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L’oppression de classe est sexuée, Laurence Cohen

Tandis que le droit à l’IVG est attaqué en Espagne et que les droits des femmes sont contestés dans un nombre croissant de pays, les féministes du monde entier se préparent à un 8 mars de lutte. Laurence Cohen, responsable nationale Droits des femmes/Féminisme du PCF et sénatrice du Val-de-Marne, livre son analyse de l’actualité et situe le féminisme au cœur des combats pour l’émancipation humaine.

Comment analysez-vous l’attaque de la droite espagnole contre le droit à l’IVG ?
La droite espagnole au pouvoir est des plus conservatrices, le projet de loi Ruiz-Gallardon remettant en cause le droit à l’avortement pour toutes les femmes en est la confirmation. Alors qu’en 2010 les luttes des femmes finissent par payer – légalisation de l’IVG pendant les 14 premières semaines – le gouvernement du Parti populaire concède en décembre dernier aux ultraconservateurs et à l’Église, un projet de loi intitulé « protection de la vie du conçu », n’accordant le droit à l’avortement qu’en cas de viol avéré et de mise en danger physique et psychologique de la mère. Le gouvernement espagnol doit maintenant faire approuver ce projet de loi par le parlement, dominé par le Parti populaire. Cependant, les conservateurs espagnols sont, eux-mêmes, divisés sur le sujet, tant le projet de loi est restrictif et rétrograde. En outre, les manifestations gigantesques du 1er février en Espagne et celles en solidarité partout en Europe, pourraient faire reculer le gouvernement espagnol.
Il n’y a pas qu’en Espagne où la situation est grave. En Europe, les conservateurs politiques et religieux s’organisent, le rejet par le parlement européen, en décembre dernier,  du rapport Estrela sur les droits sexuels et génésiques en est l’illustration criante.
Le droit à l’avortement est menacé partout : la Pologne a aboli ce droit, Malte, Chypre, la Hongrie et l’Irlande ont des législations terriblement restrictives en la matière.
En France, depuis dix ans, les économies sur le budget de la santé se sont notamment traduites par la fermeture de 130 centres IVG, ce qui conduit de plus en plus de femmes à se rendre dans d’autres pays pour avorter (dont l’Espagne !).
Et malgré les déclarations et les manifestations de la gauche rassemblée sur cette question, aucun moyen humain ni financier n’a été dégagé pour la réouverture de ces centres.


 
Quel regard portez-vous sur la loi pour l’égalité femme/homme ?
Les associations féministes attendaient beaucoup de cette loi « cadre », censée proposer une approche « intégrée ». Malheureusement le texte initial est encore plus en recul après son passage à l’Assemblée Nationale. La deuxième lecture au Sénat (mi-avril) sera donc l’occasion à nouveau de porter nos exigences.
Rien sur la précarité et le développement du temps partiel, qui auraient mérité qu’on s’y attaque avec détermination, tant ils amplifient les inégalités et la pauvreté des femmes. Des mesures de dissuasion telles que le relèvement des cotisations patronales à un niveau équivalent à celui d’un temps de travail plein, ou encore l’application de sanctions en cas de non-respect de ces obligations de négociation, de réalisation d’un rapport de situation comparée, ou des mesures permettant de réduire les inégalités auraient été possibles. Tous les amendements dans ce sens proposés par notre groupe au Sénat ont été retoqués sous le prétexte que l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation des parcours professionnels fait loi. Le seul article censé réduire la précarité concerne la garantie de paiement de la pension alimentaire par la caisse d’allocations familiales.
Dans le chapitre consacré au congé parental, la loi propose de créer les conditions pour que les deux parents puissent prendre part à l’éducation des enfants, en permettant aux pères de prendre les six derniers mois du congé parental d’éducation. C’est une fausse bonne idée qui bute sur le niveau des salaires et le montant de l’allocation. Les conditions de travail, les bas salaires, le coût de l’accueil des enfants sont les raisons qui conduisent 94 % des femmes à prendre ce congé parental. Les six derniers mois seront perdus si le père ne les prend pas et les femmes continueront d’être discriminées en raison de ces temps non travaillés.
Dans le volet consacré aux violences, s’il faut se féliciter du renforcement de l’ordonnance de protection et de l’éviction du conjoint violent, la médiation pénale mettant en présence la victime et l’accusé – dont le retrait avait été obtenu par notre groupe au Sénat – a été réintroduite par l’Assemblée. Il n’y a toujours rien concernant le remboursement à 100 % des soins consécutifs aux violences, rien pour une juridiction spécifique, peu de moyens à la formation de tous les interlocuteurs (police, justice, médecins, etc.). Enfin, rien concernant les femmes migrantes victimes de violences (nous avions proposé, au Sénat, la prolongation automatique de leur titre de séjour, l’Assemblée a supprimé cette disposition). Quant aux associations en charge d’intervenir sur le terrain des violences, leurs subventions diminuent d’année en année.
Enfin, et c’est à déplorer, cette loi ne prévoit pas de campagne publique d’information et de sensibilisation pour faire évoluer les mentalités concernant le partage des tâches.
Beaucoup de bruit pour peu d’avancées dans un moment politique où la croisade des « Pro-Vie », des  anti-mariage pour toutes et tous, des détracteurs de l’ABCD de l’égalité proposé dans les écoles, constitue une grave menace contre les droits des femmes.
La nécessité de voter une loi-cadre contre les violences faites aux femmes reste donc toujours d’actualité. Elle est prête et a été déposée au Sénat comme à l’Assemblée nationale par nos groupes respectifs.

Au travail, malgré les lois, l’égalité salariale n’est toujours pas la règle. Comment y parvenir ?
Et si l’on commençait par la mise en place de  mesures coercitives pour une réelle application des lois existantes ! Qui, rappelons-le, devraient déboucher chaque année sur des négociations favorisant l’égalité professionnelle (embauches, salaires, promotions) au niveau des branches et des entreprises. Nous pourrions punir pénalement les atteintes à l’égalité professionnelle considérées comme une discrimination. Créer dans chaque entreprise une commission avec obligation de résultats, chargée de contrôler l’égalité véritable des femmes. Mettre en place un corps d’inspecteurs pour le suivi de la mise en œuvre de l’égalité. Supprimer le temps de travail partiel contraint.
Nombre de femmes sont cantonnées dans des emplois non reconnus comme ceux des services à la personne, ceux de l’hôtellerie, du commerce. Très faiblement rémunérés, ces emplois sont source de précarité, ce qui permet au patronat d’imposer le travail du dimanche. Il est temps aujourd’hui de reconnaître ces emplois comme socialement utiles avec  un véritable statut et les rémunérations adéquates.
De même, alors qu’on nous vantait le seuil minimal de 24 heures hebdomadaires pour le temps partiel, introduit dans l’ANI du 11 janvier 2013, le gouvernement tente de revenir sur cette mesure au travers du projet de loi sur la formation professionnelle, en retardant son application.

En décembre, une loi pénalisant les clients de prostituées a été adoptée. Pourquoi y êtes-vous favorables ?
Il s’agit plus exactement d’une proposition de loi dont le processus d’adoption n’est pas terminé, puisque le Sénat ne l’a pas encore examinée. Ce projet ne se résume pas à la « pénalisation du client »,  mais il est vrai que les polémiques ont été très fortes autour de cette disposition qui allait reléguer la prostitution dans la clandestinité et les prostituées à des conditions d’exercice dégradées…
Il faut clarifier les choses.
La « pénalisation du client » est un des leviers de lutte contre le système prostitutionnel. Il est à inclure dans un ensemble de mesures articulées qui comprend la suppression du délit de racolage – lequel ne pénalisait que les prostituées –, la lutte contre les réseaux mafieux de trafic d’êtres humains et de proxénétisme, et des mesures visant à l’accompagnement et la réinsertion des prostituées. Pénaliser le client, c’est à la fois assécher le très juteux marché qui nourrit le système prostitutionnel, et responsabiliser ceux qui participent de ce système de domination, où le corps est perçu comme une marchandise et la démarche de l’acheter considérée comme légitime. En Suède, où depuis 1998 le client prostitueur est pénalisé par la loi, les résultats sont sans équivoque : la prostitution recule.
Être communiste, c’est se battre pour une société de liberté, d’égalité, d’émancipation humaine.
C’est pourquoi, nous dénonçons toute idée de réglementarisme de la prostitution, qui ne peut en aucun cas être considérée comme un métier. Mais nous militons pour l’accompagnement des personnes qui se prostituent, afin qu’elles puissent sortir du système prostitueur.
Notre parti s’est distingué comme un parti abolitionniste depuis de nombreuses années. Ainsi en 2002, nous organisions avec les associations un colloque intitulé : «  Agir ensemble contre la traite des personnes et la prostitution » dont les actes ont été publiés sous forme de brochure.
Ne pas remettre en cause la prostitution, c’est rejeter pour des décennies l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le gouvernement, malgré ses promesses, a renoncé à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes. Quelle est votre réaction ?
Pas uniquement sur la PMA ! C’est la loi globale sur la famille qui tombe aux oubliettes ! Il recule devant les « pressions » de quelques centaines de milliers de personnes, tenants d’une vision traditionaliste de la famille. Ce mouvement instrumentalisé par la droite qui, n’ayant rien à dire contre la politique d’austérité du gouvernement, et pour cause, envahit la rue pour structurer un projet de société réactionnaire. Cet énième renoncement du gouvernement est consternant.
Selon le Parti socialiste, la société française ne serait « pas prête ». Mais quand le gouvernement Mauroy a voté l’abolition de la peine de mort en septembre 1981, où en était la société ?
Revenons-en à cette loi qui devait également autoriser la PMA aux couples de femmes. La PMA est une technique de procréation ouverte aux couples infertiles. Les femmes lesbiennes devraient pouvoir y avoir accès. Il faut permettre à toutes les femmes qui le souhaitent d’être mères et protéger sur le plan juridique les enfants issus de ces unions.
Par contre, nous sommes totalement opposés à la gestation pour autrui (GPA) qui institue la marchandisation du corps des femmes, porte ouverte à des trafics honteux. Louer le ventre d’une femme pour répondre à un désir d’avoir un enfant à tout prix, c’est bâtir une société où tout est marchandise, sans aucune limite.
S’il est légitime de vouloir fonder une famille, explorons les pistes qui le permettent dans le respect des enfants et de la dignité de chacune et chacun. Ainsi, l’adoption doit être facilitée pour les couples de même sexe, notamment par le biais d’interventions diplomatiques de la France en direction des pays d’origine de nombreux enfants adoptés.

Au nom de la parité, un scrutin majoritaire binominal a été mis en place pour les élections cantonales. Qu’en pensez-vous ?
En effet, l’Assemblée nationale a adopté la réforme du mode de scrutin pour les élections départementales destinées à garantir la parité. Ainsi, en mars 2015, les conseillers départementaux seront élus au scrutin majoritaire binominal mixte. Rejeté en vain par le Sénat, ce nouveau mode de scrutin nécessite un redécoupage des cantons dont le nombre sera divisé par deux.
Passer par l’élection d’un binôme paritaire, n’est-ce pas un constat d’échec ? Le refus de faire bouger les mentalités sur des stéréotypes qui assignent aux femmes et aux hommes un rôle bien déterminé ? Au fond, c’est admettre que les femmes ne peuvent être élues seules !
Mais ce binôme, c’est aussi une instrumentalisation de la parité pour tuer le pluralisme. Là, où il pouvait y avoir deux élus de sensibilités politiques différentes sur deux cantons distincts, il y aura une femme et un homme de même sensibilité politique.
L’égalité en politique, comme dans tous les domaines, est un combat qu’un gouvernement de gauche devrait avoir l’objectif de mener !
Si des évolutions se sont produites grâce aux lois imposant l’obligation de parité, le monde politique se caractérise toujours et encore par un sexisme ordinaire. Il s’exprime de différentes manières, notamment par la désignation de candidates dans des circonscriptions  « difficiles », voire « ingagnables », mais aussi par le fait qu’elles sont souvent choisies pour la « valeur ajoutée » dont elles sont porteuses (origine, âge, engagement associatif, disponibilité réelle ou supposée…).  Il s’exprime également par une sous représentation des femmes dans bon nombre de fonctions électives, par une majorité de tête de liste masculine, y compris dans nos rangs.
En 2014, 70 ans après la conquête du droit de vote, il est temps de créer les conditions pour que les deux chambres soient paritaires et que les femmes accèdent aux fonctions de maires, de présidentes de région,  ou de conseils généraux, et pas à dose homéopathique !
Partager le pouvoir, c’est accepter le fait que la société est plurielle, sexuée, et qu’aucun individu n’a de prédispositions pour exercer une responsabilité. La société s’est construite à partir de normes masculines, les institutions, les lieux de décisions, le pouvoir ont été réfléchis et organisés à partir de ces normes et donc par les hommes. Partager ce pouvoir, c’est bousculer les mentalités, c’est renverser cet ordre établi. Ce sont toutes les sphères décisionnelles de la société qui sont concernées par la parité et il est positif qu’un des articles de la loi-cadre sur l’égalité Femmes/ Hommes propose la parité dans les conseils d’administration et dans les fédérations sportives, mais il faut aller plus loin.
Nous revendiquons l’égalité politique, ce qui passe notamment par la proportionnelle à toutes les élections et l’instauration d’ un statut de l’élu.

Quelle place l’émancipation des femmes trouve-t-elle dans la construction du projet communiste de nouvelle génération ?
Le projet communiste est aujourd’hui fondé sur l’idée que le féminisme est vecteur de toute émancipation humaine. Une analyse erronée a longtemps prévalu au sein de notre parti : on pensait qu’il fallait d’abord changer la société pour, automatiquement, voir changer les rapports sociaux et évoluer les mentalités. Les luttes féministes étaient déconsidérées, « partielles », « bourgeoises ». C’était un aveuglement.
Le patriarcat précède et traverse les structures de classe. Aujourd’hui, on a pris conscience de l’indispensable articulation des luttes, contre toutes formes de domination, de discrimination, d’exploitation. C’est le combat fondamental du PCF. Mais nous ne sommes pas au bout, ni dans la société, ni dans notre organisation politique. Tout ce que nous venons d’exposer en témoigne.  
L’oppression de classe est sexuée, et les plus exploités sont des femmes, parmi lesquelles de nombreuses immigrées. D’ailleurs ce sont par elles, le plus souvent, que surviennent les transformations, et c’est la remise en cause de leurs droits qui est le prélude à tous les obscurantismes.
La mobilisation des femmes est majeure, le changement à gauche reposant tout à la fois sur la crédibilité des propositions alternatives et la force du rassemblement pour les incarner. Le féminisme conditionne la visée communiste, il en constitue sa colonne vertébrale.  

La Revue du projet, n° 35, mars 2014
 

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L’oppression de classe est sexuée, Laurence Cohen

le 06 March 2014

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