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Le faux pas des 75 %, une erreur volontaire ? Alain Vermeersch

L’invalidation par le Conseil constitutionnel de la mesure sur la tranche pour les revenus de plus d’un million d'euros, est-elle une sanction ou plutôt le révélateur d'une forme de gouvernement ?

Les responsables de l’échec

Jacques Sapir rappelle les faits de façon suivante (02/01) : « Dans la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, François Hollande, sentant monter la cote de popularité du candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, cherche une mesure emblématique pour ancrer sa candidature à gauche. D’où l’idée de cette super-tranche, qu’il impose sans discussion à son entourage. Il s’agit d’une mesure essentiellement symbolique, dont les recettes fiscales attendues sont par ailleurs limitées. François Hollande élu président, il faut bien appliquer la mesure. Et c’est là que tout se complique… Il repasse alors le bébé à son directeur de cabinet, qui lui-même désigne un des énarques du dit cabinet pour rédiger le texte. Or il se trouve que ce dernier ignore les principes mêmes du droit fiscal français et commet un texte irrecevable sur la forme. Le scandaleux, en l’occurrence, n’est pas la censure du Conseil constitutionnel, mais la chaîne d’incompétences qui a permis à ce texte d’arriver en l’état sur sa table. Cette lamentable histoire illustre aussi le refus de François Hollande de se livrer à une grande réforme fiscale rétablissant un peu de logique dans un système qui s’est construit par empilements successifs de mesures parfois contradictoires.
La censure du Conseil constitutionnel sanctionne ainsi moins une mesure particulière qu’une politique de faux-semblants et d’amateurisme. Ces faux-semblants, nous en trouvons d’autres exemples : entre autres avec le projet de loi bancaire, loi croupion qui traduit une capitulation honteuse devant le lobby de la finance, et avec le refus du premier ministre de répondre à Édouard Martin, le syndicaliste de Florange. »
Qui est le responsable de la boulette juridique sur la taxe à 75 % ? Si l’on écoute le rapporteur des finances à l’Assemblée nationale, le député socialiste Christian Eckert, c’est Bercy (Challenges 31/12) « L’impôt en France est conjugalisé, cette taxe était individualisée, écrit-il sur son blog. Nous l’avions conçue et bâtie comme un outil de dissuasion des salaires exorbitants, pas comme une tranche supplémentaire de l’impôt. Ainsi, un couple où chacun gagne 600 000 euros n’était pas taxé. Un autre couple où l’un gagne 1 200 000 euros et l’autre rien l’était. Chaque couple dispose pourtant du même revenu. C’est cette inégalité et rien d’autre qui a entraîné la censure ! » Contre les accusations d’amateurisme, Christian Eckert se dédouane : « J’avais, sur le conseil avisé de mon équipe d’administrateurs à l’Assemblée nationale, fait préparer un amendement pour éviter cette distorsion entre foyers fiscaux. On m’a dissuadé de déposer cet amendement. […] Je regrette de n’avoir pas su convaincre sur ce point. » La responsabilité de cette incroyable bévue politique revient donc au ministre du Budget Jérôme Cahuzac et de son équipe. Dans Libération (31/12), son entourage évoque « un pari qui a été fait ». Bercy était donc tout à fait conscient du risque de censure. Interrogé par Le Jdd (30/12), P. Moscovici à la question « Avez-vous joué de malice en présentant une loi tout en sachant qu’elle serait rejetée ? » répond : « C’est absurde ! Procéder ainsi aurait été du masochisme de notre part, pas du machiavélisme ! Je n’accepte pas ces insinuations. Cela laisserait penser que le rejet de cette mesure était volontaire. Il ne l’est évidemment pas. » L. Mauduit réplique (Mediapart 29/12):  « Cette fameuse taxe était, en quelque sorte, devenue le cache-sexe de gauche d’une politique de plus en plus clairement sociale libérale. C’est dire l’embarras dans lequel se trouve aujourd’hui le chef de l’État. La seule mesure qui se voulait nettement ancrée à gauche passe à la trappe. Et au bilan du gouvernement, il ne reste guère qu’une liste de reculs ou de reniements qui s’allongent de jour en jour. Jean-Marc Ayrault a publié un communiqué de presse pour le moins ambigu. Le premier ministre a en effet d’abord indiqué que le gouvernement proposera un dispositif nouveau conforme aux principes posés par la décision du Conseil constitutionnel. Sous-entendu, il va rebâtir une nouvelle taxe qui tienne compte du caractère familial de l’impôt. Mais dans la foulée, Jean-Marc Ayrault a aussi ajouté : Il sera présenté dans le cadre de la prochaine loi de finances » L. Mauduit poursuit « On dispose désormais d’une étude très méticuleuse, réalisée par l’Institut des politiques publiques, qui atteste que les réformes fiscales engagées par le gouvernement socialiste n’ont corrigé les inégalités fiscales que de manière infime. Cette étude apporte la preuve irréfutable, chiffres à l’appui, que la réforme engagée par le gouvernement socialiste – la réformette, devrait-on dire – n’a modifié que de manière infime les plus graves inégalités de l’impôt sur le revenu. Et en particulier, la plus spectaculaire de ces inégalités, au terme de laquelle l’impôt sur le revenu cesse d’être progressif pour les plus hauts revenus et devient même dégressif. En clair, la vraie bêtise, c’est François Hollande lui-même qui l’a commise, très en amont. En inventant cet impôt stupide à 75 %. Une sorte d’impôt Canada-dry, ayant l’odeur d’un impôt de gauche, la saveur et les apparences… Le gouvernement est à la croisée des chemins. Soit il renonce une bonne fois pour toutes à cet impôt croupion qui ne rétablit pas la progressivité et engage enfin la révolution fiscale promise. Soit, profitant de la décision du Conseil constitutionnel, il renonce à tout cache-sexe et conduit une politique sociale libérale qui s’assume comme telle. »

Les solutions de rechange

Faire connaître « au plus vite » le dispositif de remplacement de la taxe à 75 % sur les revenus supérieurs à un million d’euros censurée par le Conseil constitutionnel. C’était la revendication du Parti socialiste formulée par son porte-parole David Assouline (Les Échos 08/01). Le ministre du Budget a laissé entendre qu’il n’y aurait pas de reconduction d’une taxe à 75 % par peur que ce taux soit jugé « confiscatoire » et « donc censuré » par le Conseil constitutionnel. B. Leroux et F. Rebsamem pensent qu’il ne « faut pas faire de fétichisme sur le taux à 75 %. L’important est de faire comprendre que des rémunérations à un million d’euros sont excessives. » « Les 75 %, c’est mort », tranche le porte-parole du groupe PS à l’Assemblée, Thierry Mandon. « On n’aura pas le même résultat symbolique, reconnaît-il, mais on trouvera un outil fiscal qui permettra de prélever fortement les rémunérations exceptionnellement élevées. » G. de Capèle (Le Figaro 08/01) jubile « Depuis le 30 décembre, les équipes du ministère des Finances phosphorent jour et nuit pour résoudre le problème le plus urgent, le plus ardent, le plus essentiel du moment aux yeux du gouvernement : trouver une nouvelle formule pour taxer à 75 % les hauts revenus, sans encourir une seconde censure du Conseil constitutionnel. Pourquoi un tel entêtement, qui vaut à la France d’être brocardée aux quatre coins du monde ? Parce que François Hollande, qui eut un jour cette idée folle et en fit le symbole de sa campagne, l’exige. » Les Échos bien informés notent « Depuis la censure de plusieurs mesures de la loi de Finances 2013, le gouvernement martèle que la future contribution sur les hauts revenus, qui remplacera la taxe à 75 %, devra être juridiquement incontestable. Taux, assiette, durée, tous les paramètres sont sur la table. » H. Sterdyniak, dans une note de l’OFCE, affirme « Le système français a besoin d’être repensé. Il faudrait réaffirmer son caractère familial, redéfinir la notion de revenu, bien distinguer les impôts et les cotisations ouvrant des droits à prestations, supprimer certaines dépenses fiscales, remplacer les autres par des subventions explicites. Cette transformation ne peut se faire par l’accumulation de réformes ponctuelles. »

La Revue du projet, n° 24, février 2013
 

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Le faux pas des 75 %, une erreur volontaire ? Alain Vermeersch

le 03 février 2013

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