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Le Front de gauche est indispensable pour la construction du vaste rassemblement que nous ambitionnons

Avenir de la gauche, du Front de gauche, Marie-Pierre Vieu fait un état des lieux de la situation politique issue des dernières élections et trace des pistes pour la modifier sans attendre. Chargée du Front de gauche à la direction du PCF, elle évoque les enjeux de la conférence nationale convoquée en novembre et l'impulsion qu'entendent donner les communistes pour ouvrir une voie alternative à la politique menée par un gouvernement socialiste.

Malgré le discrédit de la social-démocratie au pouvoir, le Front de gauche (FG) n’est pas parvenu à progresser lors des dernières élections. Comment expliquer cet état de fait ?
Depuis 2012 , l’ensemble des élections (des partielles aux municipales et européennes) présentent des constantes. On y trouve une abstention grandissante de l’électorat de gauche sanctionnant directement le PS, et dans ce contexte d’une participation moindre, une bonne tenue de la droite tandis que le FN explose en pourcentage. Le FG quant à lui se maintient voire progresse légèrement. Cela montre que dans l’après-présidentielle, plus encore dans la phase actuelle de désaveu de la politique gouvernementale, nous n’apparaissons pas comme une alternative crédible. La colère voire les attentes trouvent d’autres formes d’expression : le refus de voter ou, pour une part, un vote régressif.

Le PCF a été confronté antérieurement à cette même incapacité à apparaître comme un recours politique possible face au discrédit politique du PS au pouvoir ; je pense à 1983 après « le tournant de la rigueur » et aussi à partir de 1988 quand François Mitterrand recompose sa majorité au centre. Reste que ces deux moments interviennent dans un contexte politique différent au moins sur deux points : nous étions alors engagés dans une stratégie d’union de la gauche et la fin du socialisme dit réel allait poser la question même de l’existence du PCF et par contrecoup légitimer à gauche la voie social-démocrate alors que le capitalisme triomphait.

Il nous faut analyser la situation actuelle pour ce qu’elle est, c’est-à-dire avec les dimensions de persistance de la crise, la conduite de politiques austéritaires et les ruptures dans le pacte social et républicain qu’elles génèrent, « l’extrémisation » de la droite sous le coup du FN et du MEDEF, la conversion du PS à la social-démocratie européenne ; tenter d’identifier pourquoi après l’immense espoir suscité par les 11 % de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, nous ne sommes pas parvenus à apparaître comme le rassemblement en capacité de leur être utile pour faire peser leurs exigences dans le rapport de forces.
Selon moi, il nous faut rapidement sortir par le haut de cette question qui a fait exploser notre unité lors des municipales jusqu’à peser lourdement dans la mobilisation militante des européennes. Comment être un rassemblement et une force en rupture avec la politique gouvernementale et la social-démocratie sans hypothéquer mais au contraire favoriser la convergence des forces nécessaires à gauche pour une autre politique et une autre voie ? Il faut ensuite que nous fassions évoluer notre projet et notre démarche de rassemblement en conséquence.

Au regard de la situation politique, le conseil national du PCF des 14 et 15 juin a décidé de convoquer une conférence nationale en novembre. Quel en est l’objet ?
Après les élections européennes, nous sommes entrés dans un nouveau temps du quinquénat Hollande : le cap austéritaire est confirmé, Valls assumant « la réforme » face à une France « entravée » comme la droite l’avait fait avant lui. Le PS entend finaliser sa mue en parti démocrate. Il lui reste à affiner sa stratégie et sa tactique à l’horizon 2017 en minimisant la casse. Là encore, c’est le premier ministre qui a donné le la, il y a quelques semaines, je cite : « la gauche peut mourir… et il n’existe pas d’autre alternative à gauche », comprenez que celle de la politique aujourd’hui menée par François Hollande et lui-même. La conclusion est simple : le renoncement ou bien faire le lit de l’UMP et du FN ! Jean-Christophe Cambadélis est chargé de mettre en ordre le Parti pour être en conformité avec cette feuille de route. Les plus récalcitrants seront écartés ou soumis de force : on vient tous d’être témoins de la mise au pas des frondeurs. Il y aura d’autres rébellions, heureusement, ce qui prouve au passage que même au sein du PS, il existe des résistances. À nous de leur donner de la force, non pour peser de manière politicienne sur le débat interne du PS d’avance verrouillé, mais parce que ces prises de position alimentent la dynamique de transformation que nous voulons développer…
Le fossé est tel entre le pouvoir et ceux qui l’ont élu que le scénario Valls va conduire au pire, à savoir la victoire de la droite et de l’extrême droite dans une indifférence croissante. C’est pourquoi il est vital de se donner les moyens d’écrire une autre histoire. Cela intime de se réapproprier la question structurante du rassemblement populaire, et pour y parvenir, de s’employer à la convergence la plus large à gauche des forces, femmes et hommes de gauche et de progrès qui participent aujourd’hui à combattre l’austérité et luttent pour l’émancipation. Ce sont ces questions que nous voulons discuter lors de notre conférence nationale de novembre ; celles de l’urgence de l’alternative et de la responsabilité du PCF dans son affirmation ; pour faire grandir les luttes sociales et les légitimer, être un vecteur du rassemblement pour l’imposer et un acteur important de la refondation politique nécessaire à gauche.

 

Après une période difficile : mésentente stratégique, expressions divergentes, résultats décevants, le Front de gauche peut-il se poursuivre comme avant ?
Lors des dernières réunions nationales du FG, beaucoup de termes ont été utilisés : « poursuite », « nouvel élan », « réorientation », « dépassement »,  jamais celui de « statu quo ». Reste qu’une fois qu’on a dit cela, on n’a rien dit. Mon opinion est que le FG est indispensable pour la construction du vaste rassemblement que nous ambitionnons de bâtir. S’il ne peut en être l’épicentre ou l’unique moteur, il doit en être un des moteurs essentiels. Et ce, pour une série de raisons :

• la première est qu’il est à ce jour le seul pôle populaire et de rassemblement constitué, porteur d’une cohérence de projet pour œuvrer à l’alternative politique et repéré comme tel depuis la présidentielle de 2012. Prenons simplement l'exemple de ce que nous avons fait avancer sur la démocratie sociale et citoyenne, la constituante pour remettre le peuple au cœur de tout processus de transformation et construire la VIe République qui le légitimera…
• la deuxième raison est que la diversité même des forces constituant le Front de gauche, en matière culturelle comme dans la conception de l’action sociale et politique, est déjà porteuse en soi de l’ensemble des débats et pratiques de la gauche transformatrice. On ne construira donc pas un rassemblement à vocation majoritaire à gauche en se privant d’une partie des forces du FG, voire du FG, mais au contraire en travaillant avec elles à des horizons plus larges.

• la troisième raison est que les facteurs politiques qui ont amené à la création du FG n’ont fait que s’accentuer. Aujourd’hui nous sommes confrontés à l’accélération de l’érosion de légitimité de la social-démocratie et à l’incapacité du PS au pouvoir à répondre aux attentes populaires avec en toile de fond une droite, un MEDEF et un FN décomplexés aux plans politique et idéologique. La question de l’alternative à gauche est une urgence face à la crise économique, sociale, écologique et démocratique que nous traversons : le rassemblement des forces disponibles pour y travailler est posé. C’est la raison d’être du FG, il me semble ! Mais cela nous appelle à dépasser la panne des dernières élections et les blocages que nous rencontrons : sur le plan de nos propositions bien sûr, mais également de notre stratégie politique et singulièrement en précisant notre rapport au PS et à la gauche, de notre mode de fonctionnement de « front » notamment dans sa capacité à s’ouvrir en « bas » à celles et ceux disponibles pour s’engager sans autant revendiquer une entrée par le biais d’un des partis ou formations présentes.

Le Conseil national lance un appel « pour reconstruire l’espoir à gauche et l’espoir pour la France ». Dans le même temps, les premiers débats dans le Parti sont traversés par des interrogations sur le concept de gauche. Quel sens y mettent les communistes ?
Les communistes refusent, à juste titre, de qualifier de gauche, la politique menée par le pouvoir socialiste. C’est vrai qu’elle n’en a ni le contenu (politique de l’offre, baisse du coût du travail, réduction des dépenses publiques, autoritarisme…), ni les éléments de langage (directement empruntés au MEDEF : compétitivité, libéralisation), ni même l’éthique… Faut-il en déduire que le PS n’est plus un parti de gauche et/ou que le « concept » de gauche ne voudrait plus rien dire ? Le problème n’est pas là. Il réside plutôt dans le fait que dans la perception et l’imaginaire populaire le PS reste un parti de gauche, voire le parti dominant à gauche ; c’est pour cela d’ailleurs que le désarroi est si grand. La gauche est au pouvoir et elle fait la même chose, voire pire que Sarkozy ; le changement est donc impossible. Et Hollande joue sur ce seul levier…

Je crois que nous réglerons la question en nous réappropriant la gauche, en s’arrogeant le droit d’en être les dépositaires politiques, sociaux, idéologiques ce qui renvoie à la bataille pour l’hégémonie en son sein. Dit autrement, la bataille pour le leadership à gauche et dans la société de manière à en imprégner fortement les débats et les repères. C’est un peu comme cela que j’entends le « nous sommes la gauche » de Tsipras au sortir des élections grecques. Lorsqu’en France notre parti à la charnière des années 1970 et 1980 a perdu ce leadership au profit du PS, il n’en est pas allé que d’une affaire électorale mais cela a eu des conséquences sur tout le mouvement progressiste, syndical, gauche « radicale » ou de transformation, la vie intellectuelle, culturelle… Il nous faut faire grandir l’idée que tant que ne serons pas majoritaires , nous les anti-austéritaires et les anti-libéraux, aucun gouvernement ne pourra répondre positivement aux attentes populaires. Quant au sens que donnent les communistes au mot « gauche », je crois qu’en l’année du centenaire de la mort de Jaurès, il n’est pas besoin de chercher longtemps : la paix contre l’oppression, l’égalité et la justice contre les logiques identitaires, la coopération contre la concurrence, le partage (des richesses) contre l’accaparation et le monopole…

Le PCF souhaite travailler à un « Front large, un Front du peuple » pour ouvrir une nouvelle perspective progressiste. Quels en seraient les contours ? Quelle place le Front de gauche pourrait y tenir ?
Dans l’appel que Pierre Laurent a lancé au Conseil national du PCF, il parle de Front du peuple, « forces disponibles, hommes et femmes qui refusent l’impasse de la politique actuelle, ne veulent pas du retour de la droite, encore moins de l’extrême droite, qui aspirent à sortir de l’austérité et construire un projet de gauche, d’alternative aux choix du gouvernement Hollande/Valls. » Est ajoutée la formule « Mettons-nous au travail, en action sous toutes les formes possibles, dans tout le pays, à tous les niveaux ». Il s’agit donc d’une main tendue comme le PCF l’a fait dans son histoire avec l’ambition de construire un rassemblement qui va se renforcer et s’élargir en fonction des lignes que nous commencerons à faire évoluer dans le rapport de forces.

Il n’y a pas à s’interroger longtemps sur la place du Front de gauche dans ce front large ; il en fait partie naturellement et comme je l’ai dit plus haut, nous souhaitons qu’il y ait un rôle moteur. C’est dans ce sens qu’a été pensé une assemblée de rentrée des animateurs nationaux du FG (le 6 septembre 2014) centrée sur l’analyse de la situation politique et la relance de la dynamique citoyenne. Quant aux autres forces disponibles, le début de l’été atteste des possibilités comme des limites des échanges qui commencent à s’établir. On l’a vu avec les socialistes affligés, des écologistes, au parlement et l’amorce de riposte avec « les frondeurs ». On l’a constaté au travers de différents appels qui ont été rendus publics, de ponts établis avec des secteurs en lutte comme la culture, de contacts renoués avec des intellectuels… De plus, et c’est pourquoi j’ai ajouté la formule « toutes les formes possibles, dans tout le pays, à tous les niveaux »,  l’expérience montre que le rassemblement que nous ambitionnons de construire ne se règle pas que par le haut et de manière ossifiée. Les mobilisations diverses qui s’amorcent autour de la défense des services publics, contre la réforme des collectivités, autour de la défense de l’emploi local sont révélatrices aussi de possibilités de rencontres, de liens et de dynamiques qui relèvent de la même logique de résistance et alternative.

Au sein de ce rassemblement, comment faire progresser durablement, le projet, les idées communistes ?
Il y a chez les communistes cette double ambition de rupture avec le capitalisme et de rassemblement majoritaire. Le projet communiste s’articule autour de propositions structurantes remettant en cause les logiques à l’œuvre et des conditions politiques pour les gagner. Le travail militant et parlementaire engagé autour du coût du capital alors même que le gouvernement vient encore de lâcher sur la pénibilité est en soi emblématique du bras de fer engagé. Est inextricablement liée au communisme la question de la propriété et du bien commun. Le projet et les idées communistes grandissent et se renforcent dans les luttes et les dynamiques politiques. Le fait de nous retrouver dans de larges rassemblements aux côtés d’autres militants se réclamant du socialisme, de l’écosocialisme, de l’alterécologie, de l’altermondialisme voire simplement de l’humanisme n’atténue pas notre combat communiste. On n’est pas sur un débat lexical mais portant sur la hauteur d’horizon à laquelle nous travaillons, celui d’une visée du dépassement du capitalisme et de l’émancipation. La proposition d’une rencontre sur le communisme a été faite par le secrétaire national de notre Parti (dans son rapport au Conseil national de juin NDLR) ; elle va nous être utile pour étayer ce débat.  

La Revue du projet, n° 39, septembre 2014
 

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le 23 septembre 2014

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