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Le Brésil et la marche de l’histoire, Guillaume Roubaud-Quashie

On ne parle déjà que de ça dans les autobus et les cafés, autour des tartines comme des cendriers : la Coupe du monde de football approche ! Brasilia, Salvador, Rio vont accueillir l’événement mondial. Politiquement et socialement, les commentaires n’ont pas manqué : corruption, inflation, mobilisations… Mais laissons là l’écume pour plonger, en quelques lignes, dans les mouvements profonds des eaux brésiliennes.

On ne brossera pas ici le tableau du paradis, l’immense écrivain Jorge Amado nous a appris de longue date que la lutte des classes ne s’était pas arrêtée aux frontières du Brésil. Reste une trajectoire que chacun connaît mais qu’il faut rappeler tant elle frappe – ou devrait frapper. Cette croissance que d’aucuns, ordinateurs dernier cri sous les doigts, dédaignent superbement, a métamorphosé le Brésil à grande vitesse : depuis Tristes tropiques de Lévi-Strauss (1955), le PIB a plus que décuplé, dépassant tout juste celui de la France à présent (en parité de pouvoir d’achat). Depuis les années 1970, l’espérance de vie a bondi de plus de 25 % pour approcher les 75 ans aujourd’hui. En deux décennies, le taux de mortalité infantile a été amputé des trois quarts pour tomber à 13 ‰. Les enfants sans école qui peuplaient Bahia de tous les saints ont presque disparu avec une alphabétisation qui passe désormais les 90 % et une population estudiantine qui effleure les 7 millions. Last but not least, conjurant les prédictions de malheur des malthusiens qui criaient à la bombe P (P comme population), l’affreux spectre de la famine est terrassé. Point d’empyrée tropical, répétons-le, tant les contradictions demeurent mais quelle dynamique à l’œuvre !

Mais est-il besoin d’une coupe du monde et de La Revue du projet pour découvrir l’eau chaude ? Oui, le Brésil est un pays qui se développe, qui va de l’avant, qui œuvre pour construire un lendemain plus beau qu’aujourd’hui. Tout le monde sait ça. Oui, mais tout cela ne jette-t-il pas une lumière presque blafarde sur notre continent, sur notre pays ? Naguère, l’expression « pays en développement » était dédaigneusement accolée aux pays dominés quand nous étions « pays industrialisés » : nous étions au-delà de ça… Qui ne voit aujourd’hui que nous sommes en deçà, enfermés dans un horizon de régression sociale, de recul historique et, lâchons ce juste mot, pour galvaudé qu’il soit, civilisationnel ! Sous nos latitudes, l’espérance de vie en bonne santé recule : en Allemagne même, les classes populaires ont perdu deux ans en moins d’une décennie ! Eh quoi ! Nos savoirs en expansion multiforme auraient-ils connu l’autodafé imposé par quelque obscurantisme nouveau ? Nos terres auraient-elles brûlé, incendiées par une guerre dévastatrice ? C’est tout le contraire : la puissance collective du genre humain n’a jamais été aussi immense. Mais obscurantisme il y a bien, il a pour nom : austérité. Il nous attache à un mode de production qui montre par tous côtés sa criminelle obsolescence. La guerre aussi a lieu, même si le silence la nimbe, c’est cette lutte de classes qui révèle que la bourgeoisie a décidément abandonné cette torche de l’universel qu’elle brandissait haut sur les barricades du XIXe siècle. Parasite obèse, la bourgeoisie mondiale progresse désormais seule, au détriment de toute l’humanité qu’elle exploite. Qui se soucie encore de construire le monde meilleur que nos efforts matériels et intellectuels rendent possible et que nos besoins rendent nécessaire ? Il ne reste que nous pour cette tâche historique : relever le flambeau des Lumières, sauver le progrès universel et lui frayer un chemin d’avenir. À nous donc de gravir la marche que l’histoire place devant l’humanité, sous peine de dévaler la pente…

Guillaume Roubaud-Quashie,
Rédacteur en chef

La Revue du projet, n° 37, Mai 2014
 

 

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le 21 May 2014

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