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La connaissance n'est pas un objet consommable, Anne Mesliand

Conseillère régionale en Paca, enseignante à Aix-en-Provence, Anne Mesliand est en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche au PCF après avoir été une dirigeante syndicale nationale dans ce secteur. Elle réagit à l'actualité du monde universitaire et scientifique et expose la place que les communistes donnent à la connaissance dans leur projet de transformation de la société.

La loi Fioraso a été adoptée en dépit du vote contre des parlementaires communistes et du Front de gauche. En quoi la jugez-vous insatisfaisante ?
Une loi était attendue par la communauté scientifique et universitaire après dix ans de politiques libérales qui l'ont plongée dans des difficultés très importantes et pas seulement sur le plan financier. Mais la loi présentée par le gouvernement socialiste ne répond ni aux urgences budgétaires des universités, notamment celles placées sous tutelle des recteurs, ni aux attentes démocratiques du monde scientifique et universitaire en matière de collégialité, d'espace d'indépendance…
La loi défendue par Geneviève Fioraso n'est pas en rupture avec les textes antérieurs. À certains égards, elle les poursuit. Les parlementaires communistes au Sénat comme à l'Assemblée nationale se sont engagés dans le débat législatif avec la volonté de faire entendre la voix des universitaires, des chercheurs, des syndicats du secteur, avec des amendements précis. Au bout du processus, aucune inflexion n'a été consentie comme l'a déploré Marie-George Buffet. Je dirais même que des amendements d'autres groupes – acceptés quant à eux – sont venus aggraver le texte.
Les missions de l'université sont de plus en plus soumises au principe de compétitivité et la production de connaissance contrainte par les exigences du capitalisme financier. Cette loi ne le remet pas en cause. Elle ne contient pas non plus d'efforts suffisants pour la démocratisation de l'enseignement supérieur dans une perspective de lutte contre la reproduction des inégalités sociales.
Quant à la démocratie au sein de l'université, après la loi LRU qui avait été très critiquée notamment sur ce point, la loi Fioraso revient sur le mode de scrutin pour l'élection des conseils sans pour autant rétablir la proportionnelle intégrale. Elle instaure la parité ce qui, en soi, est une bonne chose à condition de prendre en compte la question les inégalités professionnelles pour la résoudre. Selon les disciplines, les femmes ne représentent qu’entre 15 et 20 % des professeurs d’université. À peine autant que dans l'armée !

La possibilité d'enseigner dans une langue étrangère – dans les faits en anglais – contenue dans la loi a fait couler beaucoup d'encre. Quelle est votre position sur le sujet ?
Si certains ont focalisé le débat sur cette question dans le but d'en faire un écran de fumée, je dois dire que la levée de boucliers est tout à fait fondée. Sous prétexte « d'attractivité » internationale, la loi autorise les cours en langues étrangères par des enseignants qui ne sont pas des professeurs invités locuteurs de ces langues mais des enseignants français. Quelle que soit la nécessité de coopération internationale, il faut absolument permettre à toutes les langues de penser la science, de poser des cadres conceptuels, de produire des savoirs en leur sein. Une langue qui ne se confronterait plus à la science s'appauvrirait considérablement.
Cette disposition de la loi encourage la mainmise déjà existante de l'anglais sur les publications scientifiques. Elle pourrait aussi devenir un cheval de Troie des organismes de formation privés nord-américains qui, à l'heure de l'ouverture des négociations sur le marché transatlantique, regardent avec gourmandise ce qu'ils considèrent comme le « marché » de la formation.

Et les étudiants dans tout ça ? La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche annonce que sa loi comporte des dispositions de nature à améliorer leur réussite. Qu'en dites-vous ?
Les étudiants sont dans une situation très tendue. L'UEC a déjà indiqué ce qu'on pouvait craindre pour cette rentrée – dans un contexte d'approfondissement de la crise – en termes d'appauvrissement, de difficultés d'accès aux soins mais aussi à la vie culturelle pour les étudiants condamnés à trouver un emploi alimentaire. De ce point de vue, rien ne vient en matière de moyens pour permettre à tous d'être pleinement étudiants. La perpétuation des injustices, l'échec à cause de la galère sont inacceptables. L'insuffisance des moyens des universités elles-mêmes porte une part de responsabilité dans l'échec des étudiants qui pâtissent de cours aux effectifs surchargés. Le SNESUP chiffre à plus de 5 000 le nombre de postes manquants, c'est dire le chemin à parcourir. Le PCF et l'UEC travaillent ensemble sur les questions étudiantes dans le respect de l'indépendance de nos organisations et avec le souci de remplir chacun nos missions particulières. C'est dans cet esprit qu'avec Hugo Pompougnac, secrétaire national de l'UEC, nous avons co-animé un atelier à l'université d'été des Karrellis.

Résorber l'échec à l'université peut-il se résumer à une question de moyens ?
D'abord, au-delà des lieux communs sur l'échec à l'université, il faut rappeler qu'il en sort des personnes de grand talent, des docteurs, des chercheurs, des médecins… Ensuite, l'échec existe, il est toujours trop important, on ne saurait le nier. Sans doute faut-il réfléchir à la question de la qualification dans la formation générale. Les savoirs fondamentaux et technologiques sont beaucoup trop disjoints. Il faut permettre aux étudiants lorsqu'ils s'engagent dans une filière, d'avoir une vision claire de là où elle va les mener en termes de métier. Je ne parle pas de professionnalisation tant ce terme a été dévoyé par les libéraux. Il faut précisément des diplômes nationaux qualifiants face à l'offensive du Medef à l'extérieur, mais aussi à l’intérieur de l'université, qui tente de transformer la notion de qualification en notion de compétence. Cela conduit à une fragmentation des formations, à leur dévalorisation et donc à une déqualification des travailleurs. Il faut au contraire sécuriser les parcours avec un bagage initial garanti en matière de savoirs et de capacités à évoluer dans les savoirs et la connaissance. C'est un rôle essentiel pour l'université.
Quel est votre état d'esprit à l'approche de la rentrée universitaire après l'adoption de cette loi ?
Les problèmes budgétaires quoi qu'en dise la ministre sont largement devant nous. Les questions d'emploi vont devenir absolument incontournables. Dans les organismes de recherches publics, plus d'un tiers des effectifs est précaire. La loi va donner lieu à toute une série de décrets et il y aura des batailles à mener. Les communistes sont prêts à les mener à travers leur engagement syndical et en tant que tels.
À l'université comme ailleurs, il nous faut démontrer ce qui fait obstacle à une véritable politique de gauche et de changement. Il nous faut révéler les liens entre les traités européens et les politiques d'austérité à l'œuvre. Il nous faut dénoncer la recherche effrénée du profit qui soumet la science et conduit à tourner le dos à la recherche fondamentale dont on sait qu'elle est désintéressée. Il nous faut faire le lien entre la désindustrialisation du pays et les difficultés de la recherche, publique et privée. Il nous faut initier des convergences en montrant par exemple la logique qui unit la volonté de fusion autoritaire des universités dans de grands ensembles et celle de mettre en concurrence les territoires. Les batailles de résistance sont importantes et les communistes y prennent toute leur place mais nous avons la responsabilité, par ce travail politique, idéologique, d'ouvrir des perspectives de changement et de conquête.

 

 

Ètudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en 2010-2011

L'accélération des avancées scientifiques et leurs implications dans la vie quotidienne posent avec de plus en plus de force la question des rapports entre science et société. Quelle est votre approche ?
Le développement des connaissances et surtout leur appropriation collective est incontestablement un des plus grands défis de notre temps. Un défi pour répondre aux questions qui se posent à l'humanité aux plans environnemental, énergétique, sanitaire, alimentaire, démographique… Mais aussi un défi démocratique pour ouvrir une voie vers la démocratie réelle. Celle-ci implique que les citoyens aient accès à l'ensemble des moyens culturels et intellectuels pour délibérer et évaluer la portée d'une décision. Nous voulons rompre avec la logique actuelle qui est celle des « experts ». Non pas qu'il n'y ait pas d'experts mais parce que la logique dominante repose sur la dénégation des capacités de comprendre des citoyens, là où au contraire, il faut une appropriation collective, une mise en commun.
Les scientifiques revendiquent à juste titre l'indépendance de la recherche et pour le PCF garantir l’indépendance intellectuelle des travailleurs scientifiques est un principe fondamental. Dans le même temps les citoyens doivent pouvoir se prononcer sur le développement de la recherche, c'est pourquoi nous proposons de créer des forums citoyens de la science, de la technologie et de la culture. Dotés de pouvoir d’enquête, indépendants de tout pouvoir politique ou pression économique, ils débattraient publiquement et rapporteraient tous les ans devant l’Assemblée nationale.  Bien sûr cela suppose de donner aux chercheurs du temps et des moyens pour la diffusion de leurs résultats auprès du public et aussi de transformer quelque peu notre système médiatique !

Les tenants du capitalisme mondialisé ont un projet qui incorpore l'enseignement supérieur et la recherche : ils lui ont donné le nom « d'économie de la connaissance ». Quelle place les communistes leur donnent-ils dans leur projet de transformation de la société ?
La stratégie de Lisbonne vise à instrumentaliser la production de savoirs pour maximiser les profits – de plus en plus déconnectés de l'économie réelle. Cet objectif est, bien entendu, à l'opposé de notre conception du développement des savoirs, scientifiques mais aussi artistiques, sensibles. La recherche est profondément humaine. Elle repose sur cette pulsion de connaissance de l'humanité qui n'est jamais satisfaite de ce qu'elle sait. Nous l'affirmons : à l'opposé des logiques de marchandisation, la connaissance n'est pas un objet consommable. C'est le contraire : en la partageant on la multiplie. Elle est foncièrement émancipatrice car en permettant de comprendre le monde, elle permet de le transformer, d'en inventer un nouveau. Elle participe donc du mouvement de transformation sociale auquel nous fixons une visée révolutionnaire de dépassement du capitalisme. Marx considérait que la société communiste est celle où l'on pourra travailler quatre heures par jour et choisir d'aller pêcher le matin et de faire de la philosophie le soir. Pour les communistes, la connaissance, sa production, son appropriation ont leur place au cœur de la vie sociale mais aussi individuelle dans ce qu'elle peut avoir de plus intime, au même titre que les autres plaisirs et occupations de l'existence.

 

Entretien réalisé par Léo Purguette

La Revue du projet, n° 29, septembre 2013

 

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le 07 September 2013

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