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L’Union européenne, une gestion différenciée et évolutive des frontières Une politique européenne de coopération territoriale originale1, François Moullé*

Les impulsions données par l’Europe au niveau des espaces frontaliers visent à dépasser certaines coupures spatiales.

     Bruxelles n’a pas inventé la coopération entre les États et entre des collectivités territoriales en position frontalière. Nous pourrions citer l’accord international de 1959 entre la Suisse et la France qui a permis la création de la commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL) face à l’urgence environnementale de l’époque. Ou encore la création en 1972 de Arbeitsgemeinschaft Alpenländer (ARGE-ALP / Communauté de travail des États alpins) réunissant la Bavière allemande, les régions alpines autrichiennes et les régions italiennes voisines.

Des dynamiques politiques, d’ordre financier et juridique
Par contre, les impulsions européennes ont proposé trois dynamiques essentielles pour le renforcement des coopérations transfrontalières. La première est d’ordre politique avec la Convention-cadre de Madrid de 1981 et les protocoles additionnels pour que les États membres de l’union favorisent la coopération transfrontalière au plus près des citoyens dans la logique de la subsidiarité.
La deuxième dynamique est d’ordre financier. À partir de 1990, l’Union européenne se dote d’un programme d’initiative communautaire (PIC) appelé « Interreg ». Nous sommes actuellement dans la quatrième phase avec une mise en valeur stratégique du programme pour la phase actuelle (2007-2013 / Objectif 3) puisqu’il est un des trois objectifs actuels de l’Union européenne.

Le programme « Interreg »
Les quatre phases d’« Interreg » : 1991-1993, 1994-1999, 2000-2006, 2006-2013.
Ce programme s’est d’abord développé de manière expérimentale avec une très grande liberté pour les porteurs de projets. Ceci explique la durée limitée de la première période. De phase en phase, les règles se sont précisées pour rendre plus lisible l’action européenne et plus efficace la dépense publique pour la transformation des espaces frontaliers.
L’objectif est de permettre à des acteurs locaux et provinciaux de porter des projets permettant de créer de la couture au niveau des frontières qui sont par essence des coupures spatiales. Les subventions européennes concernent des domaines variés comme l’aménagement du territoire englobant les transports et l’environnement, la culture et l’éducation, l’innovation et la recherche, etc.
La troisième dynamique est d’ordre juridique en proposant aux acteurs de nouveaux outils permettant de structurer les liens transfrontaliers. Nous pouvons noter deux outils particulièrement originaux. En 1985, le groupement européen d’intérêts économiques (GEIE) qui aura finalement une portée assez limitée. En 2006, la création du groupement européen de coopération territoriale (GECT) correspond aux besoins actuels des territoires. Ces statuts juridiques permettent à des collectivités territoriales de part et d’autre d’une frontière de se grouper dans une structure unique avec un seul siège social, un conseil décisionnel et une comptabilité propre. Bien entendu, des questions nouvelles apparaissent en matière de gouvernance horizontale entre les partenaires et verticale vis-à-vis des États de tutelles.

L’originalité du programme « Interreg » se décline en trois dimensions.

La première est la différenciation de coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales. Le transfrontalier impose une continuité spatiale dont le lien est la frontière créant de fait de nouvelles discontinuités entre les espaces pouvant mettre en place une coopération et ceux trop éloignés de la frontière. En créant une politique de gestion frontalière, l’Union européenne complexifie l’étude des discontinuités spatiales en les multipliant. Néanmoins, le transnational permet aux porteurs de projets éloignés de la frontière de participer aux logiques de convergences européennes. Le transnational prolonge dans l’espace les possibilités offertes par « Interreg ». Enfin, des régions sans aucune continuité spatiale peuvent envisager une coopération interrégionale. Nous pourrions simplifier l’image en partant de la frontière, il y une forme de continuum avec d’abord les espaces éligibles dans un cadre transfrontalier ; puis en s’éloignant de la frontière, ceux éligibles dans un cadre transnational ; pour enfin terminer aux espaces éligibles à l’interrégional.

La seconde dimension est la création de nouveaux découpages de l’espace européen comme, par exemple, Alpenspace (espace alpin) regroupant les régions de l’arc alpin françaises, italiennes, suisses, allemandes, autrichiennes et slovènes. Un ensemble géographique fortement marqué par les frontières mais où l’unité orographique, les identités proches et les problématiques communes, notamment environnementales, permettent d’envisager une nouvelle unité par-delà les frontières.

Enfin, la troisième est à interpréter dans une logique géo-historique. Les espaces frontaliers ont généralement été considérés par les pouvoirs centraux comme des marges, des confins. Le sous-équipement chronique tant en matière d’équipements qu’en investissements économiques doit se comprendre comme une stratégie pour limiter les pertes en cas d’invasion militaire. L’Europe se caractérise d’abord sur le long terme par des conflits internes incessants. Les communautés européennes puis l’Union européenne ont créé un véritable espace de paix. Dans cette perspective, nous réalisons le chemin parcouru en un demi-siècle lorsque nous observons la coopération transfrontalière. D’espaces de marges, les territoires frontaliers sont devenus les laboratoires territoriaux de l’Europe.

Une étude d’analyse des dossiers « Interreg » par un réseau de chercheurs animés par le laboratoire DYRT (Université d’Artois) a permis de mettre en place une typologie (tableau ci-dessus) des productions spatiales résultants des politiques européennes en faveur des dynamiques transfrontalières.

Les espaces frontaliers, un lieu d’expérimentation pour créer du lien durable
Les frontières sont au cœur de la réalité européenne comme objet spatial à gérer. Cette gestion peut être orientée et soutenue par les initiatives communautaires mais elle dépend fortement des processus locaux tant de gouvernance que d’identification de l’ensemble des agents de l’espace. La frontière est le nouveau lien de ces processus contemporains, ce qui ne remet absolument pas en cause le maillage étatique ni la diversité des orientations politiques des mailles.
L’expérimentation locale et régionale en matière de coopération transfrontalière souligne néanmoins la diversification des niveaux d’intervention sur les territoires et par conséquence, la multiplication des acteurs. L’intégration européenne est un extraordinaire entrelacs de réseaux, d’espaces et de territoires. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur la pertinence des programmes dans la prise en compte des spécificités géographiques des territoires dans la volonté de l’Union européenne de mise en réseaux. La complexité des héritages et du patrimoine ne peut pas être pris en compte dans des orientations politiques très générales.
L’originalité des espaces transfrontaliers est bien de se développer sur les creux de l’Europe d’autrefois, créer des dynamiques, de nouveaux pleins là où les centres ont volontairement fait le vide dans une logique stratégique. Le nouveau centre, que représente Bruxelles, a parfaitement compris que l’expérimentation sur les marges frontalières est le meilleur moyen pour créer du lien durable. D’une certaine manière, l’intégration européenne est la plus réelle au niveau des espaces frontaliers, ce qui ne veut pas dire que les réflexes identitaires du passé ne soient pas des freins notamment dans les nombreux processus de territorialisations en cours.  

1) La première partie de l’article est parue dans La Revue du projet, n° 20, octobre 2012.

*François Moullé est géographe. Il est maître de conférences à l’université d’Artois.

La Revue du projet, n° 22, décembre 2012

 

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le 09 décembre 2012

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