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La soupe, Guillaume Quashie-Vauclin

«Mange ta soupe, ça fait grandir ! » Amer et commun souvenir de cuillerées vertes… mais, « pour maman », on en reprend bien une cuiller et puis, après tout, peut-être que ça fait vraiment grandir…
En politique, en revanche, une chose est sûre, la soupe ne fait grandir personne : ni adhérent, ni parti politique, ni mouvement populaire. On nous sert pourtant à tant de repas cette « zuppa eclectica » brocardée par le philosophe brésilien Carlos Nelson Coutinho qu’aimait à citer le grand historien Eric Hobsbawm. Vous savez, cette soupe concoctée par maints mitrons et marmitons médiatiques et politiques où ils font surnager comme carottes et navets, des petits dés de pensées contradictoires : une louche d’Edgar Morin, une autre d’Alain Touraine, un quartier de Jacques Julliard, un zeste de Michel Onfray voire, pour les amateurs d’épices, une pincée de Slavoj Žižek. Qu’importe la différence de niveau d’élaboration des pensées, la soupe éclectique mélange tout : polygraphe médiocre, charlatan patenté, intellectuel honnête, penseur majeur. Qu’importe même la teneur des pensées conviées comme éléments d’assaisonnement : libérales, antilibérales, fondamentalistes, laïcs, marxistes – marxistes ? point trop n’en faut tout de même, ça irrite les palais sensibles…
De toute façon, on ne les sollicite pas pour ce qu’ils pensent mais pour leur statut de vedette. C’est bien sûr de la pure, simple et parfaitement irrespectueuse instrumentalisation ; pourtant, cette diversité de pacotille donne à celui qui la suscite un sourire satisfait : on est ouvert quand même !
Mais, car il y a un « mais ». Est-il certain que le surhumain collectif communiste, avant-garde cosmique, ne verse pas lui aussi, à l’occasion, dans ce travers de l’époque ? D’autant que nous y sommes bien plus poussés que d’autres, sommés de répondre aux sanglantes accusations : « totalitarisme », « sectarisme ». De fait, ne déléguons-nous jamais et sur aucun sujet la réflexion à d’autres, quand bien même ces autres ne partagent pas grand-chose avec nous, notamment sur l’essentiel ? Disons-le tout net et ne semblons accuser nul autre que nous-mêmes : La Revue du projet elle-même donne parfois un peu dans la soupe éclectique, malgré que nous en ayons. C’est aussi qu’il est difficile d’affronter de manière cohérente toutes les grandes questions du temps. Alors, parfois, par facilité aussi peut-être, nous déléguons.
Mais après tout, est-ce si grave ? S’ouvrir à d’autres pensées, ce n’est pas grave, c’est vital ! Mais déléguer, c’est autre chose : c’est létal… Outre l’irrespect qu’il y a à demander à quelqu’un son avis et à n’en tenir par la suite aucun compte, à n’engager aucun échange suivi, il y a problème pour notre écho politique lui-même et la puissance conséquente du mouvement populaire.
C’est que la soupe éclectique, en nous concentrant sur ses pâles poireaux, nous détourne d’un travail sérieux de mise en cohérence et d’approfondissement de notre projet. Un tel pense ceci et c’est intéressant ; un autre pense cela et c’est intéressant ; et nous, que pensons-nous ? que proposons-nous ? Eh bien, que ceci et cela, c’est intéressant…
Et pourtant, quel est le problème du temps ? C’est que le capitalisme détruit la planète et l’humanité. C’est que nos propositions pour sortir de l’impasse, quoique majoritaires dans les têtes bien souvent quand elles sont prises une à une, peinent encore à former un bloc qui paraisse proposer un chemin alternatif crédible : « ce serait bien… mais ce n’est pas possible ». Or, qu’est-ce qui fait la crédibilité d’un projet ? Qu’est-ce qui emporte la conviction ? Qu’est-ce qui met en mouvement ? C’est assurément, pour une part, la cohérence qui propose nettement un chemin et non dix esquisses contradictoires sur chaque question. Voyez ce que fait la droite qui, quoiqu’elle soit idéologiquement dans une difficulté historique, emploie toute son énergie organisée à remonter la pente en opposant un projet cohérent, de sa vision de l’humanité égoïste au fonctionnement économique, environnemental et social tout entier guidé par la visée du profit individuel, moteur et but exclusif.
Bien sûr, je noircis le tableau et les amateurs de citations wikipedia auront beau jeu de dire avec le Talleyrand internaute : « tout ce qui est excessif est insignifiant », etc., etc. Reste que marier ouverture et construction collective d’un projet communiste global et cohérent est un impératif de notre temps et un impératif complexe. Se délivrer complètement des ornières de « l’humanisme éclectique » à la Garaudy (selon les mots de Lucien Sève) demande bien de la sueur. C’est le chemin qu’ouvrent les assises citoyennes de cette mi-juin. C’est le chemin que, mieux encore que par le passé, il va nous falloir essayer de tracer avec vous avec La Revue du projet. Donner à lire plus et mieux de la complexité et de la finesse de nos positions. Donner à lire clairement les éléments intelligents de débat lorsque des désaccords nous traversent. Trouver les voies d’un dialogue poursuivi avec ceux qui, hors de nos rangs, ont des choses à dire que nous devons entendre. Voilà quels pourraient être les axes de notre méthode. Voilà la roborative viande qu’on vise, garantie sans soupe ! Alors, bon été, et à vos barbecues… pardon, à vos abonnements !

Note aux amis végétariens : viande, c’est vivanda, c’est-à-dire, ce qu’il faut pour vivre ; c’est donc à entendre dans un sens plus large que la chair animale. Vous êtes donc vous aussi invités !

La Revue du projet, n° 28, juin 2013
 

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La soupe, Guillaume Quashie-Vauclin

le 12 juin 2013

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