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Nourrir correctement et durablement l’humanité tout entière, Marc Dufumier*

De nouvelles pratiques agricoles peuvent permettre de satisfaire une demande croissante en produits diversifiés, tout en ayant soin de ne pas sacrifier les potentialités productives des écosystèmes cultivés et pâturés. Mais la malnutrition est avant tout un problème de pouvoir d’achat.

Nous sommes déjà plus de 7 milliards d’humains dans le monde et nous serons un peu plus de 9 milliards d’habitants en 2050. L’apparition de nouvelles couches moyennes dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine (Chine, Inde, Brésil, etc.) et la hausse progressive de leur pouvoir d’achat se manifestent par une consommation accrue de produits animaux (œufs, lait et viandes). Et comme il faut de 3 à 10 calories végétales pour produire une calorie animale, il est à prévoir une augmentation encore plus rapide de la demande en produits végétaux. On peut raisonnablement anticiper un doublement de la demande en productions alimentaires végétales au cours des 40 prochaines années. Pourra-t-on satisfaire cette demande croissante en produits diversifiés, tout en ayant soin de ne pas sacrifier les potentialités productives des écosystèmes cultivés et pâturés au nom de la satisfaction des besoins immédiats ?

Des écueils à éviter

Il nous faudra, autant que possible, éviter :
- l’élargissement inconsidéré des surfaces cultivées ou pâturées au détriment des dernières forêts vierges et autres réserves naturelles de biodiversité ;
- l’épuisement des ressources en eaux de surface et souterraines découlant d’irrigations exagérées et mal conduites ;
- la contamination de l’air, des eaux, des sols et de nos aliments par les engrais de synthèse et les produits pesticides ;
- le recours exagéré aux énergies fossiles (produits pétroliers et gaz naturel) pour le fonctionnement des équipements motorisés ainsi que pour la fabrication des produits phytosanitaires et des engrais chimiques (urée, ammonitrates, sulfate d’ammonium, etc.) ;
- les émissions de gaz à effet de serre : gaz carbonique produit par la combustion des carburants, méthane issu de la rumination de nombreux herbivores, protoxyde d’azote dégagé lors de l’épandage des engrais azotés de synthèse, etc. ;
- la dégradation de la fertilité des sols (érosion, compactage, salinisation, etc.), suite à des labours trop fréquents et mal conduits ou résultant d’irrigations insuffisamment maîtrisées ;
- la prolifération inopportune de mauvaises herbes, d’insectes ravageurs et de champignons pathogènes pouvant causer de graves dommages aux plantes cultivées et aux animaux domestiques.

Des techniques agricoles inspirées de l’agroécologie

Fort heureusement, il existe d’ores et déjà des techniques agricoles inspirées de l’agroécologie permettant d’accroître sensiblement les rendements à l’hectare, sans recours excessif aux énergies fossiles et aux produits phytosanitaires ; elles consistent en premier lieu à associer simultanément dans un même champ diverses espèces et variétés aux physiologies différentes (céréales, tubercules, légumineuses et cucurbitacées), de façon à ce que l’énergie solaire puisse être au mieux interceptée par leur feuillage et transformée en calories alimentaires au moyen de la photosynthèse. Ces associations et rotations de cultures protègent les sols de l’érosion, limitent la propagation des insectes ravageurs et diminuent les risques de très mauvaises récoltes en cas d’intempéries. L’inté­gration de plantes de l’ordre des légumineuses (haricots, fèves, soja, trèfle, luzerne, etc.) dans ces associations culturales permet de fixer l’azote de l’air pour la synthèse des protéines et la fertilisation des sols.

La présence d’arbres ou arbustes au sein même des parcelles cultivées ou le maintien de haies vives sur leur pourtour protège les cultures des grands vents et d’une insolation excessive, avec pour effet de créer un microclimat favorable à la photosynthèse et à la fixation de carbone. Grâce à leur enracinement profond, ils sont capables d’intercepter les éléments minéraux dans les sous-sols, au fur et à mesure de l’altération des roches mères. Transférés dans la biomasse aérienne des arbres et arbustes, les éléments minéraux sont ensuite déposés à la surface même des terrains lors de la chute des feuilles et branchages et peuvent alors contribuer à leur fertilisation. Les arbres et arbustes hébergent aussi de nombreux insectes favorables aux cultures, favorisent la pollinisation de celles-ci et contribuent à limiter la prolifération d’éventuels insectes prédateurs.

L’association des élevages à l’agriculture facilite par ailleurs l’utilisation des sous-produits végétaux dans les rations animales et favorise aussi la fertilisation organique des sols grâce aux excréments animaux.

Pouvoir d’achat et malnutrition

Mais le problème de la faim et de la malnutrition n’est pas d’abord une question technique. C’est la faiblesse du pouvoir d’achat qui en est à l’origine. Les populations les plus pauvres ne parviennent toujours pas à se procurer des aliments disponibles sur le marché international qui sont vendus à des fabricants d’aliments du bétail et des usines d’agrocarburants. Ainsi en est-il chez nous des personnes qui fréquentent le  Secours populaire  et les  Restaurants du cœur. Ainsi en est-il aussi et surtout des centaines de millions de personnes sous-alimentées des pays du Sud. Le plus urgent est donc de parvenir à une répartition plus équitable des revenus à l’échelle mondiale.

*Marc Dufumier est ingénieur agronome. Il est professeur émérite en agriculture comparée et développement agricole à AgroParisTech (Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement).

La Revue du projet, n° 25, mars 2013

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Nourrir correctement et durablement l’humanité tout entière, Marc Dufumier*

le 04 March 2013

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