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La République face à l’emprise du monde de l’argent, Bernard Thibault*

Regagner la confiance du citoyen exige de nouveaux droits. Le droit du travail doit prévaloir sur le droit commercial, le droit financier et le droit de la concurrence.

Cela fait déjà très longtemps que domine le sentiment que les affaires du monde, comme celles des pays, sont de plus en plus aux mains du monde des affaires et de l’argent. Ce constat douloureux dans toute démocratie s’est sans conteste élargi et amplifié depuis la nouvelle phase de la crise en 2008. À ce moment-là les États sont réapparus légitimes à intervenir, au prix fort, pour venir au secours d’établissements financiers et d’un capitalisme à la dérive. La facture globale est considérable sur le plan financier bien sûr, mais aussi sur les plans économiques sociaux et démocratiques et ce pour un long terme.

Le diktat de la rentabilité financière
Le citoyen a par exemple découvert que les agences de notations, inconnues auparavant, se voyaient attribuer des pouvoirs que lui-même semblait perdre progressivement : guider les politiques gouvernementales des pays et des institutions internationales. Naturellement à la différence du citoyen soucieux d’une certaine idée de l’intérêt général ces agences agissent et s’expriment d’abord et avant tout à partir du potentiel de rentabilité financière qu’elle décèle dans tel ou tel scénario pour les clients qui les rémunèrent : pour l’essentiel les entreprises, les fonds d’investissement, les banques. La désormais fameuse note 3A a ainsi été commentée quotidiennement pendant des mois et prenait une place tout aussi importante que le bulletin de la météo nationale ! Ces notes, ou leurs menaces ont pu convoquer et fixer l’ordre du jour de conseils de ministres, de sommets européens et mondiaux. L’agenda des réformes comme celle des retraites en 2010 en France en était dépendant, peu importe que des millions de citoyens y fussent opposés. Tout cela ne relève pas que de l’anecdote.
Cela illustre combien la République et donc la démocratie sont sous la pression des firmes. Les entreprises veulent des salariés formés, qualifiés, une recherche publique performante, une sécurité efficace, des équipements publics modernes, mais elles ne veulent payer ni pour leur réalisation ni pour leur entretien, elles n’acceptent pas que leur gestion, centrée sur la rentabilité financière quelles qu’en soient les conséquences pour la collectivité, soit contestée et elles mettent désormais les États en concurrence en revendiquant un droit social à la carte de plus en plus individualisé. En fait, « l’efficacité » des décisions est appréciée d’abord au sens de la compétitivité marchande, elle prend le pas sur toutes les autres considérations. Comme si la condition humaine se mesurait à l’aune des marchés ! Naturellement avec cette grille de lecture le coût du travail est  jugé trop élevé en France… Comme partout ailleurs. La mise en concurrence des salariés à l’échelle internationale par le moins-disant social se généralise sur tous les continents. Ainsi se dessine la perspective redoutable de voir la grande majorité des travailleurs du monde exercer leur métier dans un cadre informel c’est-à-dire sans droit du travail, sans système de protection sociale !

Réaffirmer la prédominance du citoyen
Remédier à cette emprise de la finance nécessite de faire naître de nouvelles démarches politiques au sens plein du terme permettant au citoyen d’avoir prise sur les événements et sur les choix dans les entreprises comme dans la cité au-delà des rendez-vous électoraux réguliers. Le chantier est sans doute considérable et soulève de multiples domaines où des transformations doivent se construire en conjuguant la dimension nationale et internationale. Il s’agit tout simplement de réaffirmer la prédominance du citoyen dans la république où la démocratie est consolidée par des droits inaliénables pour tous les salariés, ce qui est loin d’être le cas en France, pourtant État de droit. Or Il n’y a pas de liberté ou de réelle démocratie sans droits sociaux et économiques plus élaborés.
Les États et les institutions internationales notamment le FMI, la Banque mondiale et l’OMC doivent intégrer les droits fondamentaux des travailleurs définis par l’Organisation internationale du travail. Ces droits doivent devenir des normes non négociables au même titre que les normes techniques, environnementales et de santé. Le droit du travail doit prévaloir sur le droit commercial, le droit financier et le droit de la concurrence. La République doit en être le garant et l’Europe un moteur par un contrat social européen revendiqué par le mouvement syndical du continent. Droit à un emploi, à la non-discrimination, à l’éducation et la formation professionnelle, à la liberté syndicale et à la négociation collective, à la protection sociale, à la santé, à la retraite, au logement, aux transports, aux services publics…

Un nouveau statut du travail salarié
La République peut donner corps à un nouveau statut du travail salarié dont la Sécurité sociale professionnelle serait un des piliers. La démocratie ne peut pas s’arrêter à la porte des entreprises. Le droit d’intervenir dans la gestion de l’entreprise où le salarié ne peut être cantonné au rôle d’exécutant est primordial alors que de nouveaux enjeux de société sont soulevés liés à l’évolution des connaissances et des processus de production. Plus l’État apparaît se désintéresser de la vie concrète des citoyens en ignorant ou refusant de voir ce qui se passe réellement dans les entreprises plus il les rend indifférents voire hostiles à la vie politique. Ce «  désintéressement » est naturellement souhaité par ceux-là mêmes qui prônent un effacement de l’État dans un rôle de « pompier social » ou de béquille à la sauvegarde de leurs propres intérêts. La question du financement étant cruciale, il devient incontournable de se doter de nouveaux outils publics pour porter un autre type de croissance au service du plein-emploi solidaire et du développement humain durable. Ceci pourrait s’illustrer, entre autres, par l’instauration d’un pôle financier public, une lutte acharnée pour l’éradication des paradis fiscaux et de la fraude fiscale. Cela doit prendre corps autour de services publics rénovés dans leurs périmètres, leurs champs d’intervention, leurs critères de gestion et les modalités par lesquelles sont définis leurs objectifs au service de l’intérêt général. Là aussi la place du citoyen et de ses représentants est essentielle pour se substituer aux innombrables commissions, agences ou experts qui dans de trop nombreux cas se voient confier ou s’attribuent des prérogatives en marge d’un véritable contrôle démocratique. Extraire la République de l’emprise du monde de l’argent est une condition indispensable à la construction d’une société meilleure.  n

*Bernard Thibault est syndicaliste. Il a été secrétaire général de la CGT (de 1999 à 2013).
 

La Revue du projet, n°30-31, octobre-novembre 2013

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La République face à l’emprise du monde de l’argent, Bernard Thibault*

le 09 October 2013

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