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Aperçus sur le logement populaire en région parisienne (XIXe-XXe siècles), Jacques Girault*

L’industrialisation dilate l’espace de résidence en région parisienne en établissant une ségrégation dans le logement et en dissociant résidence et activité. Les mauvaises conditions et la cherté du logement parisien depuis le milieu du XIXe siècle entraînent une mobilité populaire permanente.

Le développement de la banlieue permet l’amélioration du logement populaire. En plus d’un siècle, on passe d’une absence de contrôle politique sur le logement à une volonté politique en raison des enjeux politiques et sociaux qu’il représente.

Le logement populaire en banlieue jusqu’à la Grande Guerre

Les offres d’emplois industriels expliquent l’afflux des populations. Les quartiers populaires de Paris se prolongent dans les communes attenantes (la Villette). L’industrialisation entraîne l’arrivée d’ouvriers en banlieue sud-est (Ivry) et surtout en banlieue nord (Saint-Denis). Aux communes industrialisées avec des logements locatifs, collectifs, toujours peu spacieux, s’opposent les communes de l’est et de l’ouest, sans industrie, sans ouvriers dans un premier temps. Des lotissements pour couches populaires, souvent édifiés par les occupants, naissent.
La crise du logement populaire se poursuit et les logements surpeuplés ou insuffisants caractérisent les quartiers et communes périphériques de Paris. Pourtant la banlieue attire de plus en plus en raison des travaux d’urbanisme et de l’augmentation des loyers dans Paris. Les acquisitions de terrains touchent toutes les couches sociales dans des espaces particuliers, initiatives individuelles ou conséquences des actions des sociétés d’épargne ou des interventions coopératives.
Des locataires, par exemple dans l’Union syndicale des locataires ouvriers, poursuivent les actions pionnières des anarchistes (déménagements à la cloche de bois, syndicat des «Anti-Vautours», manifestations, démarches diverses).
Le socialisme français prend peu en compte la question du logement. Il estime qu’il n’y a pas « de solution à la crise du logement en régime capitaliste ». Des solutions partielles, selon eux, et André Morizet s’inscrit dans cette tradition, peuvent être tentées par l’action municipale.
L’intervention des pouvoirs publics s’amorce, inspirée par les courants de la pensée réformiste qui s’exprime dans le Musée social, par exemple.
La loi Jules Siegfried (1894) autorise la constitution de sociétés privées d’habitations à bon marché. Les lois Strauss (1906) et Ribot (1908) permettent l’organisation de sociétés anonymes et de sociétés coopératives avec l’aide des communes et des départements. La loi Bonnevay (1912) crée les offices publics d’habitations à bon marché.
Les premières sociétés d’HBM, privées, coopératives ou municipales, apparaissent alors. Le conseil municipal de Paris adopte en 1910 un plan d’aménagement de cités-jardins, « forme par excellence de l’urbanité nouvelle ».
La Première Guerre mondiale arrête ces projets. Pendant cette période, des plans d’ensemble s’élaborent.

Le logement populaire dans l’entre-deux-guerres

L’industrialisation accélère l’installation de provinciaux, de travailleurs étrangers ou coloniaux. Et les premiers Algériens arrivent alors. Mais la question de leur hébergement ne se pose pas encore ! Aux abords de quelques usines, des baraques les préfigurent. Pendant et après la guerre, la crise du logement populaire s’aggrave.
Les pouvoirs publics réagissent de façon étroite. L’initiative individuelle s’accroît. Mais dans les années 1920, des réformateurs urbains, autour d’Henri Sellier, qui administre l’office départemental des HBM depuis sa création en 1915, d’André Morizet et d’architectes, amorcent une réflexion d’ensemble. Des initiatives viennent aussi des milieux patronaux et politiques. En 1932, le Comité supérieur de l’aménagement et de l’organisation générale de la région parisienne apparaît dans un contexte particulier, puisqu’il s’agit de contrôler tout nouvel essor de l’agglomération.
L’action des pouvoirs publics répond malgré tout à la crise du logement. Un ensemble de lois modifient la situation sur le plan financier, dans le cadre d’une extension urbaine aménagée. Deux lois en 1928 entendent remédier aux lotissements défectueux (Sarrraut) et contribuer au financement des HBM (Loucheur).
L’action des pouvoirs publics apparaît décisive (Office départemental des HBM de la Seine, mais aussi ville de Paris et rares offices municipaux). Des habitations collectives en proche banlieue comprennent des éléments de confort.
Mais la crise économique des années 1930 frappe l’industrie du bâtiment et le gouvernement arrête les dépenses. Les projets précédents s’achèvent, notamment les quinze cité-jardins.
L’intervention municipale communiste vise à assurer des bases pour une progression du Parti en répondant à des besoins divers (équipements, transports, voiries, enseignement). Des expérimentations municipales se produisent à Ivry notamment. Et le maire de Gennevilliers s’en inspire à partir du Front populaire et surtout après la guerre ! La crise du logement devient un vecteur possible pour un combat politique. Un changement d’attitude commence à se manifester dans la prise de conscience par le Parti communiste de l’ampleur de la crise du logement comme vecteur possible d’une implantation. Inversement le socialiste André Morizet n’entend pas voir Boulogne-Billancourt, qui a déjà beaucoup d’emplois ouvriers, se transformer en commune d’habitat ouvrier.
L’urgence d’une politique de logement social se dessine alors que l’État, engagé dans la poursuite d’une politique d’économies, tient moins compte des besoins populaires. Le Front populaire inverse la tendance mais en quelques mois, l’orientation ne donne pas d’effets dans le logement. Toutefois dans l’habitat populaire commencent à se mettre en place diverses structures héritées de la dynamique culturelle nouvelle.
Devant la persistance de la crise, l’habitat pavillonnaire poursuit sa poussée. Les lotissements s’étendent et le total de logements individuels construits, le plus souvent précaires, dépasse amplement les réalisations collectives. Les « mal lotis » demeurent.
L’attitude par rapport à la propriété du logement se modifie. Les couches moyennes cherchent depuis longtemps à acquérir leurs logements. En milieu populaire, une telle aspiration commence à se répandre, entraînant de nouvelles sociabilités. Et le temps libéré à partir du Front populaire profite aussi à la maison !

Le logement populaire dans une banlieue en essor mieux contrôlé

Pendant la guerre, la crise du logement s’accentue en raison des destructions. Dans l’immédiat après-guerre, le parc immobilier reste insuffisant, ancien, exigu et inconfortable. Le retard s’aggrave. Des projets de rénovation grâce à l’architecture industrialisée s’esquissent (Le Corbusier, André Lurçat à Saint-Denis). Des maires jouent un rôle moteur, tels Waldeck L’Huillier à Gennevilliers.
La législation se modifie. À partir de 1951, les habitations à loyers modérés remplacent les HBM. Avec la poursuite de l’expansion démographique, la crise du logement s’aggrave. Hôtels, meublés ou chambres individuelles, logements surpeuplés abondent.
Comme réponse, en raison de la nécessité de reconstruire, l’État joue un nouveau rôle financier et réglementaire (création d’un ministère de la reconstruction et de l’urbanisme, du Commissariat à la construction et à l’urbanisme pour la région parisienne). En 1960, le Plan d’aménagement et d’organisation générale de la région parisienne lance de grands projets d’habitat collectif en s’appuyant sur la Caisse des dépôts et consignations, l’Office central interprofessionnel du logement, les offices publics d’HLM, comme à Gennevilliers, ou des initiatives particulières telle la création d’une société d’économie mixte, comme la Sonacotral.
Conséquence de la crise du logement aux aspects spécifiques (vétusté et insalubrité notamment de nombreux logements), très tôt apparaissent les bidonvilles, notamment pour les populations étrangères ou nord-africaines. Le foyer devient une solution « sommaire » pour loger les immigrés venus pour occuper les emplois moins qualifiés qu’offre l’agglomération.
Le parti pris du logement collectif coïncide avec la progression du mouvement ouvrier en banlieue et tout particulièrement du Parti communiste. Les municipalités gérées par le PCF poussent toutes dans ce sens avec le plus souvent la création d’offices municipaux d’HLM comme à Gennevilliers en 1947 qui contribuent à la constitution d’un bastion ouvrier et communiste.
La construction de grands ensembles résulte d’un plan complet privilégiant les fonctions résidentielles en banlieue qui absorbe les populations chassées de Paris par les opérations de rénovation, comme la cité des 4 000 à La Courneuve, avec les conséquences dans la représentation qu’on en donne. L’extension d’une crise sociale de plus grande ampleur se traduit par la transformation d’une partie du parc immobilier en parc social aidé.
En région parisienne, près d’un Francilien sur deux habite un logement différent en 1990 par rapport à celui de 1982. Des évolutions affectent le logement populaire, surtout collectif. Les HLM sont délaissées par les milieux populaires : y progressent des catégories à revenus plus bas, jeunes, inactifs, retraités et autres catégories moins favorisées, de plus en plus d’étrangers.
Les habitants des grands ensembles connaissent les difficultés de transports, le bruit, la déshumanisation, la monotonie. Des particularités des populations apparaissent : jeunes couples avec enfants, absence de vieilles personnes, sous-équipement et ses conséquences sur les adolescents et les jeunes, afflux d’étrangers, extension du chômage. D’où l’image récurrente que diffusent les média : le grand ensemble signifierait délinquance, désespoir. Le « mal des banlieues » y trouverait ses racines.
La maison individuelle connaît un succès ancien et croissant dans tous les milieux sociaux, y compris les milieux populaires. Des conséquences sur les conditions de vie en résultent (repli sur la famille, embourgeoisement), mais aussi des mutations dans l’occupation du temps libre comme la diffusion, ancienne et toujours renouvelée, du bricolage.  n

*Jacques Girault est historien, Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris-XIII. Cet article des Cahiers d'histoire (n°98, 2006) est reproduit avec l'aimable autorisation de la revue.

La Revue du projet, n° 21, novembre 2012
 

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Aperçus sur le logement populaire en région parisienne (XIXe-XXe siècles), Jacques Girault*

le 14 novembre 2012

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