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Pour un service public national décentralisé de l’eau ! Karina Kellner*

En matière de politique de l’eau et de l’assainissement, nous sommes face à un enjeu immense : la conquête d’un véritable droit à l’eau et l’interrogation du système actuel de financement.

Quand on aborde la réappropriation sociale des enjeux de l’eau, il est important de prendre le sujet dans sa globalité car au-delà de la gestion du service par les collectivités compétentes il existe un champ de revendication et de conquête beaucoup plus grand.

Une inégalité sociale et territoriale
Dans un contexte d’aggravation des inégalités sociales, l’accès à l’eau ne fait pas exception, au contraire. La moyenne du prix de l’eau en France est basse et la facture pèse 0,8 % du budget des ménages. Pour autant tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. L’Observatoire des usagers de l’assainissement en Île de France (OBUSASS) a ainsi montré que les familles vivant des minima sociaux voient le poids de leur charge d’eau prendre des proportions inquiétantes. À l’échelle internationale un seuil de 3 % du budget des familles consacré à l’eau est communément admis. Ce seuil est largement dépassé pour une partie grandissante de la population qui se porte à deux millions selon les derniers chiffres du Comité d’analyse stratégique. Si l’on prend en compte les allocataires du RSA, on s’aperçoit qu’une grande partie d’entre eux voit leur budget consacré à l’eau dépasser allègrement ce seuil de 3 %. Si l’on rajoute à cela les dépenses d’énergie, on comprend vite que c’est tout l’équilibre de l’accès aux biens les plus fondamentaux que sont l’eau, l’énergie, le logement, qui est en jeu.
Surtout qu’à cette inégalité sociale liée au prix de l’eau s’y ajoute une deuxième : celle liée au territoire. En effet la même étude a montré que le prix de l’eau peut parfois doubler, voire tripler d’un territoire à l’autre. Les raisons de ces différences sont nombreuses – typologie du territoire, état des réseaux, état de la ressource, mode de gestion… – mais, dans tous les cas elles créent une inégalité territoriale qui n’est pas négligeable, d’autant plus pour les familles les plus précaires. Comme la tendance du prix de l’eau n’est pas à la baisse et que le niveau des minima n’est pas à la hausse, il est évident que les inégalités en matière d’accès à l’eau s’aggravent et représentent un enjeu fondamental.

Concrétiser le droit à l’eau
Il est donc important de promouvoir et concrétiser le droit à l’eau pour toutes et tous. Si le principe est arrêté dans la loi, sa mise en œuvre reste difficile. Bien entendu, les opérateurs d’eau et d’assainissement agissent sur le problème des impayés d’eau. Des mesures dites curatives, qui arrivent une fois l’impayé constaté, existent par l’intermédiaire des « chèques eau » ou grâce à la possibilité donnée aux services d’eau et d’assainissement d’abonder le volet eau des fonds départementaux de solidarité pour le logement (FSL). Mais ces mesures ne constituent pas un véritable droit, universel et automatique.
Pour répondre à cette nécessité de créer un nouveau droit social à l’eau, une idée, reprise par une proposition de loi des parlementaires communistes en 2010 – qui fut d’ailleurs largement reprise et débattue par les principaux acteurs de l’eau – consisterait en une allocation versée par les CAF et déclenchée pour toute famille consacrant plus de 3 % de son budget à sa facture d’eau afin de maintenir ce seuil pour tous les usagers. Tenant compte du prix réel de l’eau et de volumes consommés de référence, cette allocation, calquée sur l’APL, permettrait de résorber la double inégalité sociale et territoriale liée au prix de l’eau. Concrétiser ainsi le droit à l’eau pour tous demande bien sûr de légiférer mais surtout d’imaginer un mode de financement ne reposant pas obligatoirement sur le seul usager.
Car c’est l’autre enjeu fort d’une réappropriation des enjeux de l’eau : imaginer un autre mode de financement des services d’eau et d’assainissement que l’actuel qui repose à plus de 90 % sur la facture acquittée par l’usager. Ce modèle est actuellement questionné car les services font face à une baisse des volumes consommés et donc facturés alors même que les coûts inhérents au respect des normes (pour l’épuration des eaux usées notamment) et à l’entretien des réseaux augmentent. Cette équation impossible met en lumière le fait que l’usager est le principal financeur de l’eau par le biais de sa facture, et ce, aussi bien pour payer le service que la préservation et la gestion du milieu aquatique.
La perspective d’un service public national décentralisé de l’eau et de l’assainissement s’appuie sur ces constats et ces réflexions. Il est l’outil d’une maîtrise publique des enjeux de l’eau qui doit permettre à terme d’envisager une réappropriation des outils de recherche, des filières de formation et des brevets technologiques nécessaires pour répondre aux défis quotidiens et à venir de production d’eau potable, de transport et d’épuration des eaux usées. C’est ce service public national qui doit s’appuyer sur des régies publiques partout où cela est possible à l’échelle des collectivités et qui doit faire vivre une nouvelle solidarité nationale. n

*Karina Kellner est maire adjointe (PCF) de Stains. Elle est membre du secrétariat de l’Association nationale des élus communistes et républicains (ANECR).

La Revue du projet, n° 27, mai 2013
 

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Pour un service public national décentralisé de l’eau ! Karina Kellner*

le 08 mai 2013

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