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Regard syndical sur l’histoire des nationalisations, Alain Gautheron*

Les nationalisations ont besoin de la mobilisation du peuple sur le terrain économique, idéologique, politique afin de tenir leur meilleur rôle.

Automne 2012, un ministre évoque l’éventualité d’une nationalisation temporaire afin de sauvegarder un site industriel. Aussitôt des voix s’élèvent et déversent en boucle un florilège. Extraits : « nationalisations sanctions de 1945, idéologiques de 82, ce n’est ni de droite, ni de gauche, c’était valable hier mais pas aujourd’hui dans une économie mondiale et concurrentielle ».

Face à cet appel à la résignation, forts de notre expérience du combat pour l’émancipation des travailleurs, mieux vaut savoir d’où l’on vient afin de comprendre le présent et envisager les moyens utiles à la construction d’un avenir libéré de toutes les formes de domination et d’exploitation.

Débats dans le mouvement ouvrier
Dès le XIXe siècle, au sein du mouvement ouvrier français, un débat oppose deux points de vue qui marquent durablement la démarche de leurs partisans. Les uns présentent les services publics comme un substitut à la révolution. Les autres considèrent que les services publics renforcent l’état gendarme au service des possédants. Ils subordonnent leur instauration au succès de la révolution. Dans le bouillonnement des mobilisations de masse du Front populaire, le PCF, tout en maintenant le cap sur son objectif de transformation sociale, prévoit des nationalisations dans une perspective intermédiaire, celle de la lutte antifasciste.
En 1945 la CGT contribue au programme du Conseil national de la Résistance (CNR) et s’investit pour sa réalisation. Il prévoit la nationalisation des secteurs clés de l’économie. Elle sait que la satisfaction des revendications des travailleurs passe par la reconstruction dans l’indépendance. Ce sont les combats de cette époque qui forgent les caractéristiques du service public à la française : la propriété de l’État, un statut progressiste pour les salariés, une mission publique.

Le patronat, coupable des retards pris dans la modernisation de l’outil de production bien avant la guerre, compromis par la collaboration, face à une classe ouvrière renforcée et mobilisée, n’a pas les moyens de s’y opposer de front. Il s’organise pour reconquérir, pas à pas, le terrain perdu. Il tente de limiter la portée des nationalisations, place ses commis dans les directions, dénonce la spoliation des petits porteurs, la bureaucratisation…Le patronat ne peut que critiquer les nationalisations car elles peuvent mettre en évidence un mode de gestion qui, lui, pourrait répondre aux besoins de la population. À l’inverse, elles le dispensent d’investissements lourds et coûteux, peu susceptibles d’engendrer sur le court terme un taux de profit motivant !

Des nationalisations mises au service du profit
« Pouvoir des monopoles », c’est ainsi que la CGT qualifie le pouvoir gaulliste. Elle décrypte et combat les processus qu’il élabore pour mettre les nationalisations au service du profit : tarifs préférentiels, marchés publics, financement…
Elle milite pour des solutions durables, se prononce pour l’union des forces démocratiques autour d’un programme reprenant notamment ses propositions d’extension et de démocratisation des nationalisations.

En 1985, la CGT dresse le bilan des nationalisations de 1981-1982. Elle constate une absence de changement fondamental dans leur gestion, la suppression de 104 000 emplois en France, un redéploiement vers l’étranger, en clair des restructurations destinées à les rendre plus profitables !

Pourtant elle n’avait pas ménagé ses efforts pour accélérer leur démocratisation, élaborer de nouveaux critères de gestion afin de répondre d’abord aux besoins du plus grand nombre. C’est vrai que la mobilisation, plombée en partie par des illusions déçues, n’a pas atteint alors le niveau nécessaire.

Un besoin de service public
Suit une période où la droite et la gauche plurielle égarée dans « la respiration du service public » et « la mixité du capital » rivalisent dans le nombre de privatisations. Cela n’a pas emporté le besoin de service public. La moindre catastrophe naturelle, économique, financière le fait revenir. Si certains demandent égalité, solidarité, sécurité d’autres rêvent de lui transférer des pertes avant le retour de la privatisation des bénéfices.

Nous l’avons vu, les nationalisations ont besoin de la mobilisation du peuple sur le terrain économique, idéologique, politique afin de tenir leur meilleur rôle. Dans les conditions d’aujourd’hui, à nous de construire cette intervention pour les défendre, les étendre, en faire des leviers durables de notre émancipation.
En Europe et dans le monde, les peuples ont les mêmes besoins que nous, quel espace possible de coopération !  n

*Alain Gautheron est syndicaliste. Il est membre de l’Institut d’histoire sociale de la CGT.

La Revue du projet, n° 27, mai 2013
 

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Regard syndical sur l’histoire des nationalisations, Alain Gautheron*

le 07 May 2013

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