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Retour sur l’affirmation de la conscience de classe, André Narritsens*

Face à la grande capacité manifestée par la bourgeoisie pour subordonner idéologiquement la classe ouvrière et la manipuler, l’affirmation de celle-ci dans le champ politique bourgeois s’est avérée tardive. Aujourd’hui seul un projet politique de transformation radicale permettra l’émergence d’une nouvelle conscience de classe.

Les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, dans leurs ouvrages successifs, ont abondamment montré combien la grande bourgeoisie organise les conditions de sa reproduction dans les différents compartiments de la vie privée et sociale. Ces mécanismes perfectionnés et constamment affinés se déploient dans le contexte d’un large contrôle idéologique de la société. Cette activité de la conscience bourgeoise exprime une position de combat à l’encontre des dominés, au premier chef la classe ouvrière. Ce n’est pas chose nouvelle mais la manifestation, dans les conditions contemporaines, de l’action de domination idéologique sur la société, action nécessaire à l’exercice de la domination.
 

La mise hors jeu de la classe ouvrière dans le champ politique institutionnel
Si l’on se réfère, brièvement à l’histoire des luttes de classes en France on observe la grande capacité manifestée par la bourgeoisie pour subordonner idéologiquement la classe ouvrière et la manipuler. L’affirmation de l’antagonisme au capital, manifestée dans les insurrections lyonnaises des années 1830, ne se concrétise guère du point de vue de l’édification d’une organisation politique autonome et les massacres de juin 1848 non seulement liquident les illusions de février mais écartent pour longtemps les ouvriers de la République telle que les libéraux la pensent politiquement, alors même que la cause républicaine avait d’abord séduit des ouvriers en raison des promesses d’égalité et d’émancipation qu’elle faisait.
La mise hors jeu de la classe ouvrière dans le champ politique institutionnel va constituer un fait durable à peine ébranlé par Le Manifeste des soixante (1864) qui affirme, de manière bien timide et ambiguë, la nécessité d’une représentation parlementaire ouvrière en complément de celle des libéraux.
L’émergence d’une organisation politique nationale n’intervient que tardivement (1882) avec la fondation du Parti ouvrier français de Jules Guesde qui s’affirme le représentant des intérêts du prolétariat, sans parvenir à emporter un très grand soutien.

L’affirmation organisée de la classe ouvrière dans le champ politique bourgeois s’avère tardive et partielle en raison non seulement des graves divisions existant entre les groupes socialistes mais aussi parce que s’affirme un puissant courant de défiance à l’égard de la politique. Échaudés par les grands massacres d’ouvriers du XIXe siècle (juin 1848, mai 1871) nombre de militants qui se sont réfugiés dans l’action syndicale et se placent souvent sous l’influence apolitique du proudhonisme, répugnent à s’engager sous des drapeaux politiques.

Cette situation nourrit la revendication d’un « parti du travail » qui va bientôt s’incarner (1895) dans la création de la CGT et par l’affirmation d’une orientation syndicaliste révolutionnaire en son sein qui se donne pour but la réalisation d’une révolution sociale construite sur la prise en mains de la société par les producteurs associés. Ce courant installe le syndicalisme français dans une situation singulière s’écartant des deux grands modèles existant en Europe, l’allemand dans lequel le syndicat est subordonné au parti et l’anglais où le syndicat produit le parti qui doit le représenter dans le champ institutionnel.

Conditions historiques de l’affirmation de la conscience de classe
L’affirmation française d’une autonomie ouvrière, un temps très sourcilleuse, installe la conscience de classe des avant-gardes dans une dimension singulière qui va se trouver bousculée par les effets politiques de la Révolution d’Octobre. La création du parti communiste place en effet la question de l’activité révolutionnaire dans un cadre nouveau récusant le parlementarisme. La question de la représentation des intérêts et objectifs de la classe ouvrière est désormais posée dans d’autres termes qu’autrefois et cette situation va marquer tout le XXe siècle.

Dans les quelques discussions contemporaines qui se déroulent à propos de la conscience de classe, il convient de prendre en considération les conditions historiques difficiles et singulières dans lesquelles s’est affirmée la conscience de classe. Sans doute faut-il aussi se référer aux analyses de Marx, Lénine, Gramsci, Luckacs… qui considèrent que la conscience de classe loin de constituer un « état » résultant de la place occupée dans les rapports de production procède d’incessants processus historiques de construction/déconstruction dans lesquels le degré d’organisation de la classe ouvrière occupe un rôle central. L’affirmation de la « classe pour soi » suppose une capacité à s’organiser en vue d’un projet politique d’émancipation.

Les résultats de nombreuses enquêtes sociologiques récentes témoignent d’une importante démobilisation ouvrière et populaire à l’égard des élections et le fourvoiement parfois massif et inquiétant du bulletin de vote. Cette situation, qui cohabite avec d’importantes capacités de mobilisation sociale, ne pourra être corrigée que par la propulsion d’un projet politique de transformation radicale plaçant les combats à venir sous le drapeau de l’offensive et participant ainsi à, la création des conditions politiques de l’affirmation d’une nouvelle cons­cience de classe.

*André Narritsens est syndicaliste. Il est membre du bureau de l’Institut d’histoire sociale.  

La Revue du projet, n° 26, avril 2013
 

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le 09 avril 2013

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