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Mettre les savoirs au service de l’émancipation, Marine Roussillon*

Les connaissances sont au cœur de la contradiction structurante du capitalisme contemporain.

Le besoin d’une main-d’œuvre de plus en plus formée, pour répondre aux défis nouveaux posés par la place des savoirs dans la production de valeur ajoutée, entre en contradiction avec la volonté de réduire le coût de cette main-d’œuvre et de ne pas lui donner le pouvoir qui va avec la maîtrise des savoirs.

« L’économie de la connaissance la plus compétitive du monde »
La politique menée par l’UE en matière d’enseignement et de recherche répond à cette contradiction en mettant la production et la diffusion des connaissances au service de la compétitivité des entreprises et de la guerre économique. Il s’agit de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».
Cette politique est organisée par des textes cadres – le processus de Bologne (1999), la stratégie de Lisbonne (2000) et la stratégie « Europe 2020 » (2010). L’évaluation comparative régulière des systèmes éducatifs permet à l’UE de piloter les systèmes nationaux. Ainsi les enquêtes PISA, en évaluant la maîtrise de compétences fondamentales chez les élèves de toute l’Europe, ont contribué à imposer un enseignement par compétences déconnectées des savoirs.
Pour la production des savoirs, l’UE promeut l’ innovation  : les résultats de la recherche doivent pouvoir être rapidement traduits en inventions technologiques marchandisables. La recher­che est de plus en plus coupée de la formation et des besoins sociaux et inscrite dans le temps court du financement sur projet et des évaluations à répétition. La diffusion des savoirs est organisée sur le modèle de la sélection. L’objectif ambitieux d’amener 50 % d’une génération au niveau licence se double d’une sélection de plus en plus précoce qui permet d’économiser sur les frais de formation. Enfin, l’UE pousse à l’individualisation des parcours et à la fragmentation des savoirs. Avec la définition de compétences fondamentales et la mise en place du LMD (licence-maîtrise-doctorat) entre autres, les savoirs sont éclatés en petits objets utiles sur un poste de travail précis, mais déconnectés de la compréhension réelle des phénomènes. L’individualisation des formations (avec la prolifération des options et le remplacement progressif des diplômes nationaux par des référentiels individuels de compétences, jusque dans les conventions collectives – voir par exemple la convention collective des travailleurs de l’informatique ou le débat récent sur la convention collective des infirmiers) garantit aux employeurs un niveau de formation sans garantir aux salariés la reconnaissance d’une qualification commune. Tout cela va de pair avec la casse du cadre national des services publics d’enseignement et de recherche au profit d’une mise en concurrence des élèves, des personnels et des territoires.

L’appropriation des connaissances
Nous nous battons pour que les citoyens prennent en main l’avenir de leur pays et de l’Europe, pour que les travailleurs conquièrent de nouveaux pouvoirs dans l’entreprise : la question des connaissances est au cœur de ce combat. Il est urgent de mettre la production et la diffusion des savoirs au service de l’émancipation individuelle et collective, de la prise de pouvoir par le peuple.
Quel rôle peut jouer l’UE dans ce renversement de situation ? Nous avançons une proposition phare, qui peut servir de matrice à une tout autre politique européenne de la connaissance : l’extension progressive de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans dans les États membres. L’objectif est réaliste : en France, plus de 90 % d’une génération est déjà scolarisée jusqu’à 18 ans. Et il fixe pour les politiques européennes une ambition forte : celle de l’élévation continue du niveau des connaissances dans la société. L’UE œuvrerait alors pour favoriser l’accès du plus grand nombre à des études longues et pour mettre les connaissances au cœur de la vie démocratique.
En rupture avec les politiques libérales actuelles, qui fragmentent le salariat et la société, l’objectif d’une scolarité plus longue, assorti de la garantie qu’une même formation soit reconnue par une qualification égale partout en Europe, permettrait l’émergence d’une culture commune, de solidarités nouvelles et de luttes collectives à l’échelle de l’Europe. Elle modifierait en profondeur l’emploi et le salariat de demain en favorisant le développement d’un emploi qualifié de qualité.
Ce projet implique le développement des services publics nationaux de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’UE peut travailler à ce développement en facilitant les coopérations à grande échelle et les mutualisations d’équipements coûteux et en mobilisant les moyens financiers nécessaires, notamment grâce à la création d’un fonds européen de développement social.
Les savoirs jouent un rôle de plus en plus important dans nos sociétés, non seulement dans l’économie, mais aussi dans le débat démocratique et dans la vie quotidienne. Parallèlement, les inégalités dans l’appropriation des savoirs se creusent. La question de l’appropriation de savoirs toujours plus complexes par tous devient cruciale pour penser un projet politique émancipateur : la démocratisation de l’appropriation des savoirs est la condition de la démocratie politique comme de la démocratie économique, en France, en Europe et dans le monde.

*Marine Roussillon est membre du Comité exécutif national du PCF.
Elle est responsable du secteur Éducation du Conseil national PCF.
La Revue du projet, n° 36, avril 2014
 

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Mettre les savoirs au service de l’émancipation, Marine Roussillon*

le 08 April 2014

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