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Entreprises en difficulté : la question des nationalisations temporaires, Jacques Rigaudiat*

Une nationalisation temporaire des entreprises en difficulté doit pouvoir être décidée, dès lors qu’un redressement durable est possible et qu’il nécessite une intervention financière des pouvoirs publics.

F lorange, Heuliez, Petroplus, PSA et tant d’autres… Des entreprises, certaines en difficulté, d’autres pas, mais des fermetures à chaque fois et des licenciements au total par milliers. Pourtant, le 5 janvier 2011, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait déclaré aux salariés de Petroplus : « Où est l’État ? Où est le gouvernement ? ». Rompant ainsi avec les propos de Lionel Jospin (« l’État ne peut pas tout »), il laissait ainsi augurer d’un changement radical de politique sur ce terrain. Aujourd’hui, deux années après ces propos de campagne, une année après son arrivée à l’Élysée, force est de constater que tout reste à faire.

La désindustrialisation, un désastre économique et social
En effet, sur ce terrain, celui des entreprises en difficulté, que celles-ci soient dues à l’incurie des dirigeants, à une stratégie hasardeuse, ou, plus simplement, à une réalité économique difficile face à laquelle il suffirait d’un coup de pouce – ou de main – pour passer une mauvaise passe passagère, rien de tangible n’a été fait. Rien.
L’automne dernier, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, avait pourtant parlé d’une nationalisation temporaire à propos du site de Florange. Un membre du gouvernement avait ainsi rouvert le débat. Mais bien vite, le couvercle avait été remis sur le sujet et le ministre réduit au silence. Aujourd’hui, Florange ferme et il n’est plus, plus du tout, question qu’une nationalisation du site permette le maintien d’une activité, dont on sait pourtant combien, s’agissant de la production d’aciers de très haute qualité, elle est nécessaire. Résultat : un gâchis humain – le licenciement de centaines de travailleurs très qualifiés –, économique – une filière qui disparaît – et comme l’acier est indispensable, un déséquilibre accru du commerce extérieur de la France. Mittal peut ainsi, au mépris de tous ses engagements, profiter du dumping social qu’il est ainsi autorisé à pratiquer, en délocalisant sa production vers d’autres sites plus rentables pour lui.
Après 18 mois de liquidation judiciaire et l’espoir d’un repreneur pour Petroplus, le tribunal de commerce de Rouen vient de trancher et a refusé les deux propositions de reprise. Par les voix conjointes de Michel Sapin et d’Arnaud Montebourg, le gouvernement en « prend acte » et affirme que « rien n’aurait été pire qu’une solution précaire, qui aurait finalement nui aux salariés et à leurs familles ». Résultat : 648 licenciements, une raffinerie de plus qui ferme, alors que la France, certes en surcapacité sur le super, doit importer du diesel, essentiellement de Russie. Un coup de pouce financier des pouvoirs publics pour la transformer aurait permis d’en assurer la viabilité…
Il faut prendre la pleine mesure du désastre économique et social que représente la désindustrialisation de notre pays. L’industrie, c’était un  quart de notre production et de notre richesse en 1980 ; c’est un huitième  aujourd’hui ! C’étaient 5,7 millions d’emplois en 1974 ; moins de 3,3 millions aujourd’hui. Une saignée de 2,4 millions d’emplois en l’espace de moins de quarante ans ! Aujourd’hui encore celle-ci se poursuit : 30 000 emplois de moins dans l’industrie pour la seule année 2012, et des perspectives 2013 qui sont plus sombres, pour cause de récession européenne généralisée… Cela doit être impérativement stoppé.

Pourquoi des nationalisations temporaires ?
Notre programme, L’humain d’abord, parle de la maîtrise publique du secteur de l’énergie, des transports publics ou de l’eau et, bien sûr, du pôle public financier et de la nationalisation de banques et de compagnies d’assurances. Mais il ne traite pas directement du soutien à un tissu industriel aujourd’hui en pleine déroute et abandonné par ce gouvernement, tel un chien crevé, au fil de la « concurrence libre et non faussée ». L’État se doit donc de tout mettre en œuvre pour maintenir l’activité industrielle existante et l’emploi. Il doit mettre l’argent du financement public aussi au service du maintien de filières industrielles viables et de la sécurisation de leurs emplois. De plus, comme l’indique L’humain d’abord, les salariés et leurs représentants doivent, à cet égard, pouvoir disposer d’un droit de saisine. C’est pourquoi une nationalisation temporaire des entreprises en difficulté doit pouvoir être décidée, dès lors qu’un redressement durable apparaît possible et qu’il nécessite une intervention financière des pouvoirs publics.

Nationalisation, parce que cette intervention n’est pas analogue à celle d’une banque privée ; il ne s’agit pas, en effet, de prêter pour réaliser un profit, fût-il au bénéfice de la puissance publique. Il s’agit de redresser, de consolider et d’accompagner un processus. Il faut donc un soutien public à l’investissement, comme à la formation et à la requalification des salariés. C’est pourquoi cette intervention publique doit se traduire par une prise de participation stratégique (minoritaire de blocage ou majoritaire) au capital et ouvrir un droit de regard particulier des salariés sur la gestion.
Temporaire, parce qu’il ne s’agit ici, ni de biens communs – tels l’eau, l’énergie ou les réseaux de transports publics –, ni de services collectifs, mais de production de biens marchands. Les pouvoirs publics, État ou collectivités territoriales, n’ont pas vocation à être durablement impliqués dans la gestion de ces entreprises. Dès lors que l’activité est redevenue viable, la participation publique cesse d’être nécessaire et peut être retirée. Mais il ne s’agit bien sûr pas d’ainsi « socialiser les pertes et de privatiser les profits », c’est pourquoi ce retrait doit être conditionnel et s’accompagner de contreparties de la part du repreneur : droit des salariés sur la gestion, permanence et qualité des emplois, politique de formation…
Aujourd’hui, en dépit des promesses de campagne, rien n’est prévu pour cela dans les dispositifs existants. Le Programme des investissements d’avenir investit dans l’amont de filières qui restent à construire ; le Fonds stratégique d’investissement – particulièrement mal nommé – est tout sauf stratégique car ne voulant pas aller au-delà de simples participations minoritaires et refusant de s’impliquer dans la gestion. Outre qu’elle est ridiculement sous-dotée financièrement au regard des besoins, ce n’est pas non plus la Banque nationale d’investissement qui vient d’être créée qui comblera cette absence, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ayant déclaré qu’elle n’avait « pas vocation à sauver les canards boiteux ».
Aucun dispositif donc n’existe, ni n’est prévu, pour accompagner des processus de redressement économique d’entreprises industrielles en difficulté et permettre d’éviter les licenciements. Voilà pourquoi il est nécessaire que les moyens du pôle public financier que nous voulons construire soient mis au service de la préservation d’un tissu industriel qui se défait. Voilà pourquoi des nationalisations temporaires sont indispensables.

*Jacques Rigaudiat est économiste. Il est membre du bureau de la Fondation Copernic.

La Revue du projet, n° 27, mai 2013
 

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le 08 mai 2013

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