déroulait quand son cœur rapetissait aux
dimensions d’une noix
elle se plie tête entre les genoux lorsqu’un trot martèle son toit
les nuages devenus fous se prennent pour des chevaux

(in Les obscurcis)

Elle dit
Le vieux qui ne sait pas compter
se sert des allumettes comme calendrier
et de la chute des noix pour agenda
De leur impact sur le sol il sait l’hiver tardif
il faut semer entre deux lunes quand les tabliers des femmes
exhalent une odeur d’orage et de pierre brûlée

La voix à travers la fenêtre grillagée ne prédit rien de bon
son petit-fils ne jouera plus après les semailles
sa mère l’entendra courir sous terre
avec d’autres enfants
leurs jeux dans l’exiguïté des ténèbres ponctuées de rires

(in Les obscurcis)

Quelques recueils :

• Les obscurcis, Mercure de France, 2008.
• Quelle est la nuit parmi les nuits, Mercure de France, 2004.
• Anthologie personnelle, Actes Sud, 1997.

La Revue du projet, n° 42, décembre 2014

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Vénus Khoury-Ghata, Katherine L. Battaiellie

le 15 December 2014

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