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Le travail ne se réduit pas à l’emploi, Véronique Sandoval

Le travail, son « coût », sa place dans la société, sont au cœur des débats d'actualité. Véronique Sandoval, responsable du secteur Travail au sein du PCF livre son approche de la question. Elle appelle notamment à distinguer travail et emploi pour mieux appréhender les mécanismes contradictoires d'émancipation et d'aliénation qui sont en jeu.

Le gouvernement et François Hollande ne cessent de répéter l'objectif d'inversion de la courbe du chômage. Y croyez-vous ?
Pour pouvoir commencer à y croire, encore faudrait-il un changement complet de politique, car la baisse du pouvoir d'achat liée à la politique fiscale gouvernementale qui frappe les couches moyennes et populaires, la réduction des moyens affectés aux services publics et les cadeaux au patronat sans aucune contrepartie en termes d'emploi, comme le CICE (Crédit impôt compétitivité emploi), ne permettront pas d'inverser la courbe du chômage, ni même de réduire la dette publique. Au contraire.

Quelles sont vos propositions pour développer l’emploi ?
Il faut, tout à la fois, stopper les licenciements boursiers en votant notre proposition de loi et déclarer dès aujourd’hui un moratoire sur les licenciements, accroître le pouvoir des salariés dans l’entreprise, favoriser par le crédit bancaire et l’impôt les entreprises qui créent de l’emploi, et lancer dès aujourd’hui un plan de relance industrielle s’inscrivant dans un nouveau mode de développement répondant aux défis technologiques, sociaux et environnementaux actuels. On pourrait également remplacer utilement les contrats aidés actuels par de véritables embauches dans les services publics, accompagnées d’une politique de formation pour accroître la qualification des salariés concernés.

Quelle différence faites-vous entre emploi et travail ?
Le travail ne se réduit pas à l’emploi, même si dans le langage commun on confond souvent les deux en disant par exemple « j’ai trouvé un travail », au lieu de « j’ai trouvé un emploi ». Et même si, depuis les années 1970 et l’apparition d’un chômage structurel de masse, la question du travail a souvent été réduite à celle de l’emploi et de ses conditions. Si ne pas avoir d’emploi, c’est être privé de salaire, c’est être dépendant des autres, il ne suffit pas d’avoir un emploi et un salaire pour être heureux. À la question « Quel est votre travail ? » on ne peut répondre seulement « j’ai obtenu un CDI ».
Parler de son travail c’est parler de ce qu’on fait, de l’activité à laquelle on consacre la plus grande partie de sa vie éveillée, c’est aussi parler de ce qu’on est, comme de la place qui vous est reconnue dans la société dont on fait partie. Le travail c’est l’activité de création de richesses par laquelle le travailleur cherche à s’émanciper. Et la véritable crise que traverse le travail aujourd’hui et dont les suicides au travail, l’explosion des maladies professionnelles comme de la dépense de médicaments, et notamment de tranquillisants, sont une des manifestations, est le résultat du conflit entre, d’une part, des
aspirations à faire de son travail dans l’entreprise un lieu de créativité, d’épanouissement personnel et d’une vie sociale enrichissante et d’autre part, les pratiques de management actuelles, les priorités que se donnent des directions d’entreprises avides de performances et de résultats financiers.
C’est pourquoi le Parti communiste a décidé de faire du travail, des conditions de travail, de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, des méthodes de management, de la reconnaissance de la qualification, des collectifs de travail et d’une éthique professionnelle, de la question des rapports sociaux au sein des entreprises, de l’égale dignité des êtres humains, des droits des salariés, des questions politiques à mettre dans le débat public, des objets de conquêtes sociales. Car de facteur structurant de la personnalité du travailleur comme des rapports sociaux au sein de la société, le travail devient un facteur déstructurant, partie prenante de la véritable crise de civilisation dans laquelle nous sommes plongés.

Le patronat dénonce un coût du travail trop élevé en France, lequel dégraderait notre compétitivité.
Qu’en est-il selon vous ?

Le discours patronal sur le prétendu « coût du travail » trop élevé fait l’objet d’un matraquage idéologique quotidien, généralisé, dans tous les média, radios, TV, journaux, porté par les autoproclamés « experts », par les partis de droite, mais aussi le Parti socialiste, au point que même certains syndicats le reprennent à leur compte alors que toutes les études statistiques internationales montrent que, compte tenu de la productivité horaire particulièrement élevée des salariés français, le « coût salarial par unité produite », toutes cotisations sociales incluses, n’est pas plus élevé en France qu’en Allemagne, pays qui a vu ses exportations s’accroître fortement, à l’inverse des nôtres.
Il s’agit en réalité pour le MEDEF, en menant cette bataille purement idéologique qui vise à assimiler le travail à un coût alors que seul le travail est créateur de richesses nouvelles, d’organiser la poursuite de la réduction des cotisations patronales dénommées à dessein « charges sociales » et de transférer la charge du financement de la sécurité sociale et des retraites, des entreprises vers les ménages.

La question des prélèvements sociaux sera-t-elle abordée dans les états généraux de la justice fiscale que le PCF propose à la suite de la marche du 1er décembre ?
En théorie, elle ne devrait pas l’être puisque les cotisations sociales payées par les salariés comme par les employeurs, relèvent du « salaire indirect » et de la solidarité entre les travailleurs producteurs des richesses, et non de l’impôt ou de la redistribution nationale des richesses. Mais la bataille menée depuis des années par le patronat pour transférer sur l’impôt le financement de la protection sociale et le projet gouvernemental de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu mettra obligatoirement à l’ordre du jour des états généraux sur la justice fiscale, la question des prélèvements sociaux.

Pour riposter vous menez campagne contre le coût du capital. Qu’entendez-vous par cette expression ?
Il est temps de révéler les prélèvements gigantesques opérés par le capital sur les richesses produites, à l’encontre du développement des investissements et des emplois, notamment au travers des dividendes versés aux actionnaires. En 2012, les 47 plus grosses sociétés françaises cotées en bourse ont versé, sous forme de dividendes à leurs actionnaires, 60 % des bénéfices dégagés de la production, soit 32 milliards sur les 54 milliards de bénéfices nets, alors même qu’elles n’investissent plus et procèdent à des suppressions de poste. Un groupe comme SANOFI par exemple, qui a cette année-là dégagé un résultat net de 4 967 millions d’euros, en a reversé 70 % sous forme de dividendes à ses actionnaires, ce qui représente une somme de plus de 30 000 euros par salarié de l’entreprise. Pourtant il se permet d’annoncer une suppression de 900 à 1 500 postes d’ici 2015. Autre exemple, le groupe ARCELOR MITTAL, qui malgré une perte affichée de 2,8 milliards d’euros cette année-là, a versé 910 millions à ses actionnaires tout en se permettant l’année suivante, un an après la fermeture de Florange en Moselle, de supprimer 1 600 emplois en Belgique. On pourrait aussi citer l’exemple du groupe hôtelier ACCOR ou du fonds d’investissement COLONY Capital. Où donc est le scandale ? Dans les demandes de hausses de salaires et de création d’emplois des salariés ou dans l’accaparement par les actionnaires des richesses créées par le travail des salariés au détriment de l’investissement productif et de l’emploi ? Et pourquoi là où l’État possède plus de 10 % des actions, ne voit-on pas de différence dans le partage des bénéfices ? Comment expliquer qu’EDF la même année ait versé 64 % de son résultat net à ses actionnaires, et ORANGE ait même versé 3 632 millions d’euros, soit 3 fois le montant de son résultat net et l’équivalent de 21 298 euros par salarié de l’entreprise, sans que le représentant de l’État au conseil d’administration ne s’y oppose catégoriquement ? Pourquoi les média et nos fameux « experts » en économie qui tous les jours nous parlent de compétitivité et de « nécessaires économies » pour relancer l’investissement et la croissance ne dénoncent-ils pas ce scandale ?

Comment, à partir de cette contestation, rassembler plus largement contre le système capitaliste dans sa globalité ?
Rassembler les salariés suppose d’abord de lutter contre leur division planifiée par les méthodes de management mises en place depuis une trentaine d’années et qui, au nom de la réponse aux besoins d’autonomie des salariés, ont introduit la concurrence entre salariés au sein même de l’établissement, au sein d’une même équipe de travail, ont laissé se développer et même organisé des oppositions entre CDD et CDI, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, français et immigrés, quitte à nuire à la collaboration nécessaire à l’efficacité de l’organisation du travail, afin de casser tous les collectifs de travail et de laisser le salarié seul face à la direction.
Il faut aussi redonner confiance aux salariés dans leur légitimé à vouloir transformer le monde et dans leur pouvoir de le faire, en luttant contre la vision du travail comme un coût et non comme une ressource, en montrant que l’avenir de notre planète, la réponse aux défis écologiques comme à la montée des inégalités et des conflits ne passe pas par la compétition pour savoir quels grands groupes domineront le monde, mais est entre leurs mains, réside dans la coopération entre travailleurs.
Pour ce faire, il faut faire entrer le débat politique et la démocratie dans l’entreprise ; le débat sur quel projet de développement alternatif pour leur entreprise et la société et la démocratie par le gain de nouveaux droits d’intervention et de décision au sein de l’entreprise, tant sur l’organisation du travail que sur la gestion et la stratégie de l’entreprise.
Il faut naturellement dans le même temps rassembler autour d’objectifs communs, gagnables à court terme, et qui donnent à voir le projet alternatif. Cela passe par la défense et le renforcement de l’activité syndicale au sein de l’entreprise.
 

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Le travail ne se réduit pas à l’emploi, Véronique Sandoval

le 15 January 2014

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