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De l’arithmétique à la poliorcétique, Guillaume Roubaud-Quashie

Quel paysage politique se présente sous nos yeux quand la crise du capitalisme et les politiques d’austérité immergent notre peuple chaque jour davantage dans les bouillons acides de la vie dure, quand il faudrait batailler fort et clair et ferme pour gagner l’alternative. Tout semble n’être que déchirures et dissensions.
Tout ? Hélas, pas vraiment : le Front national, naguère encore miné par de visibles désaccords, s’avance, verbe haut et mains sales, uni derrière quelques idées qui sont les branches d’un même tronc : il faut mettre un terme à l’invasion musulmano-africaine, cause de tous les grands maux de notre temps. Le discours, porté par une force structurée et unie, validé en outre à droite et parfois même à certains égards, au gouvernement, gagne assurément en écho populaire. Pour autant, les lecteurs de cette revue le savent, et tant pis pour les amateurs d’apitoiements romantiques (façon Musset : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux », etc.) : ces idées ne sont pas encore hégémoniques. Elles avancent, doucement, dangereusement, résistiblement.
Alors, unir, se rassembler pour résister : voilà une idée qui chemine. Qui n’a entendu un parent, un ami prôner l’union sacrée de tous les démocrates ce soir de mai 2014 lorsque le Front national arriva en tête des élections européennes ? Qui croit vraiment que les discours alarmistes de Manuel Valls appelant à serrer les rangs derrière le Parti socialiste pour éviter le pire ne trouvent aucune oreille ? Des millions de personnes sont déjà sensibles à ces appels ; toutes choses égales par ailleurs, ils seront à n’en pas douter des millions de plus lorsque, non sans trembler, ils seront seuls dans l’isoloir, ce dimanche qui accueillera l’élection qu’ils jugent seule utile (non sans quelque raison, la Ve  République étant ce qu’elle est) : l’élection présidentielle.
Et pourtant, qui peut penser que l’issue est là ? Qui peut penser que cette alliance défensive et sans contenu pourra mobiliser ces autres millions de citoyens sans lesquels aucune majorité de progrès n’est plus possible, ces millions de citoyens que ces cris aux loups lassent, face à une vie qui ne s’améliore décidément jamais vraiment ? Toute la période politique tient sans doute dans cette contradiction toute de résignation aux conclusions contraires : voter pour le mieux placé, quel qu’il soit, pour éviter le pire du pire afin que rien ne change en vraiment mal ; ne pas voter du tout puisque rien ne changera de toute façon.
Y a-t-il une issue positive possible ? Beaucoup en doutent, parfois même parmi nous, se laissant aller aux soupirs et au découragement luxueux. D’autres estiment que c’est en montrant un refus opiniâtre de tout rassemblement que l’étincelle jaillira, mettant le feu à la plaine. Le hic est que les plaines sont plutôt détrempées et que les solos funèbres assèchent mal les marais. Quel autre choix que le rassemblement dès lors ?
Mais, protestera-t-on, n’y a-t-il pas des désaccords profonds, sérieux ? N’y a-t-il pas des faux nez, des opportunistes filous ? Leur tendre la main ne fera-t-il pas accroire que nous les croyons sincères ? Un travail avec eux ne leur permettra-t-il pas de jouir de notre crédit tout en l’amoindrissant aux yeux de ceux qui connaissent leurs travers ?
À ces fortes objections souvent sincères, le Parti communiste répond avec juste constance que l’issue – car issue il y a – ne peut être que dans le contenu, dans le projet – c’est pourquoi les communistes y travaillent tant depuis le dernier congrès. On ne rassemblera pas des majorités sur des mots étendards
– fût-ce le mot « gauche », toujours puissant mais bien écorné. On ne les rassemblera pas davantage sur des tactiques politiciennes – alliance systématique comme refus systématique d’alliance étant mêmement postures qui ne régalent que ceux qui n’ont pas le ventre vide. On ne pourra rassembler des majorités que sur des contenus phares.
De ce point de vue, en ce 50e anniversaire de la mort de Maurice Thorez, réfléchir au Front populaire, mutatis mutandis, n’est peut-être pas inutile. Des revendications peu nombreuses, simples, populaires ; l’unité de ceux qui travaillent par-delà même les barrières traditionnelles ; comprendre ce qu’il y a de juste dans les angoisses qui poussent vers les rives extrêmes et prétendre y apporter une vraie réponse plutôt que d’insulter les égarés.
Le passage est célèbre mais la place de l’histoire communiste dans notre société étant ce qu’elle est – défigurée et étouffée –, il vaut d’être cité à nouveau : « Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère, et que tu es comme nous accablé par les mêmes soucis. Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix-de-feu, parce que tu es un fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe. » (Maurice Thorez, Radio-Paris, 17 avril 1936).
Oui, mille et mille désaccords existent parmi ceux que nous avons à rassembler. Oui, ces désaccords sont importants – gare à qui l’oublierait – mais soyons-en sûrs, ils perdureront longtemps, non seulement dans les appareils politiques – qui passent – mais aussi dans notre peuple – qui demeure. Or si nous voulons dépasser le capitalisme – et notre monde en a tant besoin –, il nous faudra bien travailler avec ces millions de personnes qui, d’accord avec nous sur plusieurs aspects, ne le sont pas – pas encore – sur d’autres. Unissons-les autour de quelques idées (le Front populaire en avait choisi trois) et commençons le chemin qui, seul, permettra de convaincre plus et mieux.
Alors, oui, unir, largement, sans réserve, sur un contenu populaire de progrès. Unir pour entraîner et pour gagner ou dépérir seul, la pureté au cœur et la vérité en tête : telle est l’alternative. Bien sûr, ce combat ne relève sans doute pas de la Blitzkrieg (guerre éclair) ; il s’agit bien davantage d’un siège – ce qu’en langage savant, on appelle la poliorcétique.
Pierre Laurent l’a dit à la Fête de l’Humanité dans un discours important : « L’heure n’est pas aux soustractions. L’heure doit être aux additions des forces disponibles pour construire une issue favorable. » En d’autres termes, troquons notre armée de divisions contre des divisions armées. Ou encore, divisions pour divisions : quittons l’arithmétique pour la poliorcétique.

Guillaume Roubaud-Quashie,
Rédacteur en chef

 

La Revue du projet, n° 40, octobre 2014
 

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De l’arithmétique à la poliorcétique, Guillaume Roubaud-Quashie

le 26 octobre 2014

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