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Les politiques publiques de la culture sont notre bien à tous, Nicolas Monquaut et Claude Michel*

Sortir du « je » pour s’accomplir dans le « nous », unir sans uniformiser, c’est donner corps aux valeurs de solidarité et d’égalité.

Malgré le travail déployé par le Front de gauche sur les politiques de la culture, de l’art, de l’information, ces questions n’ont occupé qu’une place modeste dans la campagne. Si peu de temps pour la pensée, le sensible et la création, le « vivre ensemble » est une impolitesse faite à notre humanité. Est-ce un excès de le dire dans une période où les inégalités sociales, et bien plus encore culturelles, ne cessent de s’aggraver ?
Il est vrai que nous sortons d'une période de dix ans où la droite au pouvoir a porté des coups aux politiques et aux services publics culturels, réduisant leurs financements et exaltant la marchandisation de la culture. Ces politiques ont porté atteinte au maillage territorial et aux réseaux qui s’étaient constitués sur le temps long. Ceux qui nous resservent aujourd’hui le refrain de la vertu budgétaire seraient bien avisés de ne pas oublier les mobilisations cinq ans durant – et le large écho qu’elles ont rencontré – des très nombreux acteurs, militants et travailleurs de la culture contre le pouvoir sarkozyste.

S'inscrire dans le partage

S’« élargir » des imaginaires, des représentations, des mémoires et de la diversité créatrice de tout l’humain, s’inscrire dans le partage d’un monde commun, être reconnu comme porteur de culture constituent des droits fondamentaux et universels. Reste encore, combat sans cesse inachevé, à créer les conditions du plein exercice de ces droits. C’est là, par essence même, une responsabilité publique.
Les politiques publiques de la culture sont essentielles. Sortir du « je » pour s’accomplir dans le « nous », unir sans uniformiser, c’est donner corps aux valeurs de solidarité et d’égalité. Soutenir toutes les formes d’appropriation populaire de l’art, des savoirs, du patrimoine comme la création vivante, en faire le bien commun, défendre le pluralisme des expressions, protéger la liberté et le travail des artistes, c’est permettre à la citoyenneté et à la démocratie de s’exercer.
Défendre et développer des politiques publiques culturelles, les inscrire dans la durée, exige de faire prévaloir l’intérêt général sur les règles de marché.
L’esprit des affaires et du marché s’empare aujourd’hui des opérateurs et de l’administration même de la culture. Échanges commerciaux, marques culturelles, locations d’œuvres, de savoir-faire, prestations de services tarifées, produits dérivés, mises en concurrence : à grand train s’imposent les modes de management de l’entreprise, la logique du chiffre, de la « performance » économique, la course à la rentabilité et aux fonds privés. Le Rapport Lévy-Jouyet, amalgamant l’homme et le capital, est devenu la feuille de route des managers culturels, comme ils se nomment eux-mêmes.
Les biens et services culturels, parce que porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être soumis aux règles de libre échange et de libéralisation, sous peine de voir les politiques culturelles contestées au nom de la « liberté du commerce ». La forte mobilisation des milieux culturels à partir de 1993 a permis à l'Europe d'obtenir des exemptions aux clauses de libre-échange de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de refuser tout engagement de libéralisation pour les services audiovisuels et culturels. L'exception culturelle est donc un acquis incontestable, mais il reste fragile et contournable. Ainsi, les États-Unis ont multiplié les accords bilatéraux de libéralisation, intégrant le plus souvent possible les services audiovisuels et surtout les services liés au numérique et au commerce électronique, et la Commission européenne développe à présent des accords de libre-échange (celui avec les États-Unis est programmé) intégrant des PCC (Protocoles de coopération culturelle). La culture pourrait devenir l’objet d’un marchandage au sein d’accords commerciaux.
Le marché et la globalisation tendent à l’uniformisation culturelle et à l’aliénation dans le tout-consumérisme.

L’exception culturelle

Diversité et liberté culturelles ne peuvent vivre et prospérer sans l’exception culturelle, sans le maintien de notre capacité à développer les dispositifs et les financements publics. C'est bien la lettre et l'esprit de la Convention Unesco de 2005 sur la diversité des expressions culturelles dont la portée politique reste à construire.
C’est en France, probablement, que les politiques publiques pour la culture, le maillage, l’aménagement culturel du territoire, les systèmes de financements dédiés, de mutualisation et de péréquation de moyens, les dispositifs de soutien à la création et à sa diffusion ont été le plus développé. Il faut évidemment défendre ces principaux acquis, mais c’est loin d’être suffisant.
La fracture culturelle à l’œuvre montre cruellement toutes les limites que rencontre l’intervention publique dans le champ de la culture, dans ses modes d’organisation et de fonctionnement actuels, comme dans ses objectifs, qu’il est urgent de réinterroger.
Si nous combattons la frénésie à tailler dans les dépenses utiles, dépassons les seules questions budgétaires, aussi cruciales soient-elles. Réfléchissons à une véritable démocratisation de la définition, de l’écriture, du contrôle et de l’évaluation des politiques culturelles, associant véritablement les citoyens, répondant à l’aspiration grandissante et légitime à l’égalité des expressions. La culture est l’affaire de tous. Faisons considérablement évoluer la conduite et l’organisation de la chose publique, et progresser la démocratie culturelle. Ils en ont grand besoin. n

*Nicolas MONQUAUT, est responsable de la CGT-Culture, Claude MICHEL, est responsable de la CGT-Spectacles.

La Revue du projet, n° 20, octobre 2012
 

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Les politiques publiques de la culture sont notre bien à tous, Nicolas Monquaut et Claude Michel*

le 12 October 2012

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