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Le mouvement 15-M en Espagne, Armando Fernandez Steinke*

Peut-on parler d’une lutte de classes à propos du mouvement des Indignés ?

À l’origine du mouvement revendicatif espagnol des Indignés, appelé en réalité 15-M, qui a démarré au printemps 2011 et s’est prolongé tout au long de l’année, on trouve la manifestation du 15 mai 2011 à laquelle a appelé le site Internet Démocratie réelle maintenant. Elle n’a pas rassemblé la grande foule. Toutefois, elle a été considérée comme un succès compte tenu du fait qu’aucune organisation importante n’avait appelé à y participer et, du rôle central joué par l’utilisation des nouvelles technologies et notamment des pages Web, pour étendre rapidement le mouvement à des zones très peu actives politiquement comme les zones rurales ou semi-rurales où dominent l’abstention et la droite.

Les acteurs de ce mouvement
L’origine sociale des acteurs de ce mouvement est complexe et dépend de la région. Mais la majorité d’entre eux sont des jeunes de 19 à 30 ans, avec une formation universitaire ou en voie de l’acquérir, ayant une conscience politique affirmée, même si elle ne conduit pas toujours au vote. Toutefois il y a également des enfants des milieux populaires, ayant bénéficié de l’ascenseur social, même si, pour la plupart d’entre eux, il s’est arrêté à mi-chemin.
L’accès intermittent des jeunes au marché du travail crée un désintérêt pour les espaces institutionnels stables.
L’abstention de la jeunesse, sa désaffection à l’égard du politique n’est donc pas une chose nouvelle en Espagne. Ce qui est nouveau en mai 2011, c’est, du fait de la corruption du personnel politique qui a accompagné la spéculation foncière et de la reddition de Zapatero devant les exigences des marchés financiers en mai 2010, l’extension de cette désaffection à de plus grands segments de la population : ceux qui avaient un emploi et l’ont perdu, ceux qui avaient réussi à acheter un appartement pendant le boom et sont maintenant menacés par les expulsions, les parents des mileuristas, ces jeunes diplômés ne trouvant au mieux qu’un emploi précaire, les professionnels ayant un travail relativement stable et héritiers de la culture politique antifranquiste, et certains enfants d’agriculteurs et de la petite bourgeoisie urbaine élevés dans une culture de la méritocratie qui a de moins en moins à voir avec la réalité.
La majorité de la population se retrouve donc derrière le mot d’ordre du mouvement « Ils ne nous représentent pas ». Pourtant, cette étonnante unanimité ne doit pas être hâtivement interprétée comme une augmentation soudaine du nombre de citoyens appelant à des formes plus authentiques de participation politique, à des formes de représentation politique directe d’inspiration progressiste (assemblées, vote direct, etc.). Il s’agit plutôt, comme dans le cas du Tea Party, mais aux antipodes de celui-ci sur un plan idéologique, de traduire l’incapacité de l’establishment politique à résoudre les problèmes créés par les « puissants », d’affirmer leur droit à prendre des décisions politiques, contre le monopole des politiciens professionnels, d’imposer un agenda politique aux partis et de rejeter l’utilisation des fonds publics pour renflouer les grands intérêts financiers.

Une ambiguïté idéologique
Un mouvement comme le 15-M est intermittent. Il repose sur l’initiative spontanée, sans structure pour assurer la continuité. Toutefois, si le 15-M n’est pas « organisé », il rassemble en son sein des réseaux qui le sont. Certains des groupes qui ont animé le mouvement depuis le début sont des créations de la gauche traditionnelle (Mesas de convergencia y acción, ATTAC, groupes écologistes, de défense des biens publics). Beaucoup de ses fondateurs sont des gens qui ont quitté les organisations traditionnelles pour des raisons diverses, mais qui apportent une culture qui bénéficie au mouvement et permet la création, dans de nombreux endroits, de groupes jouant le rôle de « braises » (rescoldos) pouvant à tout moment être rallumées si un nombre minimum d’acteurs est prêt pour cela.
Pourtant si le choix fait par le mouvement de mettre de côté dans le débat politique toutes les étiquettes, contribue à la transversalité du mouvement, l’ambiguïté idéologique qui en résulte conduit beaucoup de participants à rejeter toute forme de « politique ». L’histoire, les classes sociales et la répartition des richesses ont moins d’importance que le désir de réussite individuelle. Et certains voudraient réduire le mouvement à une méthodologie de participation où les objectifs sont relégués au second plan, en faveur de l’unité de l’ensemble. Les assemblées de certaines villes considèrent même toute forme de délégation, institutionnelle ou non, toute forme d’organisation, comme obsolète et pervertie, incapable de contribuer à une « participation réelle ». Bâtir des ponts avec les partis, les syndicats, les associations, etc., serait de ce fait préjudiciable. Constituer un bloc anti-néolibéral fondé sur la convergence de toutes ces forces s’avère donc difficile.
D’autant plus que, face au néolibéralisme, la construction d’un tel bloc suppose de s’appuyer sur les trois sources de pouvoir : l’implication individuelle directe (le pouvoir de la rue), la représentation institutionnelle et le travail organisé.
L’avenir du mouvement dépendra donc largement de deux facteurs :
– la capacité de créer des liens plus stables et structurés, capables de ranimer les « braises » à un moment donné et d’éviter l’isolement du mouvement. La construction de ces « liens » ou « mesas » est l’objectif du Réseau de convergence sociale.
– et que, au sein de ceux qui relèvent du noyau dur qui maintient la flamme pendant les moments de faible mobilisation, ceux qui aspirent à construire un bloc social anti-néolibéral cherchant à conquérir une hégémonie sociale, soient les plus nombreux. 

*Armando Fernandez Steinke est sociologue. Il est professeur à l’université Complutense de Madrid.
La Revue du projet, n° 26, avril 2013

Extrait d’un article paru dans la revue Savoir Agir fin 2011, publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.
 

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le 10 April 2013

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