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Agriculture, pesticides et santé publique, Jean-Pierre Leroux*

Malgré un certain consensus politique et scientifique pour diminuer l’usage des pesticides pour des raisons de santé publique, les engagements régulièrement répétés peinent à être tenus. Les procédures complexes des autorisations de mise sur le marché et les difficultés scientifiques à établir la responsabilité exacte de chaque pesticide en sont la cause.

Parmi les engagements pris en 2007 lors du Grenelle de l’Environnement figurait l’objectif de réduire l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2018. En 2011, le marché français des pesticides a progressé de 1,3 % en volume et de 5 % en chiffre d’affaires. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a déclaré le 24 juillet dernier, devant la mission d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement que cet engagement était hors de portée.

Cette mission sénatoriale, après sept mois de travaux et 95 auditions, a présenté le 23 octobre dernier son rapport qui a été adopté à l’unanimité. Parmi les constats, la sous-évaluation des dangers et risques des pesticides pour la santé : la santé des utilisateurs (producteurs, agriculteurs…) dont les pratiques ne leur assurent pas une protection suffisante, mais aussi la santé des consommateurs.
Le rapport formule une centaine de recommandations. Parmi celles-ci, la nécessité d’une refonte des procédures d’autorisation de mise en vente des pesticides sur le marché. Actuellement, la firme qui souhaite commercialiser un nouveau pesticide fournit à l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA ou EFSA en anglais) une étude attestant l’absence de dangerosité des substances actives. Après accord, celle-ci est alors transmise aux agences nationales : en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES). Mais ni l’AESA, ni l’ANSES n’effectuent d’analyses en laboratoire. Leur expertise porte uniquement sur le dossier qui leur est présenté. Une procédure qui rend difficile le contrôle des données.

Des autorisations fondées sur la bonne foi des fabricants

Autre préoccupation, le rapport pointe l’insuffisance du suivi des produits après leur mise sur le marché à l’aune de leurs effets sanitaires réels et l’insuffisance de la prise en compte de leur innocuité pour la santé dans les pratiques industrielles, agricoles et commerciales. Le rapport préconise la reconnaissance des maladies professionnelles, une revendication qui a fait l’objet de nombreuses mobilisations, ainsi que la mise en œuvre d’une réelle politique de préventions des risques.
Les pouvoirs publics préconisent pour notre santé de manger cinq fruits et légumes par jour. Une nouvelle étude, publiée en août dernier par des chercheurs de l’université britannique d’Aston, démontre que le mélange de résidus de certains pesticides (l’étude portait sur trois fongicides très utilisés : le pyriméthanil, le cyprodinil et le fludioxinil) pouvant être contenus dans ces aliments peut démultiplier leurs effets. Il semblerait ainsi que des substances, jugées inoffensives en dessous d’un certain seuil, puissent endommager, lorsqu’elles sont combinées, certaines cellules du système nerveux central et entraîner le développement de maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson…), voire des risques cancérigènes. C’est le fameux effet « cocktail ».
Le problème est que cet effet « cocktail » n’est pas pris en compte dans les textes communautaires. Le règlement européen REACH analyse les effets des substances, produit par produit, et la commission européenne n’a pas encore décidé d’intégrer cette piste de recherches dans sa stratégie d’évaluation des produits. L’ANSES, quant à elle, a commencé au travers du programme Périclès, à travailler sur cette question et a identifié sept cocktails de molécules les plus fréquemment présentes dans les aliments. Les recherches sont en cours et la proposition de réduire la quantité des résidus autorisée dans les aliments formulée par certaines ONG est jugée prématurée par l’ANSES.

L’effet « cocktail » de certains pesticides

Le lien entre certains pesticides, d'une part, et l’augmentation de certains cancers et la baisse de la fertilité, d'autre part, constitue une autre préoccupation. Sont tout particulièrement en cause les pesticides ayant des effets perturbateurs endocriniens. Rappelons que notre système endocrinien contrôle des fonctions essentielles comme la croissance, la reproduction ou la régulation du métabolisme.
Un colloque international sur « les effets des perturbateurs endocriniens sur l’environnement et la santé » s’est tenu à Paris les 10 et 11 décembre dernier, sous l’égide de l’ANSES. Il a été rappelé que les perturbateurs endocriniens font partie des « risques émergents ». Un ensemble de substances chimiques sont en cause : les phtalates, les parabènes, le bisphénol A, les dioxines, certains pesticides… Des substances qui sont partout : dans l’alimentation, l’eau, l’air, les médicaments, les jouets, les produits ménagers…
Mais les mécanismes d’action de ces produits dans l’organisme sont encore mal connus, même si de nombreuses études ont déjà permis de formuler des constats et d’avancer des hypothèses convergentes. Un prétexte que les industriels mettent en avant pour continuer à poursuivre leur production et retarder la recherche de produits de substitution.
À l’occasion de ce colloque, Delphine Batho, ministre de l’Écologie, a annoncé qu’un groupe de travail, associant toutes les parties prenantes, avait la mission d’élaborer d’ici juin 2013 une stratégie nationale comprenant des actions de recherche, d’expertise, d’information du public. Une liste de substances « susceptibles d’être en contact de populations sensibles ou pour lesquelles l’exposition est suspectée importante » sera établie et servira de base à l’adoption de mesures réglementaires.
Un programme d’action qui est généralement perçu comme une avancée, même si certains estiment que suffisamment d’études ont déjà été menées et que les effets avérés de certaines substances sur la santé justifient des mesures immédiates de retrait du marché. Dans le secteur de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire, cela se traduira à terme par de nouvelles pratiques plus soucieuses de la santé de tous et de l’environnement. 

*Jean-Pierre Leroux est administrateur de la caisse des écoles de Paris 10e.
 

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Agriculture, pesticides et santé publique, Jean-Pierre Leroux*

le 04 mars 2013

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