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Le pape, le capitalisme et le combat pour la paix, Antoine Casanova*

Le pape François estime qu’il y a urgence pour les êtres humains, pour les peuples, à se rassembler, à agir pour la paix contre une « Troisième guerre mondiale disséminée ».

Dans ses prises de parole et ses initiatives pour la paix, le pape François a fait référence, au long des mois, aux risques de marche à une troisième guerre mondiale, au travers des guerres locales en cours qui ont leur base dans les contradictions du système économique mondialement dominant. Dans cette démarche, il se situe « au-delà des frontières et des appartenances » (Radio Vatican) comme aussi au-delà des seuls référents historiques, célébrant des messes « pour toutes les victimes de toutes les guerres » et pas seulement celles d’hier. Ces guerres (notamment la Première Guerre mondiale) sont, pour le pape François qui reprend les mots de Benoît XV en 1917, des « massacres inutiles ». Depuis ses appels au dialogue pour la Syrie à l’automne 2013, pour l’Ukraine, pour l’Irak, en « Terre Sainte », dans les jardins du Vatican, ou aussi en revenant en avion de Corée du Sud en août 2014, le pape François estime qu’il y a urgence. Urgence pour les êtres humains, pour les peuples, à se rassembler, à agir pour la paix contre une « Troisième guerre mondiale disséminée », car « aujourd’hui, nous sommes en guerre partout ! » (Conférence de presse en revenant de Séoul, le 18 août 2014)
Pourquoi ? À la racine de ce type de multiplication des conflits « disséminés », il y a les processus essentiels qui sont aujourd’hui ceux du système capitaliste « néolibéral » financiarisé. Le pape en a cerné et identifié les traits majeurs dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium publiée à l’automne 2013 (Pape François, La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique, Bayard Éditions – Éditions du Cerf, 2013). Ces traits sont ceux d’un système qui « tue ».

Voici ce que le pape
lui-même écrit :

« De même que le commandement de ‘‘ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur à de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire ‘‘non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue. Il n’est pas possible que le fait qu’une personne âgée réduite à vivre dans la rue meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une. Voilà l’exclusion. On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim. C’est la disparité sociale. Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du ‘‘déchet’’, culture qui est même promue. Il ne s’agit plus simplement du phénomène de l’exploitation et de l’oppression, mais de quelque chose de nouveau : avec l’exclusion est touchée, dans sa racine même, l’appartenance à la société dans laquelle on vit – on ne situe plus alors dans les bas-fonds, ni dans la périphérie, ou sans pouvoir, mais on est en dehors. Les exclus ne sont pas des ‘‘exploités’’, mais des déchets, des ‘‘restes’’.
Dans ce contexte, certains défendent encore les théories de la ‘‘rechute favorable’’, qui suppose que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et une inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps les exclus continuent à attendre. Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres, ou pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence. Presque sans nous en apercevoir, nous devenons incapables d’éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres, nous ne pleurons plus devant le drame des autres, leur prêter attention ne nous intéresse pas, comme si tout nous était une responsabilité étrangère qui n’est pas de notre ressort. La culture du bien-être nous anesthésie et nous perdons notre calme si le marché offre quelque chose que nous n’avons pas encore acheté, tandis que toutes ces vies brisées par manque de possibilités nous semblent un simple spectacle qui ne nous trouble en aucune façon.
Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent.
Une des causes de cette situation se trouve dans la relation que nous avons établie avec l’argent, puisque nous acceptons paisiblement sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu’elle a, à son origine, une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l’être humain ! Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Exode 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans but. La crise mondiale qui investit la finance et l’économie manifeste ses propres déséquilibres et, par-dessus tout, l’absence grave d’une orientation anthropologique qui réduit l’être humain à un seul de ses besoins : la consommation.
Alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent bien loin du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. Par conséquent, ils nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun. Une nouvelle tyrannie invisible s’instaure, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable. De plus, la dette et ses intérêts limitent les pays dans leurs choix économiques et les citoyens dans leur pouvoir d’achat réel. » (La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique)

Sauver la paix
avec les peuples

Dans ce cadre, la racine des conflits réside dans « le maintien » d’un système économique qui « n’est plus viable » (entretien le 13 juin 2014 au journal catalan La Vanguardia). « Pour survivre », analyse le pape, le système « doit faire la guerre comme l’ont toujours fait les grands empires ». Mais, « étant donné qu’on ne peut pas faire la Troisième Guerre mondiale, alors on fait des guerres locales. » Le développement des initiatives, des partages, leur amplification sont indispensables pour sauver la paix avec les peuples. Dans l’avion qui le ramène de Séoul, en août dernier, il déclare que, lorsque les activités de groupes fanatiques criminels le rendent nécessaire, « il est licite d’arrêter l’agresseur, je dis bien arrêter, je ne dis pas bombarder ou faire la guerre » et cela ne peut se faire que dans le cadre de l’ONU et de son Conseil de sécurité. Et en poursuivant par ailleurs les efforts pour rassembler les peuples pour construire et imposer la paix sans cesse. Ces propos sont dans le prolongement de ce que le pape avait écrit dans son exhortation apostolique de 2013 : « la disparité sociale engendre tôt ou tard une violence que la course aux armements ne résout ni ne résoudra jamais. Elle sert seulement à chercher à tromper ceux qui réclament une plus grande sécurité, comme si aujourd’hui nous ne savions pas que les armes et la répression violente, au lieu d’apporter des solutions, créent des conflits nouveaux et pires. » (La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique)
En septembre 2015, le pape doit prendre la parole à l’ONU, à New York, cinquante ans après Paul VI qui y déclara : « Plus jamais la guerre ! »
Dans les luttes pour la paix, ces paroles et ces actes ont une portée immense pour l’humanité. n

*Antoine Casanova est historien. Il est directeur de La Pensée.

La Revue du projet, n° 41, novembre 2014
 

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le 25 novembre 2014

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