La revue du projet

La revue du projet
Accueil
 
 
 
 

Qu’est ce qu’on attend ? Alain Hayot

La culture est l’expression de la solidarité humaine. Soyons ambitieux et mettons tout en œuvre pour refonder un service public de l’art et de la culture national et décentralisé;

«Défendre la culture, ce n’est pas lutter pour ou contre une politique culturelle, c’est lutter contre l’effondrement du politique. », nous dit Marie-José Mondzain. En effet, la culture n’est pas un enjeu spécifique à un secteur d’activité qui ne concernerait que ses propres acteurs. C’est l’expression de la solidarité humaine. Sa vitalité est la condition de la vie politique elle-même. Elle est ce qui donne sa chance à la création, à l’invention, donc au changement.
Depuis des années, nous sommes engagés dans un processus d’effacement de la vie politique, des conditions de possibilité du débat, de la contradiction. C’est un phénomène qui nous concerne tous au quotidien et d’abord au travail. L’imaginaire est en souffrance. Le péril est d’ordre anthropologique. En ces temps où se bousculent et s’accélèrent tant de mutations au potentiel émancipateur considérable, du numérique à l’écologique et à la mondialisation des relations, des activités et des créations humaines, le besoin de déchiffrer le présent et d’imaginer de nouveaux horizons s’éprouve encore davantage.
Parce qu’il s’agit de mettre en débat des alternatives, de nommer les souhaits communs de celles et ceux qui rêvent d’un monde nouveau, nous voulons faire de la culture un moteur de la transformation sociale. Les forces de la création, conjointement à celles du travail, doivent reprendre le pouvoir sur les mots et les symboles que le capitalisme financier a détournés de leur sens pour imposer ses seuls critères quantitatifs et concurrentiels à tout le champ des activités humaines.
C’est pourquoi nous ne devons pas nous contenter d’interpeller le nouveau pouvoir politique, de lui demander d’avoir une « meilleure politique culturelle ». Nous devons être en première ligne pour proposer et initier une alternative. Et il en va de la crédibilité de l’ensemble de notre démarche qui peu ou prou prend la forme d’un grand chantier concomitant de création et d’éducation populaire, à l’école, dans les entreprises et dans les territoires.

La démocratisation culturelle

 

Il fut un temps où la marge tenait le cahier. Le service public de la culture, comme celui du gaz ou de l’électricité, avait pour mission de s’adresser à tous. Les expériences menées dans des territoires de l’art régulièrement réinventés pouvaient encore contester aux institutions leur capacité d’innovation pour inspirer in fine à celles-ci une relation renouvelée entre les œuvres et leurs publics, entre l’art et la République. Peu à peu, au corps défendant de la plupart des acteurs sincères de la démocratisation culturelle et à mesure que le libéralisme imposait son hégémonie culturelle, le consumérisme a pénétré l’ensemble de nos pratiques.
Nous partons d’un postulat simple : nous sommes tous égaux en dignité et en liberté… donc nous avons droit à la beauté, à l’émotion, aux joies. Et chacun doit pouvoir entrer en conversation avec l’autre. Il revient à la puissance publique de définir des directions et des missions. Elle doit favoriser l’expérimentation, autoriser la permanence mais aussi permettre le nomadisme, encourager la diversité et la singularité. Elle est garante de l’imprévisibilité souhaitée.

Réinventer

 

Par un processus d’écriture démocratique, nous devons changer les paramètres en réinventant les dispositifs institutionnels que nous prendrons soin de ne pas considérer comme définitifs, car la révolution citoyenne est un processus. Nous devons opérer un retournement de pensée en conjuguant démocratisation et démocratie culturelle, c’est-à-dire prendre en compte la capacité de création de tous et de chacun dans le travail comme dans la société.
Alors que le capitalisme tente de fabriquer des humains normés, conformistes et dociles, notre projet vise l’émancipation de tous et l’épanouissement de chacun. Une politique culturelle dans cette perspective, n’est pas l’affaire seulement des artistes et des acteurs culturels, elle doit s’adresser à toute la société et mobiliser l’ensemble des citoyens. Elle a pour objectif de faire de chacune et chacun d’entre nous l’acteur de son propre destin. Pour reprendre la formule de Roland Gori, « il n’y a pas d’émancipation politique sans émancipation culturelle ».
Notre ambition ne se limite donc pas à garantir les moyens qui permettent à l’artiste de vivre et travailler, à assurer des revenus, salariaux et autres, à l’ensemble des travailleurs de la culture et des arts. Nous voulons libérer de la précarité l’ensemble des métiers et remettre en cause tout ce qui, dans le travail sous domination des critères capitalistes, éteint la créativité. Au delà de la défense de l’intermittence nous voulons créer les conditions d’une permanence de la recherche et de la production artistique.

Donner un nouveau souffle à l’imaginaire collectif

Pour cela, une politique publique de la culture doit en premier lieu garantir la liberté totale d’expression et de création pour les artistes et les acteurs culturels, dont le travail doit être protégé contre toute instrumentalisation politique ou religieuse et tout asservissement à une économie de la culture marchandisée. Il faut dans un même mouvement donner un nouveau souffle à l’imaginaire collectif en portant l’ambition d’un nouveau « partage du sensible ». Il faut enfin admettre que le vivre ensemble suppose la reconnaissance de l’autre, dans la diversité de son histoire, de sa culture et de sa langue.
Répondre à ces exigences est d’autant plus urgent que le mouvement culturel est aux prises avec les ruptures régressives impulsées par la droite dans toutes ses composantes et les forces de l’argent. Cela s’est exprimé sous l’ère Sarkozy par une offensive sans précédent contre le service public de la culture et les politiques mises en place depuis le Front populaire puis la Libération, institutionnalisées et généralisées après la création du ministère de la culture et l’accompagnement des collectivités territoriales.
« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » écrivait Hölderlin. Le temps de la résistance ne peut se concevoir aujourd’hui que dans le temps de la rupture et de la reconstruction d’une alternative à ce monde vermoulu par l’argent, la concurrence entre les individus, la peur et la haine de l’autre.
C’est pourquoi le Parti communiste et le Front de gauche opposent à cela une grande ambition et le développement de moyens nouveaux au service de la refondation d’un service public  de l’art et de la culture national et décentralisé. C’est pourquoi nous proposons d’ouvrir sans attendre un vaste chantier citoyen de coélaboration d’une loi cadre d’orientation et de programmation pour les arts, la culture et les média.
La culture est un droit fondamental. Développer les politiques publiques d’élévation, de transmission et d’appropriation permanente de la connaissance et de l’imaginaire, c’est faire vivre les valeurs de solidarité, d’égalité et de liberté, c’est vouloir que la citoyenneté et la démocratie puissent pleinement s’exercer : voilà pourquoi la culture doit être une priorité au même titre que l’éducation.
À l’heure où l’obscurantisme et le populisme se conjuguent à de formidables régressions sociales, il est urgent de retrouver les chemins de l’espérance et de l’utopie.
Qu’est-ce qu’on attend pour prendre le pouvoir ?

*Alain Hayot est responsable du collectif Culture du PCF.

La Revue du projet, n° 20, octobre 2012

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

Qu’est ce qu’on attend ? Alain Hayot

le 11 octobre 2012

A voir aussi