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Productivisme

On retrouve à nouveau un mot en « isme », ce fameux suffixe qui, selon le Trésor de la langue française, « implique une prise de position, théorique ou pratique, en faveur de la réalité ou de la notion que dénote la base ». Le productiviste est donc partisan de la production. Dans le langage théorique, on entend surtout celui qui serait partisan de la production pour la production, la production étant considérée comme une fin en soi, un objectif à soi seul. D’aucuns prétendent ainsi (voir « Lire » du numéro précédent) que la meilleure définition du capitalisme serait justement celle-ci : productivisme.
Cette désignation appelle quelques remarques. Le capitalisme, on le sait, a été à l’origine d’un immense accroissement de la production – il n’est que de lire Le Manifeste du parti communiste ou n’importe quel livre d’histoire du XIXe siècle pour en prendre la mesure. Quand le féodalisme bridait la production, le capitalisme l’a amplement libérée, phénomène quantitatif historique indéniable. Mais le concept porte en lui l’idée de « produire pour produire ». Qu’est-ce à dire ? Le capitalisme, on le sait, ne vise pas à répondre aux besoins humains, il vise à faire de l’argent. Dès lors, il n’hésite pas à nous refourguer des marchandises dont on n’a strictement aucun besoin. De fait, ce qui est aujourd’hui un énorme secteur marchand, la publicité, est spécifiquement conçu pour nous faire désirer ce dont nous n’avions ni besoin ni idée – lisez Stiegler ou Clouscard qui en parlait déjà. En outre, on parle à juste titre de « dégénérescence programmée », c’est-à-dire que le nombre d’acheteurs étant limité, il convient que les produits qu’on leur vend aient une durée de vie limitée afin qu’on puisse leur en vendre de nouveau pour faire de nouveaux profits. Ainsi, la rengaine des grands-parents selon laquelle, avant, le réfrigérateur avait duré bien plus longtemps, etc. n’est pas nostalgie sénile mais s’appuie bien sur un fondement du capitalisme qui, pour faire des profits, n’hésite pas à produire mal pour produire et vendre plus.
Jusque-là tout va bien mais le bât blesse sérieusement deux fois. Premièrement, est-il si sûr que le capitalisme soit un mode de production fondé essentiellement ou principalement sur l’accroissement de la production ? Un examen même superficiel de la situation sanitaire des séropositifs de par le monde devrait interdire ce genre de raisonnements. Où a-t-on vu que les capitalistes voulaient produire toujours plus de médicaments pour la trithérapie ? Non, le capitalisme n’est pas un productivisme, il ne vise pas, en tout état de cause à produire toujours plus ; il ne vise pas à produire pour produire, il vise et il ne vise qu’à accroître le taux de profit, ce qui, en effet, peut passer par l’accroissement artificiel de la production (au mépris de la nature comme des humains, que ce soient les travailleurs qui se tuent à la tâche pour produire des choses inutiles comme ceux qui sont contraints d’acheter des produits de mauvaise qualité) mais on ne peut certainement pas soutenir que l’accroissement de la production est la seule chose visée : encore faut-il qu’il y ait une population solvable pour acheter ces marchandises…
En fait, on le comprend bien, la question est décalée : le productivisme est dans une logique +/- alors que le capitalisme est dans la logique du taux de profit. Et nous, dans quelle logique sommes-nous ? Sommes-nous productivistes (produire plus) ou antiproductivistes (produire moins ou cesser de produire pour produire) ? On est tenté de répondre que là encore, la vraie question est ailleurs tant on peine à croire que la réponse puisse être : plus d’armes atomiques ou moins de médicaments…
Il ne s’agit pas de produire plus ou de produire moins. Il s’agit de répondre d’une façon révolutionnaire aux questions : Qui produit ? Dans quel but ? Selon quelles modalités ? En d’autres termes, qui décide de la production ? Pour répondre à quels objectifs ? Comment s’organise cette production ? Autant de questions qui tendent à disparaître avec le mot « productivisme » et les logiques qu’il implique…
 

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le 02 February 2013

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