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Que faut-il attendre du mouvement Do It Yourself (faites-le vous-même) ? Sébastien Broca*

Pour un nouveau rapport aux technologies en rupture avec le consumérisme.

Autour de lieux de fabrication comme les fab-labs, les hackerspaces et les makerspaces se développent depuis quelques années un engouement pour le Do It Yourself (DIY). Ce mouvement porte l’espoir que de nouvelles pratiques de fabrication personnelle contribuent à l’émergence de modes de production et de consommation plus soutenables et plus épanouissants pour les individus. L’idée maîtresse du DIY est ainsi de rendre accessibles des outils technologiques (fraiseuse de précision, découpeuse laser, imprimante 3D, etc.) permettant de fabriquer, de réparer ou de personnaliser divers objets, des plus simples aux plus complexes.

Les racines
Si le slogan Do It Yourself ! évoque distinctement la culture punk, le mouvement qu’il désigne aujourd’hui a ses racines dans les pratiques de hacking telles qu’elles se sont développées dans le monde informatique. Le terme hacking est apparu dans les années 1950 au MIT (Massachusets Institute of Technology) pour désigner, dans le langage étudiant, le bricolage astucieux, créatif et volontiers frondeur d’un objet technique. Au cours des années 1960, les étudiants en informatique reprennent le qualificatif à leur compte, en revendiquant leur volonté de modifier les programmes qu’ils utilisent pour s’amuser hors des sentiers battus. Le hacking devient alors un moyen de montrer ses compétences, sa virtuosité dans le maniement du code informatique et aussi – bien souvent – son humour.

À distance de l’idée de piratage à laquelle on les associe souvent, les hackers sont donc avant tout des « bidouilleurs », pour qui la créativité, l’apprentissage et le jeu devraient caractériser le rapport que nous entretenons aux objets techniques. Ces derniers ne doivent pour cela pas être des « boîtes noires », au fonctionnement opaque et aux spécificités techniques immuables. Le modèle est celui des logiciels libres (free software), qui permettent à toute personne qui en a les compétences d’introduire des modifications pour créer des fonctionnalités inédites. Dans cette lignée, les partisans du Do It Yourself défendent généralement les principes de l’open hardware, c’est-à-dire l’idée que les caractéristiques techniques, le plan de montage et les composantes logicielles des objets doivent être accessibles, afin que tout le monde puisse les fabriquer soi-même et y apporter des améliorations.

Les enjeux
À travers le DIY, il s’agit souvent de construire un rapport aux technologies en rupture avec le consumérisme frénétique et sidéré auquel nous a habitué le monde industriel et le marketing des grandes marques. Il en va d’une tentative de réappropriation de certains savoirs et savoir-faire dont la production industrielle de masse semble avoir privé les individus, dès lors que ceux-ci sont devenus des consommateurs, étrangers au processus de production des objets qui les entourent. Le mouvement DIY favorise ainsi l’apprentissage par la pratique. Il incite tout un chacun à devenir un « bidouilleur », quitte à connaître certains échecs. Au fab-lab d’Amsterdam, un autocollant « Failure is always an option (l’échec est toujours une option) » orne ainsi plusieurs machines et ordinateurs.

Les promoteurs de la fabrication personnelle revendiquent également des ambitions écologiques. À terme, tout le monde pourrait ainsi apprendre à confectionner des pièces de rechange, afin de réparer ses objets et appareils électroniques et prolonger ainsi leur durée de vie. Mieux encore, les principes de l’open hardware seraient une parade à l’obsolescence programmée. La transparence technologique aurait pour effet d’éliminer les vices cachés que les industriels intègrent à la conception de leurs produits afin d’augmenter la fréquence de leur remplacement. La fabrication personnelle irait enfin de pair avec une relocalisation de l’économie. Elle permettrait de réduire considérablement la distance entre lieux de production et de consommation, tout en donnant naissance à une gamme d’objets diversifiés, mieux adaptés aux particularités des situations locales.

Lieux de fabrication, les fab-labs, hackerspaces et makerspaces sont aussi des espaces de sociabilité, qui affirment promouvoir la collaboration, le partage et l’entraide. On s’y livre à des activités productives, tout en échappant aux contraintes hiérarchiques et managériales qui constituent le quotidien de nombreux travailleurs. Ces ateliers de fabrication sont ainsi emblématiques d’une aspiration à des formes d’organisation plus horizontales. Une illustration en est fournie par le principe de « do-ocratie », néologisme « franglais » historiquement mis en avant par les communautés du logiciel libre et souvent repris par les partisans du DIY. Lorsque ceux-ci affirment que « celui qui fait doit décider », ils entendent ainsi rompre avec les hiérarchies rigides et la séparation entre activités de conception et d’exécution.

Des attentes excessives ?
Bien que les aspirations dont témoignent les ateliers de fabrication puissent à juste titre être considérées comme une remise en cause des formes dominantes de production et de consommation, il faut prendre garde à ne pas idéaliser les pratiques qui s’y déploient. Il existe en effet une tension, intrinsèque à la culture du hacking, entre le projet de démocratisation de la culture technique que nous venons de décrire et une forme d’élitisme liée à la maîtrise de savoirs et de savoir-faire complexes et rares. De plus, l’absence de hiérarchie formelle au sein de ces lieux ne supprime pas les inégalités sociales et culturelles entre leurs occupants, ni l’effet d’exclusion que le profane peut y ressentir de prime abord. Les auteurs d’un article sur un célèbre hackerspace libertaire de San Francisco remarquent ainsi que « même s’il se présente comme ouvert à tous – et c’est le cas –, Noisebridge reste un lieu plutôt réservé à un public de connaisseurs, qui demeure intimidant pour celui qui n’est pas du sérail ». Il fait peu de doute que le même constat peut être appliqué à certains lieux en France.
La question est aussi celle de l’inscription des ateliers de fabrication dans les territoires. Souvent installés dans des quartiers populaires où la pression immobilière est moins forte, ils sont pour l’heure fréquentés en priorité par des « bidouilleurs » disposant d’un capital culturel (et parfois économique) important. On peut dès lors se demander s’ils ne constituent pas parfois des sortes d’« enclaves », créant peu de liens avec les quartiers où ils se trouvent et participant d’une dynamique de gentrification dont on sait qu’elle n’a pas que des effets positifs. Certains ateliers de fabrication se montrent néanmoins sensibles à ces questions et prennent des initiatives pour s’intégrer dans le tissu local.

Il faut, en fait, reconnaître que le développement spectaculaire des fab-labs, hackerspaces et makerspaces a engendré des situations diversifiées, entre les lieux portés par un projet social local, ceux dont l’ambition est essentiellement technologique, ceux qui revendiquent un objectif commercial, etc. On soulignera enfin que comme tout slogan connaissant un succès médiatique, le DIY n’est pas à l’abri des récupérations susceptibles d’en altérer, voire d’en vider la signification originale. Nombre d’acteurs de l’économie numérique tentent ainsi de surfer sur la vague de la production collaborative et de la fabrication personnelle, en revenant parfois sur les principes d’ouverture de l’open hardware. Il serait pourtant dommage que le DIY ne devienne qu’une façon habile de désigner la mise au travail des utilisateurs pour le profit principal de nouveaux acteurs industriels. 

*Sébastien Broca  est sociologue. Il est postdoctorant à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

La Revue du projet, n° 40, octobre 2014
 

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Que faut-il attendre du mouvement Do It Yourself (faites-le vous-même) ? Sébastien Broca*

le 26 octobre 2014

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