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Le FN en campagne : opération séduction, Sarah Chakrida

« Vous reprendrez bien un peu de bouillie saupoudrée de peste brune ? »

On croyait avoir eu notre dose lors des élections municipales mais non, décidément, les grands média français persistent et signent en faisant la part belle au Front national lors de la campagne pour les élections européennes. Parmi les trois chaînes d’information en continu, I-Télé a ainsi accordé plus de temps d’antenne au parti de Marine Le Pen (26,19 % du temps global) qu’au PS et à son allié PRG (25,20 %) ou à l’UMP (23,29 %) (chiffres CSA du 14 avril au 9 mai). Le sondage Eurorolling Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio du 12 mai place le FN en tête avec 24 % des intentions de vote. Présent matin, midi et soir sur tous les fronts médiatiques, le parti de Marine Le Pen semble apparaître comme le grand gagnant par avance et, ô vision d’horreur, les citoyens se disent que les jeux électoraux seraient déjà faits. L’euroscep­ticisme des Français est bien connu depuis le « non » au référendum de 2005. Pourtant, d’autres partis politiques s’inscrivent dans cette lignée de méfiance et de réserve face à l’Union européenne des marchés financiers et de l’austérité budgétaire. Alors, pourquoi une telle visibilité médiatique du Front national ?

Les logiques de la médiatisation
Il ne faudrait pas résumer la médiatisation du FN à ce qu’elle est, soit une surreprésentation du parti dans le temps de parole accordé aux différents candidats aux élections européennes à venir. Plus que la médiatisation d’un seul parti, depuis des mois – voire des années – c’est tout un discours de la « peur » fondé sur la xénophobie et la problématique sécuritaire, qui a été amplifié par les média. Si ce discours médiatique a tendance à avoir le monopole depuis un certain temps, c’est que, pour nos décideurs de la pensée unique, l’équation est toute faite : la crise économique bat son plein et par conséquent, le repli sur soi est accentué par le rejet de l’autre entraîné par la peur et le besoin irrationnel de se sentir en sécurité. S’ajoute à cela le fantasme de la « montée des extrêmes » (dans laquelle les média inscrivent également l’« extrême gauche ») en période de crise via une assimilation historique malencontreuse avec les années 1930, l’histoire ne se répétant jamais de la même forme. On arrive alors à ce triste constat : à la radio, à la TV, dans les magazines, plus que le FN en lui-même, ce sont les idées qu’il défend qui ont pignon sur rue. Il suffit d’observer la Une du magazine Valeurs Actuelles qui titrait encore, dans son numéro daté du 15 au 21 mai, sur « l’invasion des mosquées », surfant sur le discours anti-islam. Cette rhétorique de la peur associée à celle de la décadence et de la crise de la civilisation est puissamment relayée.
Les représentants du milieu conservateur intellectuel et médiatique se sont fait les champions de ces thématiques « FNisantes ». Ainsi, Alain Finkielkraut et Élisabeth Levy (rédactrice en chef du journal en ligne Causeur dont l’actionnaire principal est l’ancien propriétaire du journal d’extrême-droite Minute) sont placés au rang de leaders d’opinion, souvent invités dans les talk-shows politiques et les émissions étant dans l’air du temps. L’un de ses représentants les plus zélés, Éric Zemmour, fait d’ailleurs régulièrement l’objet de controverses médiatiques, alimentant « le buzz » autour des idées conservatrices. Une de ses chroniques, celle du mardi 6 mai dernier sur RTL, faisait l’amalgame plus que douteux entre délinquance et immigration. Le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) aura eu beau porter plainte en demandant l’éviction du polémiste, Zemmour n’en est pas à son premier coup d’essai et nous pouvons malheureusement prédire que cet intellectuel, chantre de la pensée réactionnaire, pourra tranquillement continuer à diffuser sa pensée nauséabonde sur RFM, I-Télé et Le Figaro. Le FN se frotte les mains. La visibilité accrue du parti frontiste peut également s’expliquer par sa stratégie de communication politique. Depuis sa création, le FN s’appuie largement, voire essentiellement, sur son audience médiatique pour convaincre et susciter l’adhésion. Aussi le FN est-il très présent sur Internet et constitue, parmi les partis politiques, l’un des précurseurs quant à la présence sur le Web. Quand on sait qu’Internet est devenu le principal support d’information chez les jeunes, nul besoin de préciser que l’enjeu pour le monopole de la parole publique est de taille.

Quel programme et quel bilan politique du FN depuis 2009 ?
Pour ce qui est des élections européennes, le FN fait partie de la coalition « Alliance européenne pour la liberté ». Leur programme européen est peu développé et met surtout en valeur les thèmes classiques de l’extrême-droite conservatrice : le contrôle de l’immigration en prônant le retour aux frontières, la souveraineté nationale et la sortie de l’euro. Autant de solutions qui paraissent bien éloignées des aspirations des peuples européens qui subissent de plein fouet le chômage et la précarité au quotidien. Cela dit, si le FN parvient à mobiliser au-delà de son électorat, c’est parce qu’il arrive à proposer un modèle de société, totalement imaginé et fantasmé certes, qui parle à l’inconscient et au ressenti individuel et collectif. Le tout est de ne pas être dupe d’un programme électoraliste qui accumule les stéréotypes et les grandes tirades pour mieux cacher le manque de propositions crédibles. Marine Le Pen annonce qu’elle espère « 15 à 20 eurodéputés » pour créer un groupe au sein du Parlement, le parti n’en comptant que trois pour le moment. Au parlement européen, le bilan des députés frontistes n’est pas glorieux même si les cadres frontistes tentent d’affirmer le contraire dans les média. À ce propos, notons l’utilisation quasi-systématique du mensonge, sorte de marque de fabrique du Front national. Ainsi, Marion Maréchal-Le Pen assurait, le 7 mai sur France inter, que « nos députés sont présents à plus de 90 % des plénières » du Parlement européen. On ne saurait feindre que dans la dynastie Le Pen, le père et la fille sont les deux eurodéputés français les moins assidus. Toute nationalité confondue, ils comptent parmi les plus mauvais élèves du Parlement européen en la matière. Un organisme, VoteWatch, comptabilise cette participation. Selon ce site, depuis 2009, les députés européens Jean-Marie et Marine Le Pen ont été présents à respectivement 66,53 % et 67,29 % des votes, contre 84 % en moyenne pour les eurodéputés et 83 % pour les parlementaires français.

Le FN, se posant en parti europhobe, s’écarte volontairement de l’élaboration des lois et des politiques européennes. On peut se questionner sur l’efficacité d’une stratégie qui consiste à intégrer un système – et à en profiter – tout en le dénonçant. Hormis quelques « résolutions », des textes non législatifs, les eurodéputés FN se signalent surtout par leurs interventions en séance plénière et leurs questions. Peu étonnant, le très peu actif Jean-Marie Le Pen se consacre surtout à la dénonciation de l’immigration et de la perte de souveraineté nationale… rien de nouveau sous le soleil, donc. La montée en puissance du FN s’inscrit dans la montée de l’extrême-droite aux européennes depuis les dernières élections, même si la vague brune annoncée sera sans doute moins grande que prévue. Il leur sera dur de peser et de parler d’une même voix car les formations d’extrême droite européennes sont idéologiquement et politiquement très hétérogènes. Il n’est pas dit que la formation d’un groupe parlementaire européen regroupant l’ensemble des élus d’extrême-droite, ambition affichée de Marine Le Pen, tiendra le coup dans la durée. Les sources de tensions ne manquent pas entre les différents partis, sur des points comme la rhétorique anti-islam ou la construction européenne. Un premier tri a déjà eu lieu quand le Front national a annoncé qu’aucune alliance n’aurait lieu avec le Jobbik (Hongrie) ou Aube dorée (Grèce), jugés trop radicaux. Pour s’éviter les foudres de ses alliés de circonstance, Marine Le Pen a aussi sommé son père et Bruno Gollnisch de quitter l’Alliance européenne des mouvements nationaux. Rivale de l’AEL, l’AEMN regroupe des partis plus extrémistes comme le Jobbik ou le BNP britannique. À terme, la diversité des mouvements d’extrême droite pourrait desservir leur cause, ces partis étant dans l’incapacité de se structurer en force politique durable et unifiée. L’ambition européenne affichée du FN apparaît comme un leurre politique, tant leur programme n’est fondé que sur la dénonciation et le rejet d’un système sans apporter de propositions viables et concrètes pour les peuples européens.

Ceux qui désirent un réel changement en Europe se heurtent à la frilosité du PS et de l’UMP qui rechignent à faire campagne pour les élections européennes. Ce manque d’engouement politique s’explique par le souhait de continuer ce qui est à l’œuvre aujourd’hui : l’austérité budgétaire et l’accroissement de la toute-puissance de la finance. Pourtant, d’autres forces politiques proposent un modèle alternatif pour l’Europe, comme le Front de gauche, mais restent quasiment inaudibles d’un point de vue médiatique. Face à la course à l’audimat, les grands média - garants de la pensée unique - sont séduits par le discours frontiste. En quête de sensationnalisme, les téléspectateurs-citoyens applaudissent aveuglément. En attendant, combien de campagnes électorales faudra-t-il avant que le monstre FN retire son voile médiatique pour laisser apparaître, aux yeux de tous, sa véritable nature profondément xénophobe, liberticide et rétrograde ?
La Revue du projet, n°38, juin 2014
 

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le 18 June 2014

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